Le 27 août dernier, à l’ouverture de la première séance de réflexion sur le nouveau lycée, le SNALC a rappelé à Gaudemar, qui ne s’y attendait guère, quelques vérités élémentaires. Absurdité d’une réforme du lycée précédant la réforme du collège, volonté puérile de jouer les élèves, ces « presque adultes », contre les profs, stupidité à modifier la structure du lycée sans toucher, pour le moment, aux contenus des programmes, construction aléatoire d’une usine à gaz de plus, et j’en passe. En outre, le fait que toute cette agitation n’avait pour but réel que de rogner 9000 postes par an, en faisant passer les élèves de Seconde (et ceux de Première et Terminale, à terme), de 32 à 27 heures n’avait pas échappé aux délégués de l’honorable syndicat.
  

Le SNALC, en choisissant le 11 juin dernier de signer la « feuille de route » du ministère, avait insisté sur le fait que ce n’était pas un blanc-seing donné au ministre. Au passage, il avait dénoncé la malhonnêteté de ce chantage. Si l’on m’avait demandé à l’époque ce que je pensais de cette manière de forcer la main à des syndicats rétifs, ce n’est pas le mot « malhonnête », que j’aurais utilisé pour qualifier le procédé : « maître chanteur », « racketteur » ou « voyou du VIIème » m’auraient paru plus adéquats…

« Malhonnête était un doux euphémisme… Le conseiller visé s’en est pourtant ému – chochotte… Les politiques ont le cuir bien sensible, en ce moment. Ou l’arrogance chevillée au corps.

Les syndicats de gauche (ou prétendus tels) présents en cette fin août s’insurgèrent contre les empêcheurs de réformer en rond – le SGEN et le SE-UNSA avec la fougue de ceux qui ont choisi la rue de Grenelle pour faire leur coming out, le SNES (en l’occurrence Roland Hubert, co-secrétaire général) avec les tortillements de fesses caractéristiques de ceux qui voudraient bien et qui ne veulent pas… Et qui, surtout, craignent, ou savent, qu’une large majorité de leurs adhérents n’adhère pas… D’ailleurs, Frédérique Rolet, fine mouche, s’était bien gardée d’être là en personne : elle avait délégué au ministère ce second couteau, spécialiste de la langue de bois embarrassée – qui sentit pourtant que le SNALC disait des vérités d’évidence, et revint, en fin de réunion, sur ses déclarations premières… Alors, Roland, tu veux ou tu veux pas ? 

Après avoir fait le tour des réactions, consulté informellement sa base, et pris dans la gueule, entre autres, la déclaration de sa tendance Ecole Emancipée, le SNES vient d’annoncer, hier jeudi, qu’il renonçait aux dites négociations. « Nous ne participerons plus à partir d’aujourd’hui aux discussions avec Jean-Paul de Gaudemar sur la réforme du lycée », a claironné ce même Roland Hubert. Dans son communiqué, le SNES a repris, sans rien y toucher, tous les points contestés par le SNALC dès la fin août :  l’organisation modulaire des enseignements, la réduction de l’horaire élève à 27 heures, l’effacement des disciplines et des savoirs au profit d’un « socle commun » d’enseignements fondamentaux, la séparation des réflexions sur l’organisation pédagogique du lycée, la définition du métier d’enseignant, devenu gentil animateur, et un calendrier trop serré – craignant « qu’en laissant aux lycéens et aux familles la responsabilité de construire eux-mêmes leurs parcours, la cohérence de la formation, et l’égalité entre les élèves ne soit plus garanties ». Sans oublier la voie technologique, dont le SNES déplore qu’on ne prenne pas en compte (?) la spécificité. Tant qu’à faire, il aurait pu se pencher sur la voie professionnelle : Le SNALC critique depuis des mois la nouvelle version du Bac Pro, en soulignant qu’un second cycle, quel qu’il soit, est toujours dépendant de ce que l’on fait dans le premier cycle, et que c’est dès la quatrième qu’il faut se soucier d’orientation. J’en ai parlé ici même.

Le SNES, avec la ferveur du Néophyte, s’interroge enfin lui aussi sur la réforme du baccalauréat, exigeant le maintien du « caractère national de l’examen », « dans l’hypothèse d’une part plus importante du contrôle en cours de formation ».

Bien sûr, il y a dans cette façon si soudaine de claquer la porte un mélange de bon sens matois, d’instinct de survie, et de stratégie électorale. A un mois et demi d’élections professionnelles imprévisibles, le SNES, qui entend rester en tête de la course, bombe le torse, quitte à s’attribuer le courage et le plumage d’autrui. Il a déjà joué le même jeu par le passé – avant de revenir, en douce, à la table de négociations. Et sans doute a-t-il prévu d’y retourner après novembre : peut-être, à l’heure même où j’écris, ses élus sont-ils en train de téléphoner au cabinet du ministre pour expliquer que leurs militants, bla-bla-bla, et l’opinion publique, bla-bla-bla, et la préparation de la manif du 19 octobre, bla-bla-bla, – mais qu’on peut compter sur eux pour une discussion sérieuse, en tête à tête si possible… D’ailleurs, le même communiqué énumère un certain nombre de « conditions d’un retour dans les discussions », et rédige pour ses adhérents une analyse détaillant les mesures « acceptables » et celles qui ne le sont pas… (voyons, Frédérique, ça ne devrait pas se voir à ce point…). Exigeant par exemple un horaire hebdomadaire de 30 heures, « accompagnement éducatif compris »… Bref, « des postes » et « des moyens »… Business as usual et l’imagination au pouvoir.(1)

