On dit qu’elle « appartient à la communauté Noire ».

sloane stephensEt tant pis si elle n’est même pas Noire.

 

Les « nouvelles Williams »

Sloane Stephens et Madison Keys viennent de perdre, dès le premier tour du tournoi de Wuhan. C’est une grosse déception puisque, finalistes de l’US Open de tennis (il y a quinze jours), elles apparaissaient, à en croire les médias, comme les héritières des sœurs Williams.

Pour nos journalistes, un élément majeur permet d’appuyer cette similitude, mais il est d’ordre ethnique et c’est ici que cela coince.

Sloane Stephens est incontestablement Noire, là ça colle. Mais Madison Keys, si elle a des traits qui témoignent d’un lointain métissage, est beaucoup plus pâle et, sans se considérer comme Blanche, refuse d’être identifiée comme afro-américaine :

madison keysLes médias pourraient laisser tomber ce parallèle ethnique avec les sœurs Williams et ne conserver que les points communs les plus évidents : femmes, Américaines, joueuses de tennis. Mais ce serait renoncer à une belle histoire bien racialisée comme ils aiment (enfin, comme ils aiment quand ça les arrange).

Alors tant pis si Madison Keys ne se voit pas comme Noire, elle sera Noire. Et après tout, elle est à peu près aussi claire de peau que Barack Obama qui est, rappelons-le, « le premier président Noir des États-Unis ». Dire Noir permet donc, en réalité, de souligner une origine ethnique indépendamment des caractères physionomiques par lesquels elle se manifeste. Pourquoi pas ? Il suffit d’être prévenu.

Un rond de jambe langagier

Donc admettons que Stephens et Keys soient Noires. C’est un point commun avec les sœurs Williams ; par conséquent, le journaliste tient à le préciser, d’autant que la radio ne fournit pas l’image. Mais apparemment, il ne peut pas dire : « elles sont Noires ».

Le journaliste que j’ai entendu a dit : « elles appartiennent à la communauté Noire ».

Pourquoi ne pas dire « elles sont Noires » ? Est-il honteux d’être Noir, comme il semble que certains trouvent honteux d’être juif ? Comment cet espèce de rond de jambe langagier se justifie-t-il ?

C’est un phénomène tout à fait typique des contradictions de notre temps : il est entendu que la couleur de peau n’est qu’un élément parmi d’autres de caractérisation de la personne, au même titre que la taille ou la couleur des yeux. Je suis a priori en accord avec ce point de vue : j’ai d’ailleurs habitué mes enfants à dire « Machin a la peau noire » comme on dit « Truc a les cheveux blonds ». Cette manière de dire empêche de croire que l’on a tout dit de la personne quand on a identifié sa couleur de peau. Elle rend, en outre, attentif à la nuance de chaque couleur, signe de la singularité des origines ethniques et de la généalogie de chacun. Le marron n’est pas le noir et la plupart des « Jaunes » sont, en réalité, très blancs. Au préposé du bureau des visas américains qui lui demandait sa couleur de peau, Peter Ustinov répondit : rose. Pour ma part, si j’en crois l’indication de mon poudrier, je suis beige. Quant à Keys et Stephens, ce n’est pas demain que ces deux « Noires » pourront partager le même tube de fond de teint.

Je comprends donc que l’on puisse refuser les classifications globalisantes du type les Blancs / les Noirs. Mais il faut reconnaître que ce sont là des commodités de langage qui n’impliquent aucun jugement. De même que, d’une femme qui a les cheveux blonds, on dira « elle est blonde », de même, de quelqu’un qui a la peau noire on dira « il est Noir ». C’est une qualification physique qui renvoie, dans les deux cas, à des caractères génétiques et ethniques.

Un remède pire que le « mal »

Or précisément, dans notre société, il est devenu impossible de dire « Mmes. Stephens et Keys sont Noires » sans susciter une réaction méfiante et critique du genre : et alors ? pourquoi le préciser ?

