Alors que la décision prise par Donald Trump de retirer les États-Unis des accords de Paris fait, dans les médias, jeu égal avec les attentats de Manchester et de Londres au rayon des catastrophes, un sympathique journaliste attire mon attention sur le nom exact du ministère confié à Nicolas Hulot.

De fait, un petit « décryptage » s’imposait, qui, à ma connaissance, n’a été mené par aucun média.

On dit souvent, pour faire court, que Nicolas Hulot est ministre de l’écologie. Au moins dit-on là une chose vraie. Mais si l’on se fie à l’intitulé complet de son ministère, il est, en réalité, « ministre de la transition écologique et solidaire ».

Si un jour, j’ai à nouveau l’occasion de donner à la fac un cours sur l’adjectif, je prendrai cet exemple ou mieux, je le donnerai en devoir : « Ministre de la transition écologique et solidaire: commentez l’emploi des adjectifs ».

Je voudrais montrer ici que cette expression n’a qu’un sens très vague, voire pas de sens du tout et qu’elle sert seulement à suggérer une idée globalement positive. C’est ce que j’appelle le règne de la pensée-émoticône.

Tout est dans la connotation, c’est-à-dire dans la charge morale, ou même affective, que nous associons à chaque mot. « Transition » = Bien. « Écologique » = Bien. « Solidaire » = Bien. Donc

« transition écologique et solidaire » =

 

Maintenant, arrêtons-nous sur les termes.

« Transition »

Alors que « ministère de l’écologie » détermine simplement le champ d’action du ministre, « ministère de la transition écologique » définit  non point un domaine d’exercice mais un objectif. On est déjà dans la propagande. La pratique n’est pas nouvelle ; on pense à « ministre du redressement productif ».

« Écologique »

De deux choses l’une. Soit il s’agit d’un adjectif de relation (écologique = « qui concerne l’écologie »), soit c’est un adjectif qualifiant (écologique = « qui protège la nature »). Dans le premier cas, c’est une caractérisation objective, dans le second, une appréciation de qualité. Eh bien, là encore, on est dans la propagande, et d’une espèce fort insidieuse puisque, contrairement à ce que l’on pourrait croire au premier abord, grammaticalement, il ne peut s’agir que d’un adjectif qualifiant car :

1. « transition qui concerne l’écologie » ne veut rien dire, la preuve en est que les journalistes désignent communément Hulot comme le ministre de la transition énergétique (= « qui concerne les sources d’énergie »), ce qui est rigoureusement vrai. Et cette transition énergétique a la qualité d’être « écologique », c’est-à-dire qu’elle est dictée par une volonté de protéger la nature (donc adjectif à fonction qualifiante et non caractérisation objective du domaine d’application de la « transition »).

2. On ne peut coordonner un adjectif qualifiant et un adjectif de relation. Kézaco? C’est simple : par exemple, on ne peut pas dire : « une zone périurbaine et tranquille » ou « une voiture présidentielle et bleue ». En d’autres termes, si « écologique » désignait ici le champ d’application de la « transition », on ne pourrait pas dire « transition écologique et solidaire », il faudrait dire « transition écologique solidaire ». Donc « écologique » est ici une appréciation qualitative. Cette transition est écologique, c’est-à-dire qu’elle respecte la nature, elle est donc Bien.

 

« Solidaire »

Le mot qui m’énerve le plus…

1. D’abord, parce qu’il en a supplanté beaucoup d’autres, extrêmement variés selon les contextes : généreux, fraternel, charitable, altruiste, compatissant, etc. Quelqu’un meurt et tout le monde exprime à la famille sa solidarité. Beurk. Une équipe de foot gagne et l’on salue la solidarité qui règne entre les joueur. Beuah. Un tremblement de terre et voilà que tous les gens font preuve de solidarité pour reconstruire le village.

2. Ensuite parce que, ce faisant, il a perdu son fonctionnement propre et donc son sens. Il a été réduit, là encore, à une connotation. C’est solidaire = c’est bien.

Il faut toujours rappeler que ce mot est un terme froid, venu du lexique du droit, énonçant l’idée que deux parties font cause commune, sont solidaires l’une de l’autre. Je mets cela en italiques parce que c’est très important : on ne peut être « solidaire » point, on est forcément « solidaire de ». La solidarité doit être établie entre plusieurs instances identifiées, sinon le propos n’a aucun sens.

Alors que peut signifier « transition solidaire » ? Rien. Seulement que c’est un truc bien, qu’on ne peut pas être contre. Solidaire de qui ? De quoi ? Pas le problème.

