Les affaires auront été au cœur de la campagne et l’on voudrait même nous faire croire qu’elles n’ont jamais été si nombreuses. En un sens, c’est vrai.

Mais pas parce que les hommes politiques seraient devenus moins vertueux. Pour qu’il y ait une affaire, au sens péjoratif du terme (par opposition à « sens des affaires », « droit des affaires », « homme d’affaires », etc.)

  1. il faut un délit et
  2. il faut que les médias transforment ce délit en scandale.

Durant cette campagne, on a vu des affaires montées à partir de délits probables mais seulement présumés et on a vu des délits, tout aussi présumés mais nullement moins probables, qui ne devinrent jamais des affaires.

En matière de traitement médiatique inégal, on a atteint des sommets :

Fillon et Macron sont tous deux soupçonnés de détournements de fonds publics. Dans le cas de Fillon, le délit remonterait à plus de trente ans. Dans le cas de Macron, il aurait moins de trois ans et concernerait directement le financement de l’actuelle campagne. C’est un tout petit peu plus intéressant. Pourtant, sur qui s’acharne-t-on ? J’ai déjà pointé le stratagème Macron qui consista à nier une rumeur sans conséquences (et lancée par des médias russes) pour s’éviter d’avoir à répondre sur des accusations plus sérieuses (formulées par des journalistes français dans le livre Dans l’enfer de Bercy). Évidemment, son petit show a fonctionné.

Fillon et Macron sont tous deux impliqués dans une histoire de corruption aux costumes. La différence réside seulement dans le degré de jugeote des corrupteurs. Un avocat « sulfureux » (voui voui) offre des costumes à Fillon directement. Le groupe LVMH, en l’espèce la marque Vuitton, dorlote Macron mais en prêtant des vêtements à sa femme. Ils pensaient sans doute que cela passerait inaperçu. Manque de chance, on a découvert dans l’émission Quotidien que Brigitte portait du Vuitton… et l’affaire a suivi. Non, bien sûr, l’affaire n’a pas suivi.

C’est là qu’il faut se pencher sur le traitement gradué des affaires.

Dès le début, la distinction se fait sentir, entre présumé coupable et présumé innocent (selon, donc, que l’on veut nuire à la personne ou essayer de l’épargner).

  1. Fillon est « soupçonné de ». Macron est « accusé de ». Dans le premier cas, il est suspect, il suscite le soupçon. Dans le second, des gens l’accusent, il va falloir qu’ils apportent des preuves. Pour Macron, on en restera là.
  2. Le stade numéro deux, votre nom devient celui d’une affaire : « l’affaire Fillon ».
  3. Stade final, le motif de votre chute devient votre « gate » : « le Pénélope-gate ».

Le plus important est de comprendre qu’entre les « soupçons » et le « gate », il n’y a pas de nouvelles informations qui viendraient conforter la mise en cause. Le passage de l’un à l’autre est dû à un effet boule de neige : plus on en parle, plus on en parle. C’est strictement une différence de volume, celui du bruit médiatique suscité et complaisamment entretenu.

Enfin, cette campagne nous aura appris qu’il est des questions que l’on n’a pas le droit de se poser. Nous le savions déjà, mais nous en avons découvert une nouvelle : « pourquoi maintenant ? » Il paraît que c’est « complotiste » de poser cette question. Que non point : le complotisme se définit comme une attitude de l’esprit qui explique tout par des conspirations (ou par une grande conspiration). Être complotiste, c’est être adepte de l’explication par la théorie du complot. Ce n’est pas s’étonner ponctuellement d’une étrange coïncidence.

On devrait avoir le droit de s’étonner du moment auquel sort une affaire. On devrait pouvoir se demander qui est à l’origine de telle ou telle fuite. Nos journalistes disent « oh la la, Fillon se fait offrir des costumes ». Un vrai journaliste ajouterait : « Qui a révélé cela ? Quand ? Pourquoi ? » On nous oblige déjà à croire au Progrès continu. Maintenant, on voudrait nous faire croire au Hasard permanent. Encore quelques années et nous aurons un panthéon complet.

17 commentaires

  1. Demander à un conspirateur s’il croit aux complots, comme le font les journalistes (après tout, l’Histoire est pleine de conspirations qui ont réussi ou raté, mais comme on n’enseigne plus cette matière…), c’est un peu comme demander à un assassin s’il est coupable.

  2. Merci pour cette brillante analyse du traitement différencié des affaires.
    Pour ce qui est de la nouvelle arme de dissuasion intellectuelle, l’accusation de « complotisme », j’ai envie de dire que ce n’est pas parce qu’il y a des arachnophobes que les araignées n’existent pas.

  3. Chère Ingrid,

    Un complément à mon message précédent sur les « affaires ».

    Mini-Hollande déclare avoir réalisé pour 500 000 euros de travaux chez son épouse, dans une maison qui lui appartient en propre.

    https://www.facebook.com/BFMTV/videos/10155524222092784/

    Concrètement, cela revient donc à une donation entre époux.

    http://www.leparticulier.fr/jcms/c_57149/droits-de-succession-et-de-donation-entre-epoux-et-partenaires-de-pacs

    Pensez-vous que Brigitte a réglé les quelques 81 065,5 euros d’impôt relatifs à cette opération? Avec son salaire d’enseignante (que votre propre rémunération vous permettra d’apprécier)?

    Je vous souhaite une belle journée

  4. Désolé, mais vous faites exactement ce que vous reprochez aux journalistes :
    – Fillon fait l’objet d’une enquête pénale le désignant nommément et pour cinq ou six chefs d’infraction ; vous réduisez ça au seul détournement de fonds publics !
    – Macron ne fait l’objet d’aucune enquête pénale (ni enquête préliminaire ni instruction) le visant personnellement mais vous avez décidé qu’il est soupçonné de détournements de fonds publics ! L’enquête préliminaire ouverte par le parquet porte sur la violation des règles en matière de marchés publics !

    • Vous avez des connaissances juridiques précises, en particulier en procédure ? Les journalistes n’en ont pas (et ne souhaitent pas en avoir!), ce qui leur permet de tout confondre pour conclure à leur guise. Ainsi font ceux qui cherchent un argument, et non la réalité.
      Castelnau a écrit quelques articles intéressants sur le sujet dans « Causeur » pour les béotiens.

    • Vinatier, Ingrid ne fait pas le procès de Fillon ni de Macron elle se focalise sur une circonstance et regarde la différence de traitement médiatique sur cette circonstance…

      • Mon propos porte sur les approximations et les inexactitudes d’Ingrid Riocrieux. Comme elle passe son temps à les reprocher aux autres de son piédestal « universitaire », on ne devrait pas en trouver chez elle !

        Je m’en suis tenu aux faits :
        1. M. Fillon fait l’objet d’un acte de poursuite en bonne et due forme. Pas M. Macron. Or