J’écoutais l’autre soir d’une oreille distraite l’émission de Frédéric Taddei sur France 3, Ce soir ou jamais, dont la première partie était consacrée — ou aurait dû l’être — au bilan de la grand-messe sur la violence scolaire qui s’était tenue deux jours durant à la Sorbonne (1). Etaient présents, pour l’occasion, Gaby Cohn-Bendit, égal à lui-même, toujours aussi éructant, soixante-huitard ou jamais, et dont je suis apparemment la nemesis, tant il a mis d’expressivité agressive à m’évoquer — encore un hommage que le vice rend à la vertu ; Claire Mazeron, dont j’ai eu l’occasion de chroniquer ici le livre-somme sur l’Education nationale (2), souriante sous les rafales, même quand Gaby a lancé qu’il appréciait l’Enseignement confessionnel (anar comme tu es, Gaby, tu n’as pas honte ?) qui osait, lui, accepter des Musulmanes burquanisées en classe ; Somia Imloul (3), un peu perdue dans les tirs croisés, écrasée par la barbe de Gaby…

Et Yves Michaud.

Je ne connaissais pas ce monsieur. Il arrivait du séminaire gouvernemental sur la violence — au titre des formations qu’il dispense avec Sébastien Clerc, l’inventeur de l’eau chaude et du plan de classe, à des enseignants quelque peu déboussolés, et qui le restent (4). Sous son faux air d’endive cuite, il s’est révélé d’une agressivité rare — une nouille qui mord ! D’abord vis-à-vis de Mazeron, assise à sa gauche, puis un peu plus tard envers moi, qui ne lui demandais rien : mais je sais — et je m’y résous — que je fais de l’ombre à nombre de demi-sels.

Morceaux choisis et explication de texte.

(1) Disponible sur http://ce-soir-ou-jamais.france3.fr/?page=emission&id_rubrique=1019

(2) http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2010/01/14/autopsie-du-mammouth.html

(3) Membre du Conseil économique et social, fondatrice de Respect 93, association de prévention de la délinquance. A sorti en 2008 Enfants bandits ?, sur la violence des 3-10 ans dans les banlieues — et elle a raison : là aussi tout se joue précocement. Elle était par ailleurs 20ème sur la liste Majorité présidentielle aux Régionales en Ile-de-France.

(4) http://www.canal-u.tv/themes/sciences_humaines_sociales_de_l_education_et_de_l_information/sciences_de_la_societe/sciences_de_l_education/le_respect_sebastien_clerc_et_yves_michaud

Ou encore : http://www.liberation.fr/societe/1201235-comment-asseoir-l-autorite-en-classe

Mon excellent ami Philippe Watrelot a réagi avec sa fougue habituelle à cette interview mi-figue mi-cochon : « On trouve de tout dans cet entretien. 
À commencer par des grosses bêtises lorsque Yves Michaud affirme que dans les IUFM “ la formation est essentiellement pédagogique, et tournée vers le programme et la composition des cours, mais il n’y a pas d’approche des cours en situation, et c’est ce que nous essayons de fournir. ”. Ce qui est faux (et je peux le certifier…). 
On y trouve quelques remarques un peu plus pertinentes comme lorsque le philosophe rappelle qu’il ne s’agit pas de “restaurer” une autorité d’avant 68 mais qu’ “il y a tout un ensemble de conditions de l’autorité à reconstruire, notamment dans la relation avec la famille. Je veux dire la relation de l’école avec la famille.”. Mais pour l’essentiel, le philosophe énonce surtout des lieux communs. On a connu Yves Michaud plus inspiré et faisant, sur de nombreux sujets, preuve de bien plus d’autorité… » (http://www.facebook.com/note.php?note_id=445293005240)

Michaud a commencé par encenser Chatel, son employeur : encore un qui, comme dit Cyrano, a le ventre usé par la marche. A continué en critiquant Darcos, c’était gratuit, mais pas tout à fait innocent (1). S’est présenté comme un « faiseux », contre les « diseux » ici présents — à commencer par sa voisine. A fait l’apologie des « lycées libres » qui acceptent les élèves voilées — ah, les braves gens ! A approuvé l’initiative de l’ex-recteur Blanquer, qui, dans l’académie de Créteil, voulait récompenser les élèves qui consentaient à venir en cours (2). S’est fait le propagandiste de la « double spécialisation » pour les enseignants (le rêve du ministère, qui réinventerait volontiers l’eau tiède et les PEGC) — je comprends mieux les polémiques de Michaux avec Sauvons l’université (3). A prôné les initiatives locales, l’autonomie des établissements, le « terrain » contre l’administration centrale — encore un partisan du « moins d’Etat » : aux Etats-Unis, il voterait républicain. Et s’est prononcé pour une réécriture des programmes — trop ambitieux, toujours, mal adaptés, forcément : Gaby et lui, dans les dernières minutes, faisaient chorus sur ce point, larrons en foire d’une communauté de pensée affligeante — pardon pour le mot pensée, certainement excessif.

