Quels que soient mes talents de « petite souris » (ou de gros rat, disent les dames qui m’aiment), je ne m’amuserai pas à rendre compte de toutes les séances des CSL (Commission Spécialisée Lycée — ou CSC, pour le Collège, ou CSE, pour le Primaire), CSE (Conseil Supérieur de l’Education) ou CIC (Comité Interprofessionnel Consultatif), bref, de tous ces machins, aurait dit Mongénéral, qui rassemblent dans des salles plus ou moins confortables des représentants syndicaux convoqués pour donner leur opinion (toujours consultative) sur les décisions du Ministère. Je l’ai fait en détail il y a peu (http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2008/11/10/cacophonies-syndicales.html
). Comme disait Ian Fleming, « c’est moins drôle à vivre qu’à raconter. »

Même si parfois ça me démange… Ainsi, jeudi dernier (27 novembre), lesdits syndicats étaient invités à se pencher sur la réforme des programmes du Lycée Professionnel, censés mener en souplesse au Bac Pro rénové (j’ai dit jadis tout le bien que j’en pensais — voir http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2007/11/27/lp.html) : là déjà, le ministère, visiblement porté à l’éjaculation précoce, mettait la charrue avant les bœufs, et la réforme du Lycée, professionnel ou non, avant celle du Collège, où les profs se déplacent de profil, comme les crabes, pour éviter les injures et les coups de poignard dans le dos.

Donc…
Ce CSE faisait suite à une CSL qui s’était réunie le 12 novembre, où les mêmes projets avaient été soumis aux mêmes syndicats, avec les mêmes Inspecteurs Généraux venus tenir les mêmes discours lénifiants — enfin, pas si lénifiants que ça, comme on va le voir.

Le SNALC a été prié par le représentant de la DEGESCO qui présidait mollement aux débats (1) d’ouvrir les débats. La responsable dudit SNALC a donc commencé par constater que ce CSE se tenait un mois après un autre CSE où avaient été présentés, et pour l’essentiel rejetés, des projets de décrets relatifs à la voie professionnelle, « ce qui marque assez l’importance que le ministère accorde à cette instance consultative, et son goût pour le passage en force, au mépris de la démocratie la plus élémentaire ». Puis elle s’est inquiétée du « chaos » entourant à la fois la réforme du lycée, mal préparée, et la formation des maîtres, mal conçue, avant de signaler que l’union intersyndicale manifestée le 20 novembre devrait mettre la puce à l’oreille du ministre. « Le SNALC ne saurait donc cautionner une réforme dont les objectifs ne semblent plus que budgétaires, et dont les modalités mettent en concurrence, sinon en conflit, les disciplines comme les professeurs ».
Quant au délai supplémentaire (de six semaines) accordé aux universités pour peaufiner leur projet de « masters professionnels »,il s’agit sans doute d’une plaisanterie : les facs en sont tout juste à réaliser ce qu’on leur fait, et sans beurre ; il leur faut un peu plus de temps pour penser une formation digne de ce nom. À moins de s’en remettre aux projets délirants des « sciences de l’éducation », maîtres d’œuvre de projets où le « disciplinaire » s’efface derrière le dogmatique.
Ainsi parla-t-elle — si ce ne sont ses mots exacts, c’en est toutefois l’âme…
Le responsable de la CGT, après elle, nerveux comme une puce, souligna que l’heure était grave : la preuve, il approuvait en gros et en détail la déclaration préalable du SNALC (2).
Il avait ouvert les vannes : les divers intervenants, après lui, entonnèrent le même refrain. Jusqu’aux représentants de l’UNL, le principal « syndicat » lycéen. Même l’UNSA — à ceci près que la représentante de ce déshonorable syndicat ajouta quelques remarques sur la réforme du Primaire qui, selon elle, en remettant l’accent sur l’apprentissage des savoirs, augmentait les inégalités sociales… On est pédago ou on ne l’est pas.

