Et dire qu’on m’a accusée de caricaturer les journalistes ! Sur le canal 27 de la TNT, ils se caricaturent eux-mêmes… à un degré tel qu’ils me feraient passer pour trop indulgente.
Si Franceinfo est une de mes cibles de prédilection (peut-être le média que je cite le plus fréquemment dans mon livre), ce n’est pas parce que cette radio est pire que les autres, c’est tout simplement parce que je la connais bien. C’est la bande son de mon enfance. A l’époque, France info avait un indicatif sonore tout à fait reconnaissable et chantable, composé par Gérard Calvi (le père de) : j’ai découvert récemment qu’à l’origine, de fait, il était chanté. Je mets tout le monde au défi de me fredonner le nouvel indicatif de Franceinfo, signé Jean-Michel Jarre.
Franceinfo est à présent aussi une chaîne de télévision. Je me suis efforcée de la regarder ; un peu.
Déjà, pour moi qui ai l’habitude de faire autre chose devant la télévision (recoudre les boutons, trier les chaussettes ou remplir l’album photo familial), cette chaîne est peu adaptée, un grand nombre de reportages reposant, non point sur le bon vieux principe de la voix off mais sur la diffusion de texte filmé avec un fond musical.
Si l’on n’est pas en mesure de regarder l’écran en continu, autant écouter la radio, c’est kifkif (et au moins, on choisit sa station en fonction de ses goûts musicaux).
Mais surtout, Franceinfo télé est bien moins une chaîne d’information qu’une espèce de reportage permanent et multiforme à la gloire des journalistes: voyez comme nous sommes compétents, rigoureux, réactifs, sérieux, hyperconnectés, etc.
Franceinfo, l’info au second plan
Sur cette nouvelle chaîne d’information, il est très difficile de se concentrer sur l’essentiel : l’information. Passons sur le fait que, contraints de rester debout, les pauvres présentateurs ne savent pas quelle position adopter ni que faire de leurs mains, ce qui donne, chez certains des gestes intempestifs et inutiles et des postures gênées oscillant gauchement d’un pied sur l’autre :
Mais si l’information passe au second plan, c’est surtout à cause de tout ce qui se passe au second plan (au sens propre). Le concept, c’est de filmer les coulisses, les cuisines. On voit l’idée : nous donner à voir tout ce qu’il y a derrière l’info, la ruche bourdonnante de ces héros des temps modernes, les journalistes, qui s’activent pour collecter les informations, rédiger les dépêches etc. Sur le papier, c’est vachement brillant comme trouvaille.
Mais en pratique, essayez donc de suivre ce que vous dit la dame ou le monsieur au premier plan, quand, derrière, il se passe tant de choses : l’intervenant suivant qui se prépare et s’y reprend à trois fois pour régler sa chaise, n’y parvient pas, décide donc de changer de fauteuil, une fille qui arrive avec son café et claque la bise à toute la rangée, une bande de copains qui se racontent sans doute leur week-end puisqu’ils n’éprouvent pas le besoin de s’asseoir pour travailler et semblent bien s’amuser, des techniciens qui, l’air perplexe, tirent sans fin de longs fils, un monsieur qui se gratte, une dame qui se recoiffe longuement, une autre qui se penche sur l’écran d’un collègue, nous présentant sympathiquement son arrière train:
Ah oui, il s’en passe des choses dans le studio de Franceinfo ! Dommage que toute cette agitation nous empêche de savoir ce qui se passe dans le monde.
Quand le présentateur des titres n’est pas debout devant une vitre, il se voit parfois relégué au rang de lecteur du fil twitter de la chaîne :
« là, vous voyez, ça vient d’apparaître : on apprend que etc. ». Merci, on sait lire. Même si, en fait, comme c’est écrit petit, non, on ne peut pas lire. Donc, ce dispositif ne sert rien. Comme on dit, c’est de la frime.
