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Une vigilance absolue s’impose.

Aujourd’hui, j’entre en résistance.

Il y a des mots que je ne pourrai jamais prononcer : « vivre-ensemble » ou « dérapage » en font partie, cela va de soi. Et ils ne sortent de ma bouche que quand il s’agit d’en condamner, dans le premier cas, l’existence, dans le second, les emplois aberrants que seule justifie l’idéologie sous-jacente.

Mais jamais non plus vous ne m’entendrez dire qu’il y a « un delta entre X et Y ».

Car c’est bien de cela qu’il s’agit. Actuellement se répand dans le discours de nos politiques, avec la tolérance bienveillante de nos journalistes, une utilisation surprenante du mot « delta ».

En voici un exemple ici, à 09:03 (+ une autre occurrence, similaire, plus tard dans l’entretien):

Ce n’est pas l’occurrence la plus condamnable, à dire vrai. Elle viendrait des maths, me dit-on. Vague souvenir pour moi, mais ceci me dit tout de même quelque chose:

Pour résoudre une équation du second degré, on transpose tous les termes dans un seul membre pour obtenir une écriture de la forme

ax^2 + bx + c = 0.
On calcule alors le discriminant Δ (delta) : Δ=b24ac.
Trois cas peuvent se produire : si Δ < 0, l’équation n’a pas de solution ; si Δ = 0, l’équation a une solution ; si Δ > 0, l’équation a deux solutions.

Malheureusement, je ne crois pas que ce fichu delta que l’on entend de plus en plus partout nous vienne des vénérables mathématiques. Il serait bien plutôt, je pense, un symptôme de la contamination du langage politique par celui de la finance :

Le Delta est un élément de trading primordial. Il correspond au taux de variation du prix d’une option consécutif à un mouvement de hausse du sous-jacent. Il s’agit donc du rapport de la prise de valeur de l’option
Delta = variation du prix de l’option / hausse du sous-jacent
Il matérialise la « vitesse » avec laquelle l’option prend de la valeur consécutivement à une variation du prix du sous-jacent.
La connaissance du delta d’une option permet donc à chaque instant de répondre à la question : de combien va varier le prix de mon option si le sous-jacent monte de x %.

Et il faut noter que

lorsque l’on étudie ce taux pour de très petites variations positives du spot, on représente le delta comme la dérivée du prix du call par rapport au spot.

C’est clair. Pour Emmanuel Macron, par exemple, c’est clair. Pour moi, non. Mais cela n’a pas d’importance. Tout milieu professionnel a son jargon. Ce qui m’inquiète, c’est quand le jargon de la finance vient polluer celui de tous les jours.

Ainsi, quand Christelle Dubos nous rassure en nous expliquant que « Pôle Emploi paiera le delta », on peut considérer, à la limite et parce qu’on est très bienveillant, qu’elle emploie ce mot avec le sens technique qu’il possède dans le domaine de la finance.

Mais lorsque j’entends, comme c’est le cas ces derniers temps, à l’occasion de la crise des Gilets Jaunes, que le problème réside dans « le delta entre les promesses d’Emmanuel Macron et les mesures qu’il prend depuis qu’il a été élu » et autres variantes linguistiquement indigestes, je dis halte et je redis halte (pour citer Pierre Richard dans Je ne sais rien mais je dirai tout, film culte s’il en est).

Comme beaucoup de mots qu’il faudrait supprimer du vocabulaire, ce nouveau terme en extermine d’autres : « delta » éradiquera bientôt « différence » (au sens quantitatif) et « écart ».

Ironie du sort, le désintérêt pour les langues anciennes est tel que plus personne ne sait ce qu’était initialement un delta…

Et celui du Rhône, que je me souviens avoir découvert en CE2 lors de cours sur la géographie de la France (leçons merveilleuses qui se concluaient par une évaluation sous forme de carte vide à compléter), on ne le rencontre plus en CE2, pas plus en CM1, ni en CM2. Avec un peu de chance, on le croisera en classe de 6ème, dans le cadre du thème 3 : « habiter les littoraux », même s’il est entendu qu’on insistera sur « le développement des activités industrialo-portuaires et le tourisme » (ça fait envie quand on a 10 ans…). Si j’osais, je dirais qu’il y a un delta entre les programmes d’autrefois et ceux d’aujourd’hui.

Les gamins de demain auront tous le mot « delta » à la bouche sans plus savoir ce que c’est. Le premier qui me met « delta » dans une copie a zéro direct, qu’on se le tienne pour dit.

27 commentaires

  1. Je signale aussi : Problématique (néo-crétinisme) : normalement, une problématique est un “ ensemble complexe de problèmes dont les éléments sont liés ”. En philosophie, c’est l’ “ art de bien poser un problème ”. En tant qu’adjectif, problématique signifie “ dont l’issue est douteuse ” : résultat problématique.