Je ne vais pas passer en revue toutes les interventions préalables. On finit par passer aux choses sérieuses, avec l’examen des nouveaux programmes, matière par matière. Sauf que, comme le SNALC le souligna d’emblée, la légèreté avec laquelle a été décidée la rénovation de la voie professionnelle ne peut qu’entraîner un vote globalement négatif (sauf en EPS, où ça concerte ferme). En Histoire, des « flashes » sans continuité chronologique — même si l’Inspection générale a mis de l’eau dans son vin pédagogiste, et laisse une entière liberté pédagogique pour évoquer « personnages » et « événements », dans la continuité des programmes du collège.
Enfin Anna Armand vint, Inspectrice Générale de Lettres, en charge des programmes de LP — « déjà anciens, et qu’il fallait nécessairement changer », commença-t-elle. C’est comme le Beaujolais Nouveau, supposé plus digeste que les vieux Chiroubles ou Juliénas. Et moins cher, n’est-ce pas…
Mi-novembre, cette digne dame avait vainement tenté de justifier le fait que la plupart des « objets d’étude » du « nouveau » programme portent sur la littérature des XIXème et XXème siècle, malgré les protestations du SNALC, apparemment seul choqué qu’on passe les siècles antérieurs aux profits et pertes — surtout aux pertes. Elle répéta consciencieusement la même argumentation, spécifiant même que les textes du XXème siècle étaient « plus accessibles » aux élèves. Et, sans doute, aux maîtres que nous concoctent les réformes à venir de la formation.
Accessibles ? Je n’en suis pas bien sûr. Il n’y a à peu près au XXème siècle aucun texte théâtral (Sartre ? Giraudoux ? Camus ? Anouilh ?) qui ne soit pétri de littératures antérieures. Même chose en poésie (Claudel ? Péguy ? Saint-John Perse ?). Il faut donc en conclure que la littérature du XXème siècle selon Anne Armand, c’est la prose la plus « contemporaine » (les articles de Libé ? Ceux de Luc Cédelle ?).
Ça me rappelle les excès post-suixante-huitards qui, dans les années 1970, amenaient tant d’enseignants à centrer leurs cours sur le plus mauvais de Roger Vailland (325 000 francs) ou l’inénarrable Claire Etcherelli (Elise ou la vraie vie — qui lit encore ça ?). De la condition ouvrière pour les futurs ouvriers, y a que ça de vrai (3).
Allons, Madame l’Inspectrice ! Vous avez commis l’année dernière un joli volume, édité chez Gallimard, des « Plus belles pages de la littérature française ». J’en avais parlé ici même (http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2007/12/27/canossa.html), saluant même ce que je pensais être une prise de conscience des aberrations du pédagogisme-roi. Et voilà que vous rechutez ! Voilà que vous ressuscitez une Littérature à deux vitesses — les « belles pages » pour la rue Sébastien-Bottin, et plus généralement pour le VIIème arrondissement (les Vème et VIème aussi, sans doute : il ne faut pas désespérer Saint-Germain), et la « littérature prolétarienne » pour les LP de banlieue (la Seine Saint-Denis comme les Quartiers Nord de Marseille d’où vient le bienheureux Anthony dont je parlais dans ma précédente Note).
Mme Armand, en pleine effervescence idéologique, ajouta d’ailleurs qu’infliger une heure de Philosophie en LP (une revendication de l’UNL et de Philippe Meirieu réunis), c’était méconnaître les graves difficultés d’expression de ces élèves, auquel il convient donc de ne pas « faire trop d’enseignement de la grammaire », ce qui serait « prendre le risque » de les confronter à nouveau à leurs difficultés du collège. Qu’ils continuent à parler petit-nègre !
Mais ce n’est pas comme ça qu’ils parviendront à draguer leurs copines des Lycées d’Enseignement général — pour ne pas parler des gamines de Notre-Dame-des-Petis-Oiseaux (celles-là, elles ont la bibliothèque familiale pour se faire une langue et une culture) ni les privilégiés des « lycées internationaux », qui viennent de se faire confirmer que la future réforme ne les concernait pas…

C’est épuisant de répéter toujours la même chose, mais s’il faut le redire encore une fois, je n’hésiterai pas : comme aurait pu dire Nicolas Sarkozy, il faut donner plus à ceux qui ont moins — et non le contraire. Il faut leur apprendre Ronsard, Corneille, Racine, et toutes les Lumières. À moins qu’on ne désire vraiment les voir opter pour les ténèbres. Mais on a déjà vu, lors des émeutes de 2004, que la Nuit peut gagner rapidement. En vérité, Madame Armand, je vous le dis : si vous voulez sauver le VIIème arrondissement, il ne faut pas mépriser les banlieues. Sinon, comme l’émeutier de Victor Hugo qui ne sait pas lire et brûle les bibliothèques, les « classes laborieuses » auront toutes les déraisons de devenir dangereuses.

Il y a, mardi 2 décembre (Austerlitz !), des élections professionnelles. J’encourage fortement les électeurs de la CGT , de FO et de la FSU (3) à se mettre en accord avec leurs dirigeants, — et à voter pour le SNALC, seul vrai défenseur de leurs idées. Les discussions avec le ministère vont reprendre — et aux sujets en cours, formation des maîtres ou réforme du lycée, pourrait bien s’ajouter la réforme du collège : autant désigner les représentants les plus susceptibles de faire avancer les choses. Comme dit (presque) George Clooney pour Nescafé : « The SNALC — what else ? » Même si, comme pour les derniers modèles Fiat, le SNALC est livré « sans George ».

Jean-Paul Brighelli

(1) Celui-là s’appelait Patrick Hallal. Le responsable de la DEGESCO, Jean-Louis Nembrini, se garde bien de venir en personne à des réunions qui le font ch/suer. Et Xavier Darcos a autre chose à faire… Alors, un plus ou moins haut fonctionnaire ou un autre… Des anonymes, cultivant l’anonymat (celui-ci ne s’est présenté qu’au bout d’une demi-heure, et encore parce que le représentant de la CGT le lui a expressément demandé). Ce ne sont plus des hommes, ce sont des photocopieuses, distribuant les imprimés. Il fallait un héros, ce fut un administratif qui l’obtint. Ce n’est pas avec de tels hommes qu’on gagne Austerlitz : on se précipite à toute allure vers un Waterloo allégrien.
(2) Il n’y a plus que Luc Cédelle, dans le Monde, pour ajouter systématiquement, après les cinq lettres de SNALC, l’épithète quasi homérique « traditionnellement classé à droite ». Gauche et Droite n’ont plus grand sens, ces jours-ci — et dans l’Education moins encore qu’ailleurs. Mais je sais que le SNALC est actuellement le moins conservateur des syndicats. Et, pratiquement, celui que Xavier Darcos récuse le plus violemment. Tant pis pour lui.
(3) Au fond, ces suggestions pour le Français sont cohérentes avec les programmes d’Histoire, où la Révolution Industrielle ne sera étudiée qu’à travers le thème transversal « Etre ouvrier en France ». On voudrait les confiner dans une destinée sociale qu’on ne s’y prendrait pas mieux.
(4) Ceux de l’UNSA (ou du SGEN) sont irrécupérables, et je renonce à les convaincre.