Enfin, comme exemple de ce qui marche, il a cité la Finlande — qui est devenue le point Godwin de toutes les discussions pédagogiques, et qui, comme le lui a fait remarquer Claire Mazeron, n’a rien, mais absolument rien en commun avec la France.

La vice-présidente du SNALC regrettait qu’on n’ait pas invité aux Etats généraux les « enseignants de terrain », qui auraient eu bien des choses à dire, des choses concrètes — non, on a invité Michaud, qui a enseigné essentiellement dans le Supérieur, à l’étranger, et est membre de l’Institut, sans en être l’étalon, j’espère (4) : voilà qui le qualifie pour parler des incivilités de l’Essonne ou de Seine-Saint-Denis.

Et en réponse à la remarque pleine de bon sens de l’auteur d’Autopsie du mammouth (« la violence de l’institution, c’est de ne pas transmettre aux élèves les fondamentaux »), il a expliqué qu’il fallait repenser les programmes, si mal adaptés aux publics actuels. Pourtant, cet homme qui en mai 68 passait l’agrégation pendant que nous faisions nos classes dans la rue avait bien profité, comme Gaby, du « lycée à l’ancienne » qui lui avait donné — comme à Gaby — quelques savoirs dispensés de façon frontale.

Enfin, assez content de lui, il a annoncé qu’on allait étendre à toutes les académies, sous sa houlette, la formation pratique des enseignants, qui apprendront donc le plan de classe avec Sébastien Clerc et l’esthétique du « cool, Raoul » avec lui.

Cet ancien adversaire déclaré de Sarkozy se retrouve donc embauché par la rue de Grenelle : encore un homme d’ouverture ! Besson ne suffisait pas : donnez-nous Michaud !

Il y a vraiment un vice constitutif dans ce gouvernement, qui leur fait embaucher les hommes qui les feront trébucher, par malice ou par incompétence, et qui travaillent, en même temps, à leur propre carrière, quitte à pratiquer le sur-place en produisant du vent. C’est que Michaud est riche en idées, certainement — le fil à couper l’eau tiède, le beurre à couper l’eau tiède, l’eau à couper le beurre, le beurre tiède à couper le fil, comme dit un ami…

Mais tout cela, c’était dans le cadre limité d’une émission. Peut-être ce garçon pensait-il mieux, quand il avait du temps devant lui — les philosophes, sauf quand ils s’appellent Finkielkraut, sont souvent des esprits terriblement secondaires.

Je suis donc allé voir ce que disait Michaud sur son blog (5).

Entre deux réflexions mondaines sur les « cougars » et l’e-love, on y trouve des lieux communs que n’importe quel enseignant approuverait. Par exemple : « Les professeurs ont aujourd’hui des conditions de travail difficiles (et c’est un euphémisme!). Il leur faut « tenir leur classe » pendant dix-huit heures par semaine, et cela vaut aussi bien pour les classes difficiles que pour les classes qui fonctionnent bien. La tension nerveuse (« être un acteur convaincant et impliqué ») est énorme et il y a tout le reste: les corrections, les réunions, les inévitables formalités bureaucratiques dans un monde qui a tout le temps besoin de dossiers et d’évaluations. Ils font bien plus de 35 heures, même en comptant les vacances. Et ils sont abominablement mal payés. La France, celle de Chevènement et Savary comme celle de Ferry et Darcos, la France de gauche comme celle de droite, a réussi à créer un nouveau prolétariat, celui de ses professeurs. Là aussi le milieu manque d' »estime de soi ». Il y a une souffrance du corps enseignant et elle n’est pas factice. » (6)

Quelle lucidité, de la part de quelqu’un qui faisait partie du comité de soutien à Ségolène Royal en 2007 — cette même Ségolène qui, on s’en souvient, voulait rallonger le temps de service des enseignants, dans une vidéo célèbre (7)… J’ai donc posté un commentaire légèrement narquois — et pas plus — sur le blog du monsieur, juste une piqûre de rappel : « Cher Monsieur, je vous ai découvert hier chez Dominique Taddéi, assis à côté d’une enseignante / syndicaliste qui disait des choses, elle, malgré les vociférations de Gaby, qui a bien voulu me citer nommément (l’hommage du vice à la vertu ?) et vos demi-silences d’homme de cabinet ambitionnant — ambitionnant quoi, au fait ?
Vous dites : « Les profs font bien plus de 35 heures. » Certes. Mais n’est-ce pas une certaine Ségolène Royal qui voulait, il y a deux ans, porter leur temps de travail officiel à… 35 heures ? Et l’un des signataires-soutiens de cette dame ne s’appelait-il pas Yves Michaud ? Sic transit, comme on dit vulgairement… »

C’était malicieux, sans plus — Ségolène Royal n’existe plus sur la carte politique, sauf quand les médias décident de la sortir de sa boîte. Mais c’était offensant, apparemment, pour notre petit grand homme.

