Mme Clinton ne lance pas de boules puantes. Trump, si.
La métaphore de la boule puante est un concept typique du vocabulaire « journaliste », dont il me paraît nécessaire d’examiner les conditions d’emploi. Encore une notion floue mais commode, peu précise mais idéologiquement chargée, qui nous aide charitablement à bien distinguer les gentils des méchants.
Contenu informatif faible
D’abord, la notion de « boule puante » ne fait pas la différence entre le vrai et le faux, entre l’accusation fondée et la pure calomnie. Ni même entre l’accusation et « l’insulte » :
Trump balance joyeusement ses boules puantes, mais il le fait avec méthode. Il réinvente en rafale les moyens de captiver son public. […] Le tweet, à ses yeux, est l’arme idéale pour balancer des insultes à distance (ce courageux n’aime pas les confrontations en face-à-face), cajoler les journalistes qui lui sont favorables, [etc]
« Lancer des boules puantes » c’est, de manière générale, s’en prendre à quelqu’un. Dans l’exemple qui suit, on se contente de noter que François Baroin n’a pas lancé de boules puantes à l’intention des adversaires de Sarkozy (ie. « n’en a pas dit de mal »):
Notons tout de même, au passage, que l’expression imagée « lancer des boules puantes » est censée relever du langage familier. Mais on la trouve dans la presse sérieuse, au même titre que « tailler un costard », comme on le voit dans l’exemple ci-dessus.
Quand on nous dit que X lance des « boules puantes » contre Y, l’information est très limitée. On ne nous indique pas si ces accusations sont fondées (dans ce cas, Y serait en tort) ou non (dans ce cas, c’est X qui aurait tort).
Ainsi, la « boule puante » accusant Emmanuel Macron de ne pas payer l’ISF est une accusation fondée :
Mais personne ne sait ce qu’il en est de la « boule puante » accusant Bill Clinton d’agression sexuelle :
La plupart du temps, les « boules puantes » mélangent le vrai, le faux et le douteux. Le grotesque et le sérieux. Ce qui importe, c’est, semble-t-il, l’idée que la « boule puante » est censée nuire à celui qu’elle vise, point barre. La boule puante signifie donc seulement que X a adressé un reproche (fondé ou non) à Y.
Par exemple, le livre qui va sortir bientôt au sujet de la gestion calamiteuse de la région Poitou-Charente par Ségolène Royal est considéré par ses proches comme une « boule puante » émanant des adversaires de la ministre :
Le vrai coupable : le lanceur
La notion de « boule puante » opère un transfert de culpabilité. Quand X jette des boules puantes contre Y, c’est Y qui est mis en accusation, théoriquement. Mais en réalité, la connotation très péjorative de l’expression dévalorise principalement X. Jeter des boules puantes n’est pas un comportement honorable. Cette expression suggère une attitude mesquine et puérile, celle du cancre dans la cour de récré :
Résultat, quand X lance des boules puantes contre Y, c’est Y qui apparaît comme une victime, quand bien même les « boules puantes » en question seraient des accusations fondées.
C’est pour cela qu’on ne trouvera nulle part écrit que Clinton lance des boules puantes.
Trump « balance des boules puantes » :
Trump « dégaine ses boules puantes » :
Mais Mme Clinton « accuse » :
Mme Clinton « dégaine » aussi mais elle, elle dégaine… un « angle d’attaque » (bof, l’expression):
…Sauf quand il n’y a pas de lanceur
Subtilité dans l’emploi de la notion de « boule puante » : quand le lanceur n’est pas précisé, c’est la cible qui a tort. Elle attire les boules puantes comme d’autres traînent des casseroles.
C’est ainsi que « les boules puantes tombent en rafales sur le candidat républicain ». Elles tombent. Toutes seules. Pas de bol.
En fait, quand les boules tombent toutes seules, qui les lance ? Je vous le donne en mille :
« Cette boule puante lancée sur le directeur de campagne » : « lancée », mais par qui ? La réponse est donnée à la dernière ligne : « selon les médias qui ressortent cette affaire ».
Clinton peut se contenter d’« accuser » (so chic !). Les journaleux balancent joyeusement des boules puantes. Comme Trump, finalement.
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