Et ce pauvre monsieur qui doit faire la revue de presse sportive : debout devant une tablette géante, il déclenche laborieusement sur l’écran digital le surgissement des unes et des articles qu’il veut commenter. On lui a dit : « il faut que ce soit interactif, coco ! ». Alors il y met tout son cœur : tandis qu’il parle, il fait apparaître l’outil « crayon », il choisit, après un peu d’hésitation, la couleur rouge et de son gros index mal assuré, il trace un rond autour du titre d’un article de l’Équipe. De quoi était-il question dans cet article ? Je serais incapable de le dire. La sur-élaboration de l’emballage se fait au détriment du contenu.
Le plus symbolique, en la matière, c’est, à n’en pas douter, le bulletin météo des stars du PAF. N’espérez pas savoir quel temps il fera demain, Mme Chazal est là pour faire sa promo.
M. Drucker aussi.
Le journalisme vache-qui-rit
L’impression d’être face à un documentaire sur le métier de journaliste ne tient pas seulement à la présence envahissante de l’arrière-plan où les « confrères » triment dur pour nous offrir une « information de qualité ». Elle résulte aussi du recours ultra-fréquent à la mise en abyme.
La vache qui rit porte des boucles d’oreilles sur lesquelles on voit la vache qui rit, qui elle-même porte des boucles d’oreilles sur lesquelles on voit la vache qui rit, qui elle-même etc.
Sur Franceinfo, on ne filme pas seulement le journaliste. On filme aussi la caméra qui filme le journaliste et parfois la caméra qui filme la caméra qui filme le journaliste !
Difficile de suivre le déroulement d’une interview quand on subit ce va et vient entre différents niveaux d’images, à quoi se surimposent, là encore, des commentaires écrits qui défilent sur des bandes de couleurs.
Mention spéciale à la « Séquence médias », une émission au ton « décalé » (comme ils disent), dans laquelle on voit Adrien Rohard (qui a abandonné les bêtisiers d’NRJ 12 pour devenir le bizut d’une chaîne d’info, si c’est pas triste !) se balader dans Paris en tenant sa caméra à bout de bras pour se filmer lui-même pendant qu’il parle de l’actualité des médias ; il finira par décréter qu’il a mal au bras et demandera à son invité de tenir la caméra, subversion censée être éminemment comique. Les plans saisis par ce petit appareil alternent avec des plans plus larges filmés par une autre caméra, qui nous montre donc Adrien Rohard parlant tout seul face à la caméra qu’il tient dans la main ! Je trouve cela d’un grotesque absolu mais c’est peut-être que je ne suis pas suffisamment ouverte à l’innovation et à la créativité.
Tout ce micmac distrait terriblement l’attention, empêche de se concentrer et de réfléchir. Quelle que soit l’émission ainsi conçue, quand elle s’achève, on est incapable de répéter un traître mot de ce qu’on a entendu.
La désintox qui sent l’intox
Sans surprise, ce dispositif journalisto-centré s’accompagne d’une mise en valeur du remarquable sens de la responsabilité qui caractérise cette profession (comprendre : leur propension à nous faire la morale au nom de la bonne cause).
Je ne vais pas revenir sur le scandale de la séquence de promotion du niqab qui a outré à peu près tout le monde jusqu’à l’ancienne présentatrice du JT Françoise Laborde. Je trouve cette désapprobation générale très rassurante. L’expression « journalisme de connivence » a été prononcée ; mais, comme toujours, la journaliste est peut-être seulement l’idiote utile du lobby pro-voile-intégral, au nom du vivre-ensemble. Je m’en tiendrai donc à une observation sur sa méthode : ce qui est un peu gros, quand même, c’est d’essayer de nous faire croire que cette discussion a quoi que ce soit de « naturel »/ « impromptu »/ « improvisé » (c’est tellement insistant que c’est louche). Non, quand on discute devant une caméra, il n’y a rien de naturel.
