Qu’en sera-t-il des premières mesures à la rentrée, au ministère de l’Education ?
Une interview récente de Darcos indique quelques pistes (BFM TV, 26 juin). Après avoir annoncé que le nombre de suppressions de postes, dans l’enseignement, tournerait probablement autour de 10 000 (soit un quart de ce qu’il est prévu d’économiser dans l’ensemble de la fonction publique — ou, si l’on préfère, 0,9 % du nombre total d’enseignants), le ministre a ajouté : « Si nous obtenons que des professeurs, dans le cadre de la réflexion sur leur métier, acceptent d’être moins nombreux mais d’avoir un temps de travail différent, volontaire, évidemment, grâce à des volants d’heures supplémentaires importants, nous pouvons sans doute trouver des ajustements ». Précisant aussitôt : “Cela exige des aménagements de ce qu’on appelle l’offre scolaire ». Et de poser aussitôt les bonnes questions : « Comment organise-t-on le travail ? Comment organise-t-on les partenariats ? Qui peut concourir à l’action éducative si les professeurs sont moins nombreux ? Comment peut-on regrouper les options ? Comment peut-on changer les programmes ? »

En fait, ces questions présentées comme une énumération analytique de problèmes distincts sont toutes liées. Et je commencerais volontiers par la fin.
Imaginons une refonte des programmes, de la maternelle au Bac — à commencer par un recentrage sur des matières fondamentales (je crois véritablement que l’on n’a guère besoin de tant options a priori (1) : l’industrie même demande des jeunes disposant d’une vraie formation générale, qui leur donnera la souplesse mentale et la capacité d’adaptation — à charge aux entreprises de les former, et plusieurs fois au cours de leur vie, à des métiers spécifiques, et dont à l’heure actuelle nous en connaissons pas grand-chose). Il faut en finir avec les programmes pléthoriques, démesurément ambitieux, qui gâchent toute chance d’apprendre des choses sûres. Moins de théorie de la communication — pourquoi faire, on a le Corbeau et le renard si l’on veut apprendre à communiquer, c’est-à-dire séduire et prendre le pouvoir —, et plus de grammaire pure et dure. Moins d’instruction civique, et plus d’Histoire. Moins de diététique, sensibilisation au code de la route, apprentissages de la citoyenneté et autres carabistouilles, et nous dégagerons des dizaines d’heures où se glisseront de vraies ambitions sur l’apprentissage et la pratique de la langue et des sciences (2).
Tout part des programmes : avec plus d’ambition pour les élèves et moins de rodomontades, on peut dégager des plages horaires précieuses pour le soutien — ou le sport ou les arts plastiques, aujourd’hui parents déshérités de l’enseignement français. De même, pour reprendre des propositions que je faisais ici même il y a dix jours, un Bac délivré de ce mois de juin fatal qui ferme les établissements et mobilise massivement les enseignants permettrait de travailler quatre semaines de plus — autant d’heures à verser au total / élève, et ça ne déplaira pas aux parents, qui déplorent depuis des années que leurs rejetons vaquent, désœuvrés, à partir de la fin mai — et tout le monde n’a pas forcément la plage sur le palier.
Que faut-il pour apprendre le français aux enfants ? Disons, au niveau du collège, quatre heures hebdomadaires, si on les gère correctement — et autant au lycée, toutes sections confondues, à panacher diversement : trois heures de langue pour une heure de littérature en collège, et l’inverse en lycée — je suis a priori favorable à l’enseignement de la grammaire et d l’orthographe jusqu’en Terminale, ça évitera aux Facs, aux IUT ou aux Ecoles d’ingénieur de former leurs étudiants à ces disciplines primaires. Que faut-il pour apprendre l’Histoire / Géographie ? Moins qu’aujourd’hui, au fond, si on supprime l’Instruction civique, un boulet que les profs d’HG traînent avec vaillance et résignation, et si on en revient à une Histoire chronologique — parce que les gosses adorent les belles histoires.
Le reste à l’avenant. Les cours d’économie au lycée ont été stigmatisés non sans raison, pour leur prétention encyclopédique et leur manque d’insertion dans le réel. J’ai participé récemment à une émission (sur i-télé) avec François Dufour, le fondateur des éditions Play Bac, qui s’est amusé à repasser son Bac à quarante ans, et a raconté cette expérience dans « Comment ne pas rater son Bac » (Librio) : il me racontait comment, tout chef d’entreprise expérimenté qu’il soit, il avait été sous-noté en économie, parce qu’il était parti d’exemples concrets et non de grandes théories générales (il a demandé le détail des corrections pour toutes les matières). On l’avait suspecté d’être un suppôt du libéralisme, et non un petit Karl Marx en puissance.
Nous vivons sur des schémas intellectuels hérités de la Libération (Langevin-Wallon) et de la guerre froide. La Droite n’a jamais osé contrarier les hommes de gauche qui péroraient très haut sur l’Ecole — ce qui a amené Haby et Giscard d’Estaing, deux gauchistes réputés, à expérimenter cette horreur pédagogique qu’est le collège unique. Et la Gauche dans son ensemble à croire que le libéralisme, c’est le capitalisme du XIXe siècle, qui avait besoin d’une foule de bras obéissants et d’intellects à mobilité réduite. L’actualité du libéralisme, c’est la course aux cerveaux.