    Mais en tant que néo-substantif, le mot problématique est devenu tout simplement synonyme de difficulté, de problème, voire de souci pour toute une cohorte d’ignares, qui pensent que « ça fait mieux ». Untel a une problématique infantile : il a des problèmes liés à son enfance. L’artiste se sert du rire pour tenter d’installer le débat au sein de problématiques sensibles (???). Encore une fois, plus un mot est long, plus cela lui donne de l’importance. Un autre exemple, édifiant : Outre la problématique santé, le poil est donc aussi sociologique (sic ; Le Parisien point fr, 09.08.2012, divers sites P.L.C.C.). Cette juxtaposition (« problématique santé ») signale que nos contemporains commencent à perdre l’habitude de mettre des prépositions (qui est un procédé analytique), c’est-à-dire qu’ils commencent à faire du français une langue synthétique.

    A lire sur http://www.barbarisme.com/ L’abécédaire raisonné du néo crétinisme

  2. Très chère Ingrid, j’aime beaucoup vous lire et je suis 99% du temps d’accord avec ce que vous écrivez. En revanche, sur cette « problématique » (!) du delta je pense que vous vous trompez. J’ai une formation d’ingénieur (classes prépa math sup / math spé), et je vous assure que le mot delta est couramment utilisé dans « l’univers » des maths et de la physique pour signifier un écart ou une variation d’amplitude. Ce mot (sous la forme du symbole en majuscule ou en minuscule) est utilisé dans de nombreux autres cas que celui du calcul d’un discriminant. Je ne travaille pas du tout dans le domaine de la finance, et ce mot est couramment utilisé pour parler d’un écart voire d’une différence. Et cela ne date pas d’hier, puisque cela va bientôt faire 30 ans que je suis entré dans la vie professionnelle.

      • Certes, mais cela n’invalide pas ce qu’exprime Ingrid. Le mot est désormais employé par des politiques ou des journalistes en dehors de sa signification dans les domaines mathématique, physique ou financier, simplement par extension abusive, snobisme, tic médialectique. Exactement comme « problématique ».
        J’ajoute le mot « compliqué » utilisé systématiquement pour dire ardu ou difficile. « C’est un match qui va être compliqué. » Compliqué? Il faut juste marquer plus de buts qu’on en prend! Si les autres sont plus forts, ce sera difficile, c’est tout.

  3. Merci au Dr Pal dont j’approuve tout à fait la remarque sur ‘compliqué’!
    Aujourd’hui, tout est compliqué, plus rien n’est difficile.
    De même, nous n’avons plus de problèmes, nous n’avons plus que des ‘soucis’!
    Enfin, et c’est ce qui me hérisse le plus, cette manie de ponctuer
    toutes les propositions par ‘du coup’!
    Ca devient une manie, on entend ça parfois tous les dix mots!
    « Du coup, t’es arrivé à quelle heure ce matin? »
    « Tu fais quoi pour déj, du coup? »
    Exaspérant!
    Merci Ingrid de vos textes toujours revigorants!
    ML

    • Ce « Du coup » est effectivement exaspérant. Merci Mme Rocrieux de faire justice de cette abomination dans une prochaine chronique…

      • Belge récemment installé en France, ancien professeur de français dans mon pays, je suis stupéfait d’entendre mes nouveaux voisins s’exprimer. Comme vous le relevez, « du coup » et « souci(s) » apparaissent pratiquement dans chaque conversation, souvent plusieurs fois.

        Je prends de notes chaque jour. La liste s’allonge de manière impressionnante.

        Bien entendu, je ne suis pas le dernier à commettre des erreurs, sans compter les tournures et prononciations bien « nordistes ».

  4.  
    Dans le site sur le néo-crétinisme cité plus haut, une allusion au Δ delta a été faite — brièvement — dans la rubrique « Différentiel ». Finalement, il semble qu’on emploie les mots delta, différence, différentiel, écart, etc. dans le même sens.
     
    Delta fait plus branché, plus « technologique ».

  5. Je vous conseille aussi de se mettre à d’autres termes comme le ROI (pas sa majesté le roi mais le Return On Invest), l’alpha (non pas le Mâle alpha mais l’alpha correspond a delta entre la performance d’une portefeuille par rapport au rendement théorique), le béta (encore un autre delta mais cette fois par rapport à un référence comme un indice, ou le marché)….

  6. Et n’oublions pas le « effectivement » qui vient toujours mais d’une manière subjective confirmer l’opinion de celui qui s’exprime

  7. Vous lisant très régulièrement, et vous approuvant de bout en bout, je crois qu’au contraire le rappel des langues anciennes (ECLA) en jargon Educnat est un détail qui vaut son pesant d’or pour la conservation de notre culture. Le delta en maths est courant, la psychorigidité de définit par fois par « il n’a pas varié d’un iota », et le résultat d’une mesure ou d’un calcul s’écrit « à epsilon près », selon l’appareil de mesure ou l’arrondi effectué. Toutes ces lettres grecques exprimant des valeurs presque négligeables, elles valent d’autant leur pesant d’or…
    Bien à vous

  8. Bien au-delà des impropriétés du vocabulaire, c’est l’incapacité d’exprimer clairement une idée, une opinion. S’exprimer oralement se résume souvent à des phrases incomplètes, parfois deux ou trois de suite, sans verbe ni complément qui se termine par le sempiternel  » et voilà !! « .
    J’admire les gens de la rue qui sont interrogés, en Afrique, qui s’expriment dans un français très correct et parfaitement compréhensible.
    Quand le vocabulaire adéquat et l’expression correcte manquent c’est aux insultes, aux gestes aggressifs, puis à la grande violence que l’on a recours.
    Les exemples récents ne manquent pas !!