C’est bien là le problème, parce que nos journalistes ont trouvé un remède finalement pire que le supposé mal. En disant « elles appartiennent à la communauté Noire », ce qui n’était qu’une caractérisation physique devient un élément de classification. Et ce, de manière bien plus clivante que ne le serait la qualification chromatique « elles sont Noires ». On dirait qu’elles sont membres d’une espèce de club : merci de tenir votre cotisation à jour, sinon vous ne pourrez plus appartenir à la communauté Noire.

La notion de « communauté Noire » n’a rien à faire dans une description physique. C’est un concept ethnico-politique, et même beaucoup plus politique qu’ethnique.

Par souci de cohérence, il ne faudrait plus dire que Maria Sharapova est blonde mais qu’elle « appartient à la communauté blonde » :

sharapovaOn peut imaginer des variantes : « Marie-Amélie Le Fur appartient à la communauté des handicapés », etc.

marie amelie le furSi une caractéristique physique suffit pour le discours médiatique à inscrire un individu dans un « communauté », alors il ne faut pas s’étonner de la communautarisation croissante de notre monde. On pose sur le réel une grille de lecture qui, tout en prétendant que les différences n’ont aucune importance les exacerbe et réduit les individus à des appartenances communautaires supposées. C’est oublier qu’une appartenance communautaire n’est pas une donnée innée, contrairement à un trait physique. Elle suppose une adhésion consciente (éventuellement sur la base d’une similitude physique témoignant d’une origine commune). Une appartenance communautaire ne se voit pas nécessairement, mais toujours elle se revendique (en l’occurrence, Madison Keys, loin de la revendiquer, la récuse).

Quand j’entends ces journalistes qui parlent systématiquement en termes de « communautés », je dois croire que Sloane Stephens et moi ne différons pas par une simple différence de couleur de peau traduisant une différence d’origine géographique ; nous ne différons pas non plus seulement par notre masse musculaire ou notre profession. Nous sommes, de manière définitive, radicale et absolue, séparées par notre appartenance communautaire. Comment transformer le tennis en sujet politique.

13 commentaires

  1. Non, chère Ingrid,
    Pas « elle est Noire », mais « elle est noire », ni plus ni moins qu’on écrit « elle est blonde » et jamais « elle est Blonde ».
    Pourquoi cette majuscule insistante qui semble attribuer un statut particulier à la couleur de peau par rapport aux autres caractéristiques physiques?
    Flagrant délit de manque de cohérence?
    Bien cordialement et merci pour tous vos articles.
    Bernard (un Chartrain… avec majuscule dans ce cas)

  2. Petite précision sur Barack Obama qui, s’il a la peau claire, est également doté de traits de type négroïde (s’il y a peut-être un mot plus récent et moins connoté, c’était toutefois le terme ethnographique en vigueur il n’y a pas si longtemps).
    C’est aussi sur cette base (le type, et non pas la simple couleur de peau) que s’appliquait les lois de ségrégation, aux Etats-Unis comme en Afrique du Sud, afin de s’assurer que les blancs n’aient pas à fréquenter des métis aux traits « non-caucasiens ».
    Les différences de morphotypes ont toujours fasciné, et pas que les nazis.
    Flaubert se voyait quitter la Touraine pour l’Anjou à la tournure des filles.

    • Non. Je n’est pas sur le type « visible » que s’appliquaient les lois raciales aux Etats-Unis. Car la loi of the « one drop » (une goutte) s’appliquait à toute personne, brune blonde noire ou blanche qui avait dans sa lignée une « goutte de sang » d’une personne définie comme « noire ». Certaines personnes, apparemment « blanches » (comme la mère de Malcom X) se « faisaient passer pour blanches » pour trouver un travail mieux payé. C’était risqué mais ça a existé. C’est pour ça que, faire comme si être « noire » était la même chose qu’être brune ou blonde est une négation totale de l’histoire qui malheureusement, assigne des identités, même à ceux qui n’ont rien demandé. Même en France, cherchez donc un appartement ou un emploi bien payé si vous êtes considéré comme « noir ». Je vous assure que la réaction du propriétaire ou du recruteur n’est pas du tout la même que si vous étiez simplement « blonde ». La « race », on le sait, est sociale mais le fait qu’elle ne soit pas génétique ne veut pas dire qu’elle n’existe pas!