Faisons un effort de traduction. « Solidaire » semble vouloir dire généreuse, collaborative, raisonnée, compréhensive, progressive. Grosso modo, on va lutter contre les voitures polluantes sans taxer les gens pauvres qui ne peuvent pas se payer des véhicules hybrides. « Solidaire » a donc pour fonction de compenser implicitement l’effet repoussoir que suscite l’idée de transition énergétique chez une partie de la population.

Le « et » (écologique et solidaire) est donc un « mais » qui ne s’avoue pas : écologique mais solidaire.

On est vraiment face à de la propagande, à une volonté d’influer sournoisement sur les esprits par la force, trop ignorée, de la suggestion.

Le ministère de Nicolas Hulot est le ministère du Bien, du Bien absolu. J’aimerais être là dans quelques siècles quand les professeurs d’histoire ou de langue commenteront ce genre d’expressions. Ils diront à leurs élèves ce que nous disons aux nôtres quand ils doivent traduire l’expression « Res publica » dans un texte latin écrit sous la Rome impériale : le dictionnaire ne suffit pas, il faut tenir compte du contexte idéologique, envisager l’utilisation politique des mots, parfois plus importante même que leur sens. Surtout quand on en arrive au point où de sens, il n’y a plus.

 

19 commentaires

  1. Transition énergétique ? Ou énergique ? Virez moi ces centrales nucléaires, et que ça saute ! (enfin presque)

    • Cher Julien,

      Je me permettrai de faire une réponse un tout petit peu sérieuse, pour changer de la précédente. Les bobos écologistes, qui s’imaginent que « le nucléaire c’est le mal », ne comprennent rien à l’écologie, d’une façon générale.

      Ce sont en général les mêmes qui sont contre la chasse (mais que leur steak de chez Carrouf ne dérange pas). Ou, quand il poussent leur raisonnement jusqu’au végétalisme ou au véganisme, n’oublient pas de nourrir leur chien à grand coup de croquettes (dont les protéines ne sortent pas de la cuisse de Jupiter).

      Bref, tout ce que nous (humains) réalisons s’inscrit dans un cycle. Il faut donc, si on souhaite limiter les impacts humains, réduire au maximum l’énergie non renouvelable que nous utilisons, et notamment l’énergie fossile, que nous intégrons dans « le cycle » de la planète.

      Mais le propre de l’atome, c’est que, contrairement à l’essence, il brulera, qu’il soit dans nos centrales ou dans la nature (i.e. il y a déjà eu des réaction de fusion atomique, voir Oklo). Le réchauffement lié à son usage aura lieu, qu’il soit laissé dans sa mine ou qu’on l’utilise.

      C’est donc, strictement parlant, une ressource parfaitement neutre, du point de vue du réchauffement climatique. Ce n’est ni le cas du charbon (que l’Allemagne exploite à foison pour compenser sa sortie du nucléaire), ni celui de l’essence.

      On peut discuter ensuite du cout écologique de la centrale atomique. Je ne suis pas convaincu que l’immobilisation foncière liée à la présence de panneaux photovoltaïques soit beaucoup plus pertinente.

      Ah, et pour le coût humain, l’éolien, c’est pas mal non plus. Si demain toute l’énergie humaine était produite en éolien, je suis quasi certain qu’on aurait plus de victimes annuelles qu’avec l’ensemble des accidents nucléaires réunis.

      Car les pales, ça s’entretient, et les gens qui travaillent en grande hauteur, ça peut tomber (cf les couvreurs). Ne parlons pas du massacre des oiseaux (imaginez-vous en tant qu’oiseau, vous prendre une pale d’éolienne dans la tronche).

      Bref, si Hulot c’est le bien, et le nucléaire c’est le mal, je reste convaincu que le militantisme écologique n’est rien de plus que cela: du militantisme à deux balles. Parce que la France sans le nucléaire, en hiver, j’aimerais pas y être.

      Bonne journée à vous

      • Vous êtes bien trop pragmatique pour ces gens-là. Puisqu’on vous dit que les panneaux solaires, c’est VERTUEUX ! Vous me ferez deux éoliennes et trois batteries au lithium.

      • « Ce sont en général les mêmes qui sont contre la chasse (mais que leur steak de chez Carrouf ne dérange pas). Ou, quand il poussent leur raisonnement jusqu’au végétalisme ou au véganisme, n’oublient pas de nourrir leur chien à grand coup de croquettes (dont les protéines ne sortent pas de la cuisse de Jupiter). »

        oui, et les mêmes qui hurlent contre la corrida mais refusent de condamner l’abattage hallal, beaucoup plus atroce pour l’animal.

