Le Média pix

« Le problème des journalistes, c’est qu’ils sont tous de gauche », me suis-je mille fois entendu dire. Eh bien, la preuve que non, ce n’est pas cela le problème.

J’ai toujours considéré, pour ma part, que ce qu’il fallait reprocher aux journalistes n’était pas leur positionnement politique mais leur posture de discours. Celle-ci inclut leur attitude moralisatrice, leurs partis-pris présentés comme des évidences indiscutables et l’hypocrisie qui leur fait prétendre que leurs opinions politiques n’ont pas d’impact sur leur propos.

J’avais cru comprendre que ce type de critiques suffisait pour se faire inclure dans la terrible fachosphère, cette « nébuleuse » dont un récent ouvrage a montré le caractère hétéroclite, tout en mettant en évidence que le seul critère constant commun et fachosphèreidentifiable de cette galaxie des fascistes n’était pas un marqueur idéologique clair (dur, entre le Salon Beige et Quenel+…) mais une opposition systématique aux médias, entendez aux médias autorisés. Pour ceux que cette expression indispose, je précise qu’un média autorisé est, selon moi, un média que l’on a le droit de citer dans une revue de presse : par exemple, Claude Askolovitch a été rappelé à l’ordre pour avoir cité fdesouche dans sa revue de presse, sur France Inter, comme en d’autres temps mais sur la même antenne, Fabrice Le Quintrec avait découvert qu’il n’avait pas le droit de citer Présent dans la sienne.

Le seul critère constant et incontestable d’appartenance à la fachosphère étant donc le fait de se méfier du discours médiatique dominant, j’avais fini par me faire à l’idée que je devais bien, moi-même, être quelque part un petit peu fasciste. Du moment que l’on s’accorde sur ce que l’on entend par là, à la limite, cela ne me dérange pas.

Mais les médias de référence oseront-ils inclure Le Média dans la fachosphère ? Il y a fort à parier que non, sauf peut-être si le côté dieudonnesque de la France Insoumise (dont le Média est l’organe d’information officiel) venait à s’accentuer encore.

Pour l’heure, l’émergence du Média, sorte de TVLibertés de gauche, donne une audience et une visibilité à un discours habituellement, et trop facilement, associé à l’extrême droite. Dans la démarche qu’adopte le Média apparaît en creux une critique des médias dominants :

. Le Média s’affiche comme « engagé » et ses concepteurs n’hésitent pas à dénoncer l’hypocrisie du mythe de la neutralité journalistique.

Il est d’ailleurs incroyable que le Média ait à se défendre d’être la Pravda parce que, mis à part son positionnement politique très à gauche, il s’apparente bien moins a priori à un organe de propagande de masse que Cnews Matin, par exemple. Ce qui est perturbant, à la limite, c’est le choix du nom : le Média, comme s’il avait vocation à devenir le média par excellence, éclipsant les autres médias. Mais sinon, comment ne pas voir qu’un gratuit distribué dans le métro et dévoré machinalement sans esprit critique (tellement on est persuadé de n’y trouver rien que de bien innocent) est bien plus susceptible de formater les esprits qu’un média qui se revendique engagé et assume la subjectivité comme mode de fonctionnement ?

. Le Média se présente comme « vraiment progressiste », ce qui incite à déduire que les autres médias, contrairement à ce qu’il est d’usage d’affirmer, ne le sont pas réellement. J’ai, pour ma part, déjà essayé de montrer que le progressisme des médias était très mesuré et, pour cette raison, cousu d’incohérences ou d’arrangements de langage.

. Le Média, en refusant de « répéter du prémâché » (Aude Rossigneux), condamne là ce que j’avais appelé « le syndrome AFP ».

. Le Média dénonce l’hypocrisie des journalistes qui se disent de gauche (et que l’on dit tels), alors qu’ils sont totalement acquis à la logique de l’ultralibéralisme, ce qui a un impact jusque dans les choix éditoriaux (ne pas déplaire à l’actionnaire, etc).

. Enfin, le Média est porté par des gens comme Aude Lancelin qui a tenu des propos courageux et tout à fait réjouissants contre la confraternité de principe en milieu journalistique :

la critique des médias n’est pas un sport très répandu chez mes confrères. Ça passe souvent pour un manque de « confraternité ». On entend souvent ce terme-là, que je n’ai pour ma part jamais compris. Si vous êtes charcutier, devez-vous vous sentir solidaire d’un confrère qui mettrait de la viande avariée dans ses saucisses ? C’est très curieux comme idée. Personnellement, je ne me sens nullement solidaire de David Pujadas, de Ruth Elkrief ou d’Arnaud Leparmentier. Nous ne faisons tout simplement pas le même métier, eux et moi. En réalité, la « confraternité » est bien souvent une façon de se serrer les coudes, de défendre des positions de pouvoir. Aussi bien Guy Hocquenghem que Karl Kraus ou George Orwell, tous journalistes à leur façon, ont insisté sur la nécessité, pour les journalistes, de mener une critique impitoyable de leur propre profession.