En fait, la touriste est coincée : soit elle détourne les yeux comme les autres passants et feint de ne pas s’offusquer que l’on puisse, comme l’écrit Hugues Serraf sur Atlantico , « rendre hommage aux victimes de l’islam radical en costume d’islamiste radical » ; soit elle manifeste sa colère et le piège se referme sur elle. Elle devient actrice dans un scénario dont elle ne maîtrise rien : elle ne sait pas ce qu’on va conserver de ses propos, de quels commentaires la journaliste va les accompagner, elle ne sait pas même qui est la personne à qui elle parle (une militante qui s’est rendue célèbre en attaquant la France en justice pour avoir le droit de porter le voile intégral) ni qui est l’homme qui l’accompagne (le fameux Rachid Nekkaz). Elle veut avoir l’air polie et tolérante ; contrairement à son interlocutrice, elle n’a pas l’habitude des caméras ; et puis, elle n’est pas sortie ce jour-là avec son arsenal argumentatif dans le but de venir débattre du voile intégral mais espérait sans doute seulement prendre le soleil tranquillement. Alors elle s’écrase. Que devait-elle faire? Ne pas offrir à la journaliste le gibier qu’elle était venue chercher. S’en tenir à sa première réaction (« vous n’avez pas l’impression de faire de la provoc ? ») et refuser ce « dialogue » qui n’en est pas un (Miss Je-ne-suis-pas-assez-polie-pour-parler-à-visage-découvert se croit autorisée à faire la morale : « il ne faut pas… il faut… ») ! A tous ceux qui se trouveraient un jour dans la situation de la touriste toulousaine, j’offre gratuitement cet argument imparable pour refuser poliment le « dialogue » : « je discuterais bien avec vous, madame, mais étant un peu dur d’oreille, j’aurais besoin de lire sur vos lèvres ». Imparable, je vous dis.
Franceinfo, comme à peu près tous les médias de l’infosphère et de la réinfosphère, a sa rubrique désintox. En l’occurrence, l’émission s’appelle « L’instant détox ».
Détox, oui, comme les cures à base de tisanes aux queues de cerises dont les seules conséquences constatables sont les sévères effets diurétiques. En l’occurrence, « l’instant détox » aurait plutôt de quoi donner des boutons.
On assiste à une mise en scène du journaliste en sauveur de l’humanité. Il nous donne à voir comment il conçoit son métier et comment il nous voit : des idiots, des naïfs, qui ont bien besoin du journaliste pour ne pas être victimes d’immondes manipulations.
Et pourtant, la manipulation affleure de manière assez grossière : quand Julien Pain « fait réagir » de gens sur une photo censée illustrer l’arnaque aux allocations de rentrée, ce qu’il démontre, c’est seulement que la photographie n’illustre pas ce sujet. Il croit (ou il espère) avoir démontré que l’information était fausse. Il n’y a pas d’arnaque aux allocs.
Puis quand il dénonce une fausse information trouvée sur le site Fdesouche, il espère montrer que l’extrême droite nous manipule (sous-entendu, contrairement aux médias sérieux). La vérité sortira de la bouche de ses victimes : « vous aussi ». Cette défiance est sans doute aussi la cause du nombre considérable de vents que se prend le pauvre Julien Pain.
L’intention de Julien Pain est claire : en commençant par faire réagir les gens à des informations qui se révèlent être des manipulations, il espère leur faire admettre que leurs opinions sont illégitimes, fondées sur des mensonges. Je ne crois pas me tromper en pensant qu’il ne tendra jamais sa petite tablette aux passants en leur demandant de « réagir » à la séquence niqab sus-mentionnée pour leur expliquer ensuite : « c’est une manipulation : la journaliste veut nous faire penser que etc. » Aucune chance.
Franceinfaux
Outre que Franceinfo TV vient d’être rappelée à l’ordre par la justice au motif qu’elle pratique un curieux mélange des genres entre journalistes et monteurs, plusieurs dizaines de journalistes de Franceinfo (la radio) ont tenu à faire savoir le mécontentement que leur inspire la chaîne de télévision qui risque, selon eux, de « ternir » l’image de Franceinfo. Ils font valoir, notamment, à l’appui de cette accusation, le manque de rigueur de la chaîne télé. Ainsi, alors que toutes les chaînes d’information, et Franceinfo radio elle-même, soulignaient que la prise d’otages à l’église St Leu n’était pas confirmée, Franceinfo télé la traitait comme un fait avéré. Du grain à moudre pour Julien Pain.