Allons ! Je suis mauvaise langue… C’était juste, dans l’esprit de Frédérique Rolet, un hommage à Brel, probablement – la valse à mille temps…

Soyons sérieux un instant.
La réforme du lycée, qui est sans doute souhaitable, ne peut passer que par la réforme du collège. Le ministre a fort intelligemment opéré un lifting de l’école primaire. Et au lieu de nous raconter la suite de l’histoire, dans l’ordre, il préfère sauter l’épisode essentiel, et nous parler de la fin. Inconséquence passagère, espérons-le. D’autant que s’il veut vraiment épargner des postes, et réduire l’horaire des élèves sans que personne n’y trouve à redire, il peut, en réformant sérieusement le collège, amener les élèves, fin troisième, à un niveau tel que la « seconde indifférenciée », qui n’a jamais été autre chose qu’une troisième-bis, ne soit plus nécessaire. Au lieu de ça, il voudrait imposer le lycée unique après le collège unique, alors qu’un collège remis sur ses pieds pourrait préparer à un lycée réellement diversifiée, y compris (et surtout, peut-être) dans la voie professionnelle : le Bac pro en trois ans, cela se prépare… fin cinquième.

Et ce n’est pas, présentement, en claquant la porte avec emphase que l’on fera bouger un ministère arrogant et sûr de lui. La politique de la chaise vide, surtout quand elle n’a d’autre but que la communication interne et externe, ne compense pas un mois de contorsions embarrassées. Il y a là quelque chose de consternant : après avoir prêté les deux mains à des projets inacceptables, le SNES s’aperçoit soudain qu’il se compromettrait, peu avant les élections professionnelles, en se battant face au ministère – et préfère organiser une manif de plus, face aux caméras. Frédérique Rolet a lu La société du spectacle – comme tout le monde.

Bien sûr, un demi-habile souhaiterait que le SNALC à son tour quitte la table des négociations – et, de prophète qu’il était, devienne disciple. En laissant toute opportunité au SGEN et à l’UNSA, refuges de pédagos ultra-minoritaires, d’infléchir dans le sens du désastre une politique déjà fort aventureuse ?

J’espère bien que le SNALC va continuer à faire le forcing, face à Gaudemar, à Jouve, et aux caciques du Moloch, – au moins jusqu’à la réunion de mercredi prochain. Il ne s’agit pas de faire preuve de « bonne volonté » – il s’agit d’occuper toutes les chaises vides, y compris celle que FO, Ponce Pilate de l’Education, n’a jamais voulu occuper. Il s’agit de dire, d’une voix forte, que le ministère se trompe, en croyant nous tromper. Et que s’il se souciait à nouveau du qualitatif, comme en Primaire, au lieu de compter les heures économisées sur la calculette d’Eric Woerth, il pourrait bâtir une politique – et non faire des économies de bouts de ficelle.

Au passage, il aurait un vrai succès auprès de sa majorité, et auprès de la majorité des enseignants. Et il verrait le SNES accourir bien vite, sa sébile à la main.

Et il sera toujours temps, si la surdité grenellienne se confirme, de créer une vraie unité syndicale avec des mots d’ordre communs, et des propositions d’action plus efficaces qu’une grève de 24 heures. Le gel des notes, par exemple. Ou la grève des bacs blancs. Ou…

Quant à la manif du 19… L’union sacrée syndicale doit-elle primer sur la cohérence ? J’ai assez envie de monter à Paris – et j’irais peut-être, si je ne refusais pas de défiler avec le SGEN et l’UNSA, qui seront là avec leurs propres agendas (la critique de la réforme du Primaire, par exemple, pour l’UNSA).

Et sans se soucier du nombre de manifestants, j’espère que le ministère, mesurant enfin la vague de fond du mécontentement, prendra le temps de réfléchir, au lieu d’attendre benoîtement que les syndicats aillent à Canossa – ou se lancent dans un bras de fer qui fera mal à tout le monde. La maison est à rebâtir – et la majorité des parents, des enseignants, des élèves même s’accorde sur ce point (et aussi la majorité du propre parti du ministre) : ce n’est pas en grappillant quelques heures ici, quelques postes là, qu’on parviendra à compenser la désaffection du métier, et les multiples départs à la retraite des années à venir. Ce n’est pas en confiant aux IUFM, qui n’y ont jamais rien compris parce qu’ils n’ont cessé de recruter des gens qui maîtrisaient mal leur propre discipline, les maquettes des « masters d’enseignement » et des concours new age, qu’on parviendra à recruter les enseignants nécessaires aux défis des décennies à venir : un enseignant insuffisant, c’est dix mille enfants qu’on assassine. 

Jean-Paul Brighelli

(1) Pendant ce temps, le SGEN, avec la constance des néo-convertis, persiste et signe : « le SGEN-CFDT fait le choix d’assumer ses responsabilités syndicales dans la défense des personnels. Il entend que les discussions se poursuivent pour une plus grande réussite des élèves mais aussi pour l’amélioration des conditions de travail des personnels qui passe par une autre organisation des enseignements. Il souhaite en particulier que le temps de service des enseignants intègre toutes les nouvelles tâches. »

Le SE-UNSA, prudemment, se tait – de peur sans doute que la langue de bois ne fourche…