Quand on aura déblayé les programmes, il sera temps de chercher des enseignants pour transmettre des savoirs généraux ciblés. On peut regrouper les options, comme dit le ministre. On peut aussi les supprimer : combien d’enseignements à vocation technique sont obsolètes au moment même où ils sont dispensés ? Combien de technologies sont désuètes avant même que l’encre des manuels ait séché ?
D’où sortent les barons d’industrie, les grands entrepreneurs anglais ? D’Oxford et de Cambridge, qui se soucient assez peu de coller aux réalités de terrain : j’expliquais jadis, dans ma défense et illustration des études littéraires (http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2007/02/02/sauver-les-lettres.html), que Xénophon ou Cicéron en disent plus sur la résistance à l’oppression qu’une énième lecture du plus mauvais Zola, du gangsta rap ou du journal du jour. Rien de plus moderne que la culture classique, et si le XVIIe siècle a accueilli Tacite avec intérêt, c’est qu’il savait comment utiliser l’historien romain pour faire l’apologie de Richelieu : il n’attendait pas les articles de Théophraste Renaudot dans la Gazette.
Quant à l’organisation du travail… Donner une vraie compétence aux équipes en place, qui seules connaissent l’état réel des élèves du cru… Donner des objectifs, en laissant libre choix des méthodes — mais en supprimant, par exemple, un pan de la « réforme Fillon » qui institue des cycles au Primaire et autorise un gosse qui ne sait pas lire à passer en CE1 — et à garder son handicap initial intact jusqu’à la Sixième (17% d’illettrés, chiffres officiels !) et au-delà (160 000 enfants sortant sans rien en main fin Troisième…). Que nul n’entre ici s’il n’est géomètre — que nul n’entre ici s’il est encore analphabète — et plutôt que de faire redoubler, ce qui entérine toujours un échec global, suggérer aux enseignants de terrain d’utiliser les facilités nées de la nouvelle gestion des heures sup’ pour créer un soutien parallèle, qui ne laisse personne vraiment en rade — sauf exception. Des enseignants moins nombreux peuvent, si les programmes sont resserrés autour d’objectifs fondamentaux, et si les établissements disposent d’une vraie souplesse budgétaire, faire mieux et plus vite qu’aujourd’hui — de toute manière, on ne peut pas faire pire, n’est-ce pas…
À vous désormais de critiquer cette organisation, nécessairement ramassée et d’autant plus provocante — mais qui pourrait bien être efficace…

Jean-Paul Brighelli

(1) Je rappelle pour mémoire que dans un ouvrage récent évoqué ici même, Allègre dénonçait l’entrisme des syndicats au ministère de l’Education, et la façon dont ils avaient imposé des myriades d’options, simplement parce qu’ils y voyaient de futures recrues…

(2) Dans le même ordre d’idées, je ne crois pas que els élèves aient besoin de cours spécifiques d’informatique pour apprendre à manier une souris pour aller sur Meetic ou Grosnichons.com.