Car ce matin, au réveil, j’ai trouvé un mail d’une limpidité lapidaire : « allez voir sur le blog, pauvre type » — signé Michaux. Ma foi, c’était un cartel bizarre, mais je suis « allé voir » ce que le pauvre homme, comme dirait Orgon, avait pondu.
Je n’ai pas été déçu. Ce garçon qui précise, en marge de son blog, que «
les commentaires sont les bienvenus » et « seront validés par l’auteur de ce blog, à l’exclusion des propos injurieux, racistes, diffamatoires ou hors sujet », avait éructé pendant la nuit : « Je réponds toujours aux gens aussi malséants que vous . Pour le nommé Brighelli : continuez donc à écrire pour les autres au lieu de le faire pour vous. Au moins on ne voit pas que c’est aussi con. »

Oh, comme c’est élégant ! Comme c’est courageux ! Et combien ça fait avancer le débat !

Et comme c’est significatif d’un type qui sourit devant les caméras, et tente de mordre dès que les sunlights se sont éteints…

Mais rien d’étonnant. Michaud, n’est-ce pas ce garçon qui s’était violemment opposé à Finkielkraut à propos de Polanski (8), comparant le cinéaste à Pinochet — comme en termes mesurés ces choses-là sont dites ! « La France me fait peur », dit-il — oh oui, celle d’Yves Michaud ! Le talent ne donne aucun droit, judiciairement parlant ? De ce côté-là, Yves Michaud ne craint rien.

C’est fatigant, parfois. Fatigant de voir les meilleures volontés découragées par l’intrusion dans le champ politique, ou médiatique, de spécialistes auto-proclamés qui ont à cœur de continuer une carrière bien après l’âge de la retraite. Fatigant de voir un ministre inviter à un débat sur la violence l’aristocratie et le clergé, mais surtout pas le petit peuple des enseignants de terrain, dont les doléances casseraient les oreilles des institutionnels (9). Fatigant de se faire insulter par des zéros qui ne multiplient que parce qu’ils lèchent le cul des ministres, comme l’écrit (presque) le cardinal de Retz.

Oui, fatigant : mais je ne renoncerai pas pour autant.

Jean-Paul Brighelli

(1) Michaud a dû rester en bons termes avec Aillagon, qui avait inventé en 2000 l’Université de tous les savoirs et lui en avait confié l’animation. Et dont il défend sur son blog la sinécure, au château de Versailles, et pour ce faire, injurie au passage Darcos (http://traverses.blogs.liberation.fr/yves_michaud/2010/03/tu-me-rends-le-travail-je-te-donne-versailles.html), ce qui n’était pas obligatoire — à moins d’y voir le coup de pied de l’âne d’un ambitieux envers un homme qui ne peut plus lui faire barrage — ou une manœuvre organisée pour contrer le projet présidentiel (pour info, Darcos n’a rien demandé, lui). « Copains et coquins » — ce sont des lieux communs qui ne vont guère à un homme qui a su, toute sa vie, jouer de ses amitiés pour phagocyter les institutions (http://fr.wikipedia.org/wiki/Yves_Michaud_(philosophe) : Michaud est un apparatchik typique de la Fabrique, le Crétin majuscule auquel, principe de Peter oblige, on confie des tâches pour lesquelles il n’a nulle compétence. Que Chatel puisse lui faire confiance en dit long sur la déliquescence du parti au pouvoir, ou l’incapacité des hommes qui le composent. La raclée se profile, en 2012.

(2) Ce dont on l’a récompensé en le nommant à la tête de la DGESCO. Il avait déniché Sébastien Clerc dans son rectorat, il l’a propulsé avec lui. C’est drôle, toutes ces boussoles, au ministère, qui indiquent le sud.

(3) http://www.sauvonsluniversite.com/spip.php?article327

(4) C’est une vieille blague de Groucho Marx, réacclimatée par Woody Allen au début d’Annie Hall.

(5) http://traverses.blogs.liberation.fr/

(6)http://traverses.blogs.liberation.fr/yves_michaud/2010/03/mensonges-sur-léducation.html

(7) http://www.dailymotion.com/video/xm4ph_profs-segolene-en-off_school

(8) http://www.fdesouche.com/articles/78412/comment-page-1

(9) J’emprunte la métaphore au communiqué du SNALC sur le sujet — et je salue au passage ses rédacteurs : http://www.snalc.fr/affiche_article.php?actu=1&id=407&id_rep=281

2 commentaires

    • Vous savez que ce texte remonte à plus de six ans ? Que les commentaires ont disparu quand je suis passé du Midi Libre à Causeur ? Vous vous réveillez maintenant ? Pff…

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