  3. Je suis d’origine Celtique, Ecossais par mon père et Breton par ma mère. Et plus jeune, j’étais plutôt rouquin. Maintenant. à 80 ans, je suis plutôt blanc et chauve. Suis-je encore membre de la « Communauté Rouquine » ?
    Ou bien de couleurs Ecossaises, comme celle de mon tartan Mac Dowall ?

  4. Est-ce pour ce genre de stupidités communautaristes que Barack Obama et sa famille sont devenus de plus en plus clairs comme M.Jackson ?
    Chère Ingrid Riocreux j’apprécie de plus en plus vos articles; je ferai juste une petite remarque pourquoi êtes vous de ceux qui appellent la réalité réel ?

  5. Cela me fait penser à un commentaire de Luis Aragones, qui essayant de motiver Reyes lors d’un entrainement de la Roja,la sélection de foot-ball espagnole,avait parlé, à propos d’un joueur qui officiait dans la Ligue Anglaise, de « negro de mierda », repris par des journalistes français en  » négro de merde ». Bien sûr, il s’agissait de « noir de merde », ce qui est assez péjoratif ainsi, sans en rajouter une couche, mais la tentation était trop forte: pourquoi ne pas porter le racisme au carré si l’occasion se présente?

  6. Mais qui nous délivrera des autocrates de la presse et de la télévision ?
    Ils croient faire le monde, refaire la société, mais qu’en connaissent-ils, encore que la majorité (?) soient d’une inculture abyssale et qui s’entend ? NADA!
    Encore merci Madame Rocrieux, pour cette tranche de bon sens!

  7. Obama noir???? Non non, mulâtre. C’est peut être un détail inavouable, mais sa mère est blanche…mais ça compte si peu…. ;-(

  8. De plus, cette notion de communauté noire est un non-sens sémantique. Une communauté, entité abstraite, ne saurait avoir de couleur. Encore que les physiciens attribuent des « couleurs » aux quarks. Honte à eux…
    En ce qui concerne les blondes, malheureusement, l’irruption des blagues sur ces personnes introduit une sorte de jugement inconscient lorsqu’on dit : « Elle est blonde ».
    Cela devient de plus en plus compliqué de parler.

  9. On se fout de savoir si elle est noire, jaune ou rouge, grande mince petite ou grosse, une personne ne se définit pas par sa couleur, sa corpulence, ou sa taille, encore moins par son appartenance ethnique, sachant que sur le plan génétique, nous sommes souvent plus proche d’un chimpanzé, que d’un autre humain, (bon j’exagère un peu, mais sur le plan empathie, les chimpanzés peuvent nous en remontrer) une personne se définit par ce qu’elle est si c’est un connard, sa couleur n’arrangera rien a l’affaire, il restera un connard.
    Nous avons deux exemples sous les yeux, Trump et Kim !!

  10. ahhhhh !……… l’hypocrisie et la lâcheté de la Gauche, c’est « quelque chose » !
    c’est un modèle du genre et elle n’a quasiment jamais été battue (sauf par la droite Chiraco- Sarkosienne…… les autres aussi)

  11. Bonjour.
    Dans un autre registre mais dans la même logique, les journalistes ont un besoin, apparemment irrépressible, d’agrémenter leurs propos de superlatifs. Ainsi, « le très attendu procès Mohammed Mehra », pourquoi « très attendu » ? par qui ? sinon par les journalistes, ça c’est facile à comprendre.
    Il y aussi « Causeur, le site sulfureux », ah bon ? Il est vrai que vos articles sentent quelque fois le soufre, votre tempérament volcanique je suppose ?
    Bien à vous.

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