Voici que je viens de lire, la même semaine, deux ouvrages délectables — dans des genres fort différents, mais qui finissent par se recouper l’un et l’autre dans la dénonciation de ce qu’il y a de plus glauque dans l’Europe que l’on nous tricote depuis vingt ans.

D’Eric Zemmour, on connaît — et trop souvent on s’y arrête — l’image médiatique, flingueur d’élite de Ruquier sur France 2, enfonceur de portes cadenassées sur RTL, débatteur féroce, face à Nicolas Domenach, sur i-télé, chroniqueur prétendument sans tendresse (comme c’est mal le connaître !) du Fig-Mag, après avoir sévi au Quotidien de Paris et à Marianne. Jamais en retard d’une provocation — les membres de la RDH (Religion des Droits de l’Homme, comme il dit lui-même) cherchent en ce moment même à le lui faire payer : la LICRA a finalement retiré sa plainte, mais SOS-Racisme s’y tient, aux dernières nouvelles (1). Bref, rien que du recommandable. Comme disait Sacha Guitry : Du jour où j’ai compris quels étaient les gens que j’exaspérais, j’avoue que j’ai tout fait pour les exaspérer. »

C’est d’ailleurs notre point de contact le plus évident…

Bref, j’ai acheté Mélancolie française, qui vient de sortir (fin mars) chez Fayard / Denoël.

Un régal.


San Antonio avait jadis écrit l’Histoire de France revue et corrigée par Bérurier. C’était un gros hors série de 400 pages — il fallait au moins ça pour que l’humour hénaurme de Queue d’Âne (l’un des surnoms de Béru) s’y développât jusqu’à érection complète.
Zemmour fait plus fort : il raconte l’Europe, de la Pax Romana à l’axe franco-allemand (enfin, beaucoup moins franco qu’allemand…). Vingt siècles en 250 pages. Une gageure !

Une gageure particulièrement bien relevée. Analysant le poids du Traité de Verdun (843 — c’était hier), il montre, avec une force de conviction exemplaire, comment l’Europe, soumise un jour à Paris (au XVIIème siècle), un autre à Londres ou à Berlin, s’est efforcée de reconstituer l’ancienne colonne vertébrale de la Lotharingie : en fait, premiers ministres français (Richelieu puis Mazarin), souverains (Louis XIV ou Frédéric II — ou De Gaulle…), empereurs (Napoléon), dirigeants anglais (William Pitt le Jeune ou Wellington) ou chanceliers prussiens (Bismarck, Hitler ou… Merkel), tous ont cherché à mettre la main sur l’Europe, pour son plus grand bien, œuf corse. À en déplacer la capitale — Paris, Londres, Berlin.

Mais, comme le souligne Zemmour, nous en avons de la chance de vivre au XXIème siècle ! Exeunt les grandes figures d’autrefois, qu’elles fussent d’ombre ou de Lumières ; enter Juan-Manuel Barroso, capitale Bruxelles.

(Parenthèse : exeunt, puisque la lingua franca de l’Europe fut autrefois le latin — puis le français ; et enter, parce que nous sommes bien entrés dans l’orbite anglo-saxonne, comme en témoigne la pénétration des modes d’outre-Atlantique chez ces djeunes bien de chez nous qui croient être des rebelles parce qu’ils disent fuck au lieu de Palsambleu, et se vautrent dans le conformisme américain en se faisant nikés des pieds à la tête…).

L’Europe des nations pouvait être une chance : l’Europe des fonctionnaires bruxellois est une abdication.

Zemmour analyse donc successivement « Rome » (comprenez : le centre politique) et « Carthage » (l’Angleterre, comme disait Philippe Henriot), « l’Empereur », « le Chancelier », « le Maréchal », « le Général » (Zemmour ne peut se retenir d’une franche admiration pour De Gaulle — son côté enfant de Pieds-noirs, sans doute…), « le Commissaire », « le Belge » et pour finir « la Chute de Rome » : ce garçon pense que l’Histoire, si elle ne se répète pas, reproduit les modèles antérieurs — elle apprend d’elle-même.