Oh, nos journaleux retomberont sur leurs pieds. Si les critiques que leur adresse Le Média ne leur plaisent pas, ils se contenteront, faute d’oser rattacher ce média à la « fachosphère » (mais Causeur en fait partie alors tout le monde est bienvenu je pense), de le présenter comme « populiste » en arguant de sa proximité affichée avec un Jean-Luc Mélenchon qu’il est convenu, chez les bonnes gens de la presse, de considérer comme un individu au discours anti-média racoleur et primaire… Mais tellement vrai :

 

 

15 commentaires

  1. Il y a des journalistes de droite, bien sûr, ou dits politiquement incorrects bien entendu. Mais même eux sont marqués par une méthodologie de réflexion et de discours qui vient de la gauche (thèse antithèse foutaise entre autres…). Ces journalistes de droite à de rares exceptions sont toujours dans les multiples préventions posées avant de s’affirmer de droite, « A caca le Pen etc… » (c’est souvent de ce niveau).

    Et finalement beaucoup sont encore sous la chape de plomb idéologique bien pensante…

    • Le Média s’engage à ne pas dire la vérité…C’est un journal de propagande assumée. C’est une arme de guerre. On est prévenu. Beaucoup plus dangereux qu’un médium….

  2. Puisqu’on en est à définir quelques concepts, j’aimerais bien en savoir plus sur cet ultralibéralisme dont toute la gauche parle, mais qui reste extrêmement nébuleux.

  3. Existe-t-il un journaliste/fonctionnaire c’est à dire employé par Radio France ou France télévision
    qui prenne ses distances avec les marqueurs idéologiques de la gauche. (critique de l’immigration, de l’islam, baisse des impôts
    et du nombre de fonctionnaires, critique du mariage homosexuel, osant parler d’identité)
    Evidemment je ne parle pas de la gauche de Jean Jaurès mais de celle du ravi de la crèche bobo multiculturel et métissé.
    S’il en existe il ne doit pas avoir la vie facile, ce traitre.

  4. L’Humanité a maintenant un nouveau concurrent !
    Voila une équipe de passionnés qui a inventé le fil à couper le beurre.
    Ils sont pathétiques de conventionnalisme et montrent bien leur endoctrinement tragique à la pensée dominante qu’ils prétendent combattre. Leur crédo : les faits ne sont pas prioritaires, l’idéologie est le seul guide. Je les plaint.

    • Oui. Je ne vois que beaucoup d’ émotions enfantines. Avec trop de gaité forcé et trop de sourires surfaits. Un peu comme dans les publicités ou certaines séries americaines.

  5. Le journalisme aujourd’hui : » Mal nommer les choses, c’est ajouter au malheur du monde. »
    Autrement dit: comment noyer le poisson.

  6. L’important n’est pas le contenant mais le contenu.

    J’ai arrêté un jour de lire les pages littéraires de l’Obs, de Libé, du Monde, pour me rabattre sur le supplément littéraire du Figaro. Eh oui! Mieux écrit, plus éclectiques, de vraies plumes avec une vraie connaissance du texte traité. Leurs pages donnaient envie de lire des auteurs. Ce que je retrouve parfois dans Causeur.

    Le journaliste comme le critique littéraire n’est-il pas une espèce en voie de disparition? Entre les tabloïdes anglo-saxons et les articles décervelés proposés ici ou là, je crois sincèrement que le lecteur d’antan a su choisir. Il ne lit plus la presse. Quant à l’autre, le lecteur d’aujourd’hui, il grignote de ci-delà une info et s’en tamponne le coquillart d’en connaître l’origine.
    Un bon journaliste ne prend pas parti, reste neutre, il met en lumière un fait de société et s’il le fait avec brio, il sera lu. Orienter le lecteur, c’est le prendre pour une pomme. Le surprendre, l’émouvoir, l’intéresser, c’est le respecter.
    Conclusion: le mauvais journalisme c’est comme la politique, ça ne dure qu’un temps.

  7. Je juge de la médiocrité partisane des journalistes aux adjectifs et adverbes dont ils constellent leur propos. Une information objective est une information exclusive de ces additifs subjectifs. La méthode est radicale pour, à contrario, analysant ces ajouts, découvrir la face cachée de celui qui glose, dans l’innocence idiote de sa prolixité.

  8. Chère Ingrid,

    Votre réflexion sur le nom de cet organe m’a fait penser à celle que je me suis faîte quand les Ripouxblicains avaient modifié le nom de leur parti…

    Je vous souhaite une belle journée.

  9. Bonjour Ingrid,
    Vous qui êtes attentive aux évolutions du langage, je voudrais savoir ce que vous pensez de la prolifération du terme « problématique », employé de plus en plus comme substantif et non comme qualificatif. Cette prolifération affecte les media et les hommes politiques, mais pas seulement. Cet usage récent pose bel et bien un « problème », si j’ose encore dire : l’on est face à un problème à traiter, tandis que l’esprit construit une problématique, pour par exemple élaborer le plan d’une dissertation. Esprit simple, quand il y a un problème, j’utilise donc le terme « problème » et non le terme « problématique », réservant ce dernier terme pour l’usage qui doit être le sien.

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