Je vais tenter, un court instant, d’être d’accord avec les plus bêtes des pédagogues (1) : les affaires montées en épingle par les médias, à Fenouillet ou ailleurs, pour graves qu’elles soient, ne sont que des paroxysmes. La violence au quotidien ne se résout pas en coups de couteau, mais bien en « incivilités » (le terme à la mode pour dire qu’une prof s’est fait traiter de grosse taspé), en indiscipline permanente, en éclats de voix, en jemenfoutisme général. Ajoutez à cela les bousculades dans les couloirs, les toilettes défoncées, et les devoirs non rendus, ou recopiés à la va-vite sur Internet — l’acquis le plus sensible, avec la maîtrise de grosnichons.com, de tous ces cours d’initiation à l’informatique (merci, les profs de Techno ! C’est Guy Debord qui doit être content dans sa tombe : grâce au Bédeuzi, les collèges et les lycées sont à l’avant-garde de la société du spectacle)). Sans oublier les photos ou les films envoyés par portables, où l’on a pieusement enregistré les pétages de plombs d’enseignants chauffés au rouge et poussés à bout de façon délibérée.

    Etonnez-vous, après cela, que des profs, de plus en plus nombreux, craquent. Voir ma Note sur le livre tout récent de Véronique Bouzou, Ces profs qu’on assassine (http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2009/05/10/profs-au-bord-de-la-crise-de-nerfs.html).

    Il y a encore dix ans, quand on parlait de violence, c’était surtout celle qui s’exerçait sur les élèves — les jeux dangereux, les rackets, et, du point de vue des pédagogues qui entouraient Jospin, Allègre, Royal, Lang et consorts, la violence de l’institution elle-même, la violence de la « reproduction » où des enseignants mal formés aux sciences de l’éducation transmettaient verticalement à des « héritiers » des connaissances et des savoirs disciplinaires — quelle horreur… À enseignement frontal, coup de boule — c’est logique…

    La violence a changé de camp, l’école a changé d’âme. Désormais, un gosse de 13 ans se croit autorisé à ramener de chez lui un couteau de cuisine pour tenter de tuer la prof qui l’avait puni.

    Que faire, comme disait Vladimir Oulianov ?

    Jeudi 21 mai, dans son discours d’ouverture du 90ème congrès de la PEEP, Xavier Darcos a proposé de créer une « force mobile d’agents » intervenant en milieu scolaire « sur des missions de prévention et de contrôle » de la violence. Pas des flics, mais « des personnes formées et assermentées, placées auprès des recteurs, susceptibles de se rendre dans les établissements rapidement, pouvant constater des délits, confisquer des armes, opérer des fouilles si nécessaire ». Un Groupe d’Intervention de l’Education Nationale. Il a également évoqué le cas des parents qui ont « démissionné » face à leurs enfants, « qu’il faut rappeler à leur devoir de parent en leur infligeant, si nécessaire, des sanctions financières concrètes, rapides et proportionnées à la faute ». Il a par ailleurs annoncé que le sujet des « jeux dangereux » dans les cours de récréation serait « parmi les priorités » de l’action de son ministère et « explicitement cité dans la prochaine circulaire de rentrée scolaire ».

    Et d’annoncer une réunion avec les chefs d’établissement pour évoquer cette question — mise en place éventuelle de portiques de détection, comme aux Etats-Unis (où il semble bien que ça ait assaini considérablement le climat des écoles newyorkaises), et détection / confiscation des armes — non seulement les armes blanches, mais aussi les « armes par destination ».
    Tiens, si on reparlait de ma proposition d’interdire les portables ? Voir Fin de récré
… De nombreux établissements ont adopté cette mesure, qui fit d’abord crier les parents (« Comment ? Je ne vais pas pouvoir joindre Monchéri Moncœur à tout moment ? ») et dont la logique tombe aujourd’hui sous le sens.
    D’autant que protéger les enfants, quelques heures par jour, contre les émissions d’ondes ne peut pas leur faire de mal…

 

    Pour parler sérieusement…

    Ce n’est pas en proposant aux enseignants, comme l’IUFM de Bordeaux, un stage sur les « gestion des comportements violents », ni en faisant du yoga comme Sébastien Clerc, le dernier gourou à droite en sortant de l’ascenseur, que l’on résoudra un problème global. Les enseignants n’ont pas besoin de thérapie collective — parce qu’en l’état, ils sont les premières victimes.

    Mais pas les seules. Les cibles préférées, outre les profs (et, de plus en plus, les instits — la déviance commence jeune, ces temps-ci), ce sont les « bons » élèves, bouffons, fayots et autres binoclards du premier rang. Particulièrement entre garçons : le Savoir est la cible première, dans un système où — faut-il le rappeler — toutes les cultures se valent et tous les langages sont licites. Reste cancre, persiste dans la barbarie, and then, you’ll be a man, my son…

    Non : ce qu’il faut dans un premier temps promouvoir (Monsieur le ministre, cela, c’est de votre ressort), c’est un front uni des enseignants et de l’administration — et, en bout de chaîne, des parents. Quand un enseignant est insulté, menacé, vilipendé, il ne devrait pas être possible que l’administration réclame une inspection-sanction de cet incapable qui ne sait pas tenir sa classe (ça se voit tous les jours), ou réplique à l’enseignant qui menace de porter plainte : « Ben, si vous vous émouvez pour si peu, comment allez-vous faire, dans les années à venir ? » (authentique !). Un élève agressif, un élève fainéant, un élève menaçant n’a pas de pitié à attendre d’un système qui joue, ces jours-ci, sa survie.