  9. D’accord avec l’excellent article et tous les commentaires; je vous propose, pour une prochaine chronique, de prendre pour cible le mot « favorisés » euphémisme de « riches ». Il véhicule l’idée que, si certains sont plus riches que d’autres, c’est uniquement par un effet du sort, comme un gain de loterie. Autrement dit, par faveur divine. J’aime à penser, dans une grande naïveté teintée d’optimisme, que les efforts paient, et que si l’on est « favorisé », c’est qu’on s’est démené…

  10. Chère Ingrid, que faites vous du terme « impacter », on n’entend plus que ça dans les infos, pour tout et rien, l’accident, l’inondation, la manif … Pourquoi pas « avoir des conséquences », ou « provoquer » ou… la langue française est si riche. Impacter, beurk !

  11. Dans le discours des politiques (repris par les médias) que pensez-vous de « Pédagogie », mis à toutes les sauces, surtout dés que le bon peuple n’a pas compris ce qu’il aurait du ?
    S’agit-il d’un synonyme de « Propagande » ou, a contrario signe-t-il un échec ou une carence de la « Propagande  » ? Ou bien doit-on entendre « Publicité », dans un contexte de Relations Publiques douces ?

    Depuis de lointaines études en Communication j’ai toujours associé les « 3 P » : le même objectif (modifier des comportements) mais avec une étiquette différente (pour des techniques identiques) selon le système de valeurs auquel on se réfère.

    Alors, avant même qu’un politique ait terminé sa phrase, les journalistes sont prêts à « décrypter  » le propos, voire même à nous « débriefer ».
    Finalement je pense que nous baignons dans la pédagogie, et que nous tenons là les nouveaux hussards noirs de la République.

  12. Le mot qui ne fait pas savent comme delta mais qui correspond à la situation est écart : l’écart entre les promesses et les actions.

  13. C’est troublant, cette vision fermée sur le delta. D’accord, peut-être est-il sorti trop souvent de son environnement naturel, plus que de son tracé, mais la moindre étude sérieuse sur quelque phénomène que ce soit, dans quelque domaine que ce soit, va immanquablement vous amener à aborder les marges d’erreur sur les constats, et plus encore les incertitudes sur les prévisions.
    Les aléas, c’est bien connu, génèrent des deltas aux dimensions insondables, mais qu’il faut bien évaluer pour les nécessités d’un développement aussi maîtrisé que possible. Les probabilités et les statistiques permettent de cerner l’état des différents deltas ( terme générique, du nom de la 4 ème lettre de l’alphabet grec Delta δέλτα) désignant de façon concise (notation mathématique généralement δ ou Δ – d, D – comme « différence » ) toute espèce de différence, différentiel, écart, marge, observé ou projeté, dans les valeurs d’une variable donnée.
    C’est l’acception générique de ce terme technique qui fait son succès dans le langage courant, et non son substrat dans le domaine des mathématiques appliquées aux phénomènes financiers. Non, la macronie et le jargon de la finance sont bien loin derrière le vieux concept technico-mathématique de « delta » , auquel toute étude prospective aura recours et fera référence. Bien loin aussi le Discriminant des équations du second degré, qui, lui aussi noté Δ, n’a rien à voir avec nos écarts de langage .
    Le facteur Pi , lui, (pi, lettre grecque π, notation mathématique désignant le rapport du π-périmètre d’un cercle à son rayon) est reconnu statistiquement comme facteur déterminant le delta entre coût initial et coût final d’un projet , ainsi que le delta relatif aux délais de réalisation, prévisionnels et réels. Ceci étant, le projet de construction du viaduc de Millau a échappé brillamment à cette loi du facteur Pi qui règne sur les deltas.

  14. Voir l’entrée « Médialecte » dans le très amusant « Bardadrac » de feu Gérard Genette. Il y répertorie toutes les perles qu’on peut entendre dans la bouche des journalistes.

  15. Chère Ingrid, votre « culture » mathématique est fort pauvre et peut-être même obsolète : à l’heure des calculettes étidie-t-on encore le delta-discriminant ? J’aimerais le savoir.
    Par contre voici …des siècles que d et delta sont utilisés comme ignitiale signifiante de différence et, plus subtilement de différence entre parts de plus en plus petites qui conduisent à l’invention puis l’utilisation des dérivées.
    Le delta est donc une valeur sûre, fondée, cohérente, imagée ….et l’étendre un peu ne présente guère de risques …
    On vous reprochera donc d’en faire …phi!

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