Seconde parenthèse : si on n’apprend plus l’histoire nationale aux petits Français, c’est parce qu’on a tout intérêt à ce qu’ils ne la connaissent plus. À l’époque de « Nos ancêtres les Gaulois », de « Bayard sans peur et sans reproche » et de l’héroïque petit Bara, il ne serait venu à l’idée de personne de siffler la Marseillaise ou de se torcher dans le drapeau français : les historiens qui ont participé à la mascarade des nouveaux programmes d’hier et d’aujourd’hui, et ont accepté que l’on ne fasse plus d’Histoire en Terminale S, portent une très lourde responsabilité dont il faudra bien qu’un jour ils rendent compte — on ne peut pas être collabo impunément.

(Bon, d’accord, j’envoie le bouchon un peu loin — en fait, je m’amuse à faire du sur-Zemmour — mais quand on en est à être parodié, c’est que l’on a un style, contrairement à 98% des historiens contemporains, qui se réfugient derrière leurs archives pour écrire plat).

Il est toujours significatif, dans un livre d’Histoire (et celui-ci en est un, et des plus remarquables) de souligner quelles sont les références de l’auteur. Eh bien, en vérité je vous le dis, un homme qui cite Retz, Stendhal et (maintes fois) Michelet ne peut être tout à fait mauvais. Zemmour est un homme de culture.
Il est aussi un homme de réflexion. L’analyse qu’il livre, in fine, des effets à venir de la natalité française en exaspérera plus d’un, mais j’attends de pied ferme (et lui aussi, sans doute) qu’un démographe compétent vienne l’infirmer — parce que les faits sont têtus, et que ce livre parle des faits, les plus spectaculaires (Waterloo ou lez Traité de Versailles) comme les plus ténus — le diable est dans les détails, rappelle avec raison l’auteur.

Au total, un ouvrage indispensable pour savoir pourquoi, et à quelle sauce, nous sommes en train d’être mangés — à moins qu’un vrai sursaut fasse lâcher prise aux gloutons internationaux qui nous dévorent, avec le consentement béat de nos élites (heu… Alain Minc fait-il partie de l’élite ? Non, bien sûr…).

 

Plus léger, et encore plus drôle : le Retour du Général, de Benoît Duteurtre. Je n’avais pas ri d’aussi bon cœur depuis longtemps.
Curieusement, Zemmour et lui se rejoignent sur bien des points, dans la dénonciation de tout ce qui, en ce moment, nous ramène à zéro, sous prétexte de faire notre bonheur — un bonheur stéréotypé, mécanique, fait d’interdictions, de « recommandations » et de renonciations. Mais c’est dans l’air du temps : nous sommes encore quelques-uns à nous insurger contre la malbouffe (le roman part d’une protestation contre l’interdiction bruxelloise d’utiliser de la vraie mayonnaise dans les bistrots), les plaisirs calibrés par les fonctionnaires européens, la disparition de la France du vin derrière une Europe de la bière — et, là aussi, l’américanisation d’une jeunesse droguée par des médias qui s’alimentent chez McDo et KFC. Quelques-uns — mais pour combien de temps ?

Sur ce, De Gaulle revient… Si, si ! Le vrai, l’unique. « Mongénéral » en chair et en os. Encore au bras de Tante Yvonne. Et chasse le petit Nicolas, avant d’entonner (cela va bien à Duteurtre, qui partage depuis toujours ses activités entre littérature et musique) l’air de la résurrection — à tous les sens du terme.

Comme c’est un roman, je n’en dirai pas plus. Courez l’acheter — c’est aussi chez Fayard.

 

Jean-Paul Brighelli

(1) http://www.lematin.ch/people/nouvelle-plainte-contre-eric-zemmour-256933