    Comme il ne devrait pas être possible à un recteur de casser une décision d’un conseil de discipline sous prétexte qu’un vice de procédure s’est glissé dans la décision d’exclusion d’une élève qui falsifiait ses notes et reproduisait la signature du chef d’établissement sur son livret scolaire. Parce qu’une telle décision s’apparente à un travail de sape de l’institution — et, parallèlement, des bonnes intentions du ministre.
Et l’élève de plastronner devant ses camarades…

    Nous devons, nous enseignants, pouvoir compter sur la solidarité entière des CPE, qui jouent trop souvent les psychologues maternantes… Et sur le soutien total des Principaux de collège et des proviseurs de lycées, qui trop souvent pensent à ne pas faire de vagues, surtout pas de vagues, avant de décrocher un poste moins exposé et plus glorieux.

    Et, last but not least, sur l’appui de nos collègues. J’ai vu trop souvent des enseignants tacler sévèrement d’autres enseignants, à grands coups de « moi, je n’ai pas de problème » et de « qu’est-ce que tu lui as fait pour qu’il soit comme ça ? ».

 

    Mais bien sûr, la vraie réponse est avant tout pédagogique. Elle ne réside pas dans l’installation de portiques de détection de métaux (ponctuels), dans le recrutement à marche forcée de nouveaux pions (des grands frères ?), comme le réclament certains syndicats qui n’ont que « moyens » dans leur vocabulaire, ni dans la fouille au corps des 2800 élèves de tel ou tel lycée (« Aujourd’hui, fouille complète,les cours commenceront à… 14 heures…). Non : il faut redonner du sens à ce que nous faisons à l’école, en recommençant à enseigner, enseigner, enseigner — sans répit, et sans concessions. Transmettre — des notions, des faits, des valeurs. Une culture. La vraie éducation civique, elle est là — pas dans cette heure aléatoire où l’on apprend le fonctionnement des Conseils régionaux et où l’on exalte, en vain, la tolérance.

    Mes activités éditoriales me valent de lire des manuscrits de toutes farines. J’ai cependant lu il y a peu Le livre définitif sur l’autopsie du Mammouth, dont j’espère qu’un éditeur avisé le publiera à la rentrée prochaine. Sur la question de la violence, l’auteur fait dix propositions que je lui emprunte sans en changer une ligne — qu’elle en soit ici même remerciée. À vous de me dire si vous pensez qu’un ministre pourrait utilement s’en inspirer…

       Appliquer une politique de « tolérance zéro » vis-à-vis des comportements perturbateurs ou violents, par le strict respect de règlements intérieurs unifiés à l’échelle nationale. Aucun acte de violence ne doit rester sans réponse de l’Institution.

 

       Renforcer la coopération entre agents des ministères et des collectivités locales concernées par les agissements délictueux des mineurs (Police, Armée, Justice, Ville).

 

       Renforcer la présence des adultes dans les établissements, lesquels doivent être correctement formés pour tenir effectivement ce rôle.

 

       Réaffirmer qu’un établissement scolaire n’est pas une démocratie, mais un lieu d’apprentissage de la démocratie, à travers la transmission d’un savoir, et non par l’exercice d’une pseudo citoyenneté interne. La parole d’un élève ne doit pas avoir le même poids que celle d’un adulte.

 

       Mise en place d’un soutien effectif de l’Institution envers ses personnels agressés. Les chefs d’établissement se refusant à appliquer les textes en vigueur, ne signalant pas les faits délictueux ou refusant de s’associer à la plainte des victimes doivent être sanctionnés.

 

       Abroger les « circulaires scélérates », qui minent l’autorité des professeurs. Renforcer en particulier le poids des enseignants dans les instances de sanction, conseils de discipline en particulier, afin que leur autorité puisse effectivement s’exercer. Les parents et représentants des élèves ne doivent y avoir qu’un rôle consultatif. Possibilité d’appliquer légalement des sanctions éducatives significatives : travaux d’intérêt général en particulier.

 

       Responsabiliser les parents, y compris financièrement.

 

       Protéger les victimes d’actes de violences ou de harcèlement, élèves comme personnels des établissements, par l’application de mesures conservatoires.

 

       Prendre en charge spécifiquement les élèves gravement perturbateurs ou violents, par le développement de structures « relais ».

 

       Apporter une réponse proprement « pédagogique », dans la mesure où les actes de violence recensés dans les établissements du second degré sont pour une grande part liés, hormis tous autres problèmes sociaux, aux difficultés scolaires et aux frustrations liées aux échecs successifs de certains élèves. Faire donc en sorte que tous les élèves arrivant en 6° maîtrisent les « fondamentaux », sans lesquels il leur est impossible de suivre une scolarité secondaire dans de bonnes conditions. Et revoir les procédures d’orientation de façon à permettre à chacun d’atteindre son niveau d’excellence dans son domaine de prédilection, selon son travail et ses capacités.


 

Jean-Paul Brighelli

(1) Eric Debarbieux, par exemple, dont les ouvrages, les interviews ou les initiatives tournent toutes dans le même sens : la vraie violence s’exerce sur els élèves, les parents ne sont pas assez présents dans l’école, et la France devrait prendre exemple sur le Burkina Faso, Djibouti, le Chili ou les favelas de Rio. Si ! Et si quelqu’un hausse les épaules, parce qu’il ne peut croire à tant d’incohérence, qu’il jette donc un coup d’œil sur les déclarations de ce chantre du travail d’équipe http://www.cafepedagogique.net/lemensuel/larecherche/Pages/2006/analyses_71_ViolencescolaireJesuispessimistenousditEricDebarbieux.aspx ; http://ecolesdifferentes.free.fr/VIOLSCOLDEMAGODEBARBIEUX.htm ; http://www.vousnousils.fr/page.php?P=data/ca_vous_parle/l_invite/&key=itm_20060120_100115_eric_debarbieux_violence_a_lecol.txt.