      • j’ajouterai à cet excellent commentaire que pour éviter les transitions énergétiques qui sont toujours dissipatrices, mettons directement des voiles au tgv. Là, ce sera

  2. Chère Ingrid,

    Tant que nous sommes dans les petits noms des ministères, vous savez qu’on les abrège, en interne. De mon côté, j’attends avec impatience la création d’un « Ministère du Développement des Ressources ».

    Je vous souhaite une belle journée.

  3. Quel article jouissif… Il rejoint certaines remarques que je n’avais cependant pas poussées si loin. Faudra-t-il, en cas d’échec de Hulot, penser que c’est la transition écologique qui a foiré ou la transition solidaire? Le « et » doit-il être pris au sens de la logique mathématique ou peut-on le remplacer par « ou » ?
    Reconnaissons que « Ministère de la Transition Écologique ou Solidaire » laisserait plus de place aux explications au cas où les objectifs ne seraient pas atteints.

  4.  
    Solidaire ? C’est en effet du latin juridique (in solido : pour le tout, solidairement). Transition solidaire ? Voilà une appellation – si j’ose dire – qui ne vaut pas un sou (latin solidus : dense, massif, compact ; mais aussi pièce de monnaie, d’où « sol », « sou »).
     

  5. comme vous le soulignez, la « solidarité » a depuis lurette supplanté la charité, soupçonnée (horresco referens) d’être « chrétienne »!!!
    Or, si l’on veut bien y réfléchir, la charité (caritas, agape) est une vertu nettement plus élevée que la solidarité : je fais cela par charité signifie « je fais cela car j’aime mon prochain comme moi-même, pour l’amour de Dieu ou pour l’amour de mon prochain ». Je fais cela par solidarité signifie : » je fais cela car nous sommes solidaires, et que par conséquent, je compte bien que, le cas échéant, on me rendra la pareille (génital) »

  6. en revanche, « périurbain et tranquille », ne serait-ce pas un zeugma ? voire même un oxymore dans le 93, au sens un peu élargi d' »association de deux termes contradictoires » ?

    Et pour répondre à F Naudin : « charitable » a depuis longtemps été remplacé par « caritatif ». Le glissement de sens est celui de la l’obligation de résultat vers l’obigation de moyen. Une personne charitable met des sous dans les gobelets de clochards. Une organisation caritative quête effectivement pour les mêmes clochards, mais après qu’elle ait payé ses employés, organisés ses galas et payé ses artistes, que reste-t-il auxdits clochards ?

    • Vous pouvez extrapoler à toutes les causes qui vous envoient des bulletins de versement, à la très très grande majorité de toutes ces ONG plus ou moins officielles, à tous ces appels plus ou moins contrôlés qui font déjà fonctionner leur associations et qui versent la dîme, ou ce qui reste pour la cause qu’ils défendent.La solidarité, ça passe d’abord par le porte-monnaie alors qu’elle devrait être le fruit du coeur. Les temps changent, on appelle cela l’évolution!

  7. Quel plaisir de vous lire ! Il faut que ces gens sachent qu’ils sont démasqués ou en tous cas qu’il existe encore des personnes comme vous capables de leur tenir tête. Je vous remercie beaucoup, vos analyses me permettent d’argumenter sans colère !

  8. Pour moi aussi, c’est un plaisir de lire des commentaires d’intérêt. De Hulot à Schiappa, on écologise, on féminisme (mais pas pour le voile):
    Les ministres sont comme notre Président : pur marketing et bombe EM pour les anciens partis.
    Pendant ce temps, les Eu nous pissent au c. (pardon) en se retirant de l’accord de Paris. Les EU vont devenir le 1er exportateur de pétrole mondial en souillant le Dakota et les Etats voisins (uranium et autres déchets radioactifs retrouvés dans l’eau potable) par les déchets des compagnies pétrolières (Trump voulait dire « money first »). Pendant, donc, que la Chine, l’Afrique et l’Amérique polluent à tour de bras, nous continuons à trier nos déchets pour nous donner bonne conscience. Quelle misère !

  9. Solidaire »

    Le mot qui m’énerve le plus…
    moi c’est citoyen !!
    il manque citoyen pour faire plus bobo : écologique et solidaire et citoyen , ce n’est pas tout à fait le sujet mais solidaire et citoyen JE NE SUPPORTE PLUS !!!!!!!!!!!!!

  10. « C’est ce que j’appelle le règne de la pensée-émoticône »

    Merci pour ça, j’ai un bouquin à écrire sur ce seul sujet.

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