Dix ans au lycée des Tarterêts, quatre à cinq classes par an, deux à trois conseils de classe par an — et, en tout et pour tout, quatre à cinq parents entrevus rapidement pendant cette période. Moins que ce que j’ai rencontré en un an au lycée La Bruyère, à Versailles. Lycées chics, lycées chocs, les différences sont patentes aussi dans la relation des enseignants aux parents.

Les parents les plus déshérités, que ce soit au niveau économique ou culturel, hésitent à franchir les portes de l’école. Non qu’ils y soient hostiles, bien au contraire : mais une sorte de pudeur, de timidité les retient. Ou, parfois, des barrières linguistiques. Et ce sont eux, souvent, que l’on aimerait voir… En revanche, que de rencontres avec les géniteurs d’enfants sans problèmes, dont on ne sait trop ce qu’ils viennent faire là — peut-être voir le fauve qui dispense des cours de français à leur enfant…
À ce fait s’ajoute un paramètre politique : à partir de la fin des années 80, certains partis politiques ont donné à leurs adhérents des consignes d’entrisme : il fallait occuper l’institution scolaire. On était loin, là, de l’intérêt bien compris des enfants. Le « parentdélève » n’était jamais qu’un levier de propagande. Ce fut vrai de l’extrême-droite, ça l’est encore, via la FCPE, de parents proches de la gauche officielle. Et les promesses de la Sainte Vierge, dans ce domaine, ne sont guère rassurantes.

Du coup, l’attitude des enseignants vis-à-vis des parents est largement ambivalente. Nous ne demandons pas mieux que de rencontrer les parents intéressés, afin d’échanger nos observations sur leurs rejeton(ne)s, suggérer une hygiène de vie (pas de télévision dans les chambres d’enfants, par exemple) et quelques aides intellectuelles…
Mais trop souvent, les parents rencontrés dans les conseils de classe ne sont là que pour défendre (?) leurs propres enfants. Trop souvent, ils arrivent à l’école bardés de certitudes qu’il faut bien appeler idéologiques.
Trop souvent aussi, les enseignants, à quelque niveau que ce soit, tolèrent mal qu’on mette en doute leur compétence — ou leur incompétence.

C’est que le point délicat est l’interpénétration de deux mondes — de deux sphères. Le parent appartient globalement à la sphère éducative — ou devrait au moins en arriver. Or, sa demande est de plus en plus une demande éducative — manque de temps, familles redécomposées, si je puis dire, manque d’autorité, etc. Mais cette demande ne s’exprime jamais sous une forme directe : elle s’exprime via une demande d’instruction — et l’enseignant n’entend pas la même chose que le parent sous ce vocable. Il aimerait bien ne pas avoir à faire la police avec des enfants que leurs parents ont oublié de policer, justement. Il préfèrerait, de loin, se contenter d’apprendre — il est là pour ça.
Est-il clairement là pour ça ? Les pédagogues ont entonné le grand air de la « citoyenneté », depuis quelques années. Mais on ne devient pas citoyen sur commande, en visitant son environnement ou en incitant chacun à retrouver ses racines : Gaston Kelman a fait bon marché de ces ambitions pleines de bons sentiments et qu’il faut bien, pourtant, appeler racistes (voir « Je suis noir et je n’aime pas le manioc »). La citoyenneté, elle se dégagera plus facilement d’une étude de la Grèce antique que d’un débat en Instruction civique sur un thème à la mode. Les révolutionnaires de 1792, qui ont mis la citoyenneté pour la première fois à la mode, ont couru sus aux Austro-Prussiens, à Valmy, parce qu’on leur avait raconté cent fois les Spartiates aux Thermopyles — mais j’ai un peu peur que nos élèves, élevés au lait pédagogique, croient que Léonidas n’est qu’une marque de chocolats belges.

Au lieu de demander des entrées institutionnelles toujours plus nombreuses dans les établissements (que des parents siègent dans un conseil de discipline me paraît d’un haut pittoresque et d’une efficacité douteuse, dois-je le dire ?), les parents ne doivent plus hésiter à pratiquer la démocratie directe, et à aller voir les enseignants — ou à les contacter. Peut-être l’Education Nationale pourrait-elle ouvrir un mail à tout prof, pour traiter en direct électronique avec les parents les problèmes en cours — cela permettrait de ne pas avoir à jongler avec les emplois du temps des uns et des autres qui ne permettent jamais que de dégager cinq minutes, dans un couloir venté, entre les obligations des uns et les heures de trajet des autres.
Et cela permettrait de communiquer directement des notes ou des observations, en temps réel, qu’une maîtrise de la boîte à lettres diffère parfois des semaine sou des mois durant — et le parent apprend un jour que son rejeton n’est plus venu en cours depuis vilaine lurette, ou n’y entre que pour faire le pitre.

Last but not least, le « parentdélève-enseignant » — la plaie du métier, tous les enseignants vous le diront. Soit il n’ose pas dire ce qu’il pense, par respect pour un collègue dont il ne pense pas moins, soit il piétine la sacro-sainte solidarité et va dire son fait à l’incapable — ou supposé tel — chargé de son héritier(e).

Un point encore. Sauf exception, l’élève doit être présent lors d’un entretien entre son enseignant et son père ou sa mère. Il est partie prenante — on n’a pas à passer d’accords derrière son dos. Surtout, il saura ainsi directement ce qui s’est dit, sans risquer ces déformations du message qu’implique presque toujours une communication différée.

À vous désormais, parents et enseignants, de vous exprimer sur ce sujet . Autant je suis très favorable au contact entre parents et enseignants, autant l’entrisme institutionnel des fédérations de parents en tant que telles dans le vaisseau-école me paraît déjà disproportionné — et source potentielle d’incompréhension, voire de conflits.

Jean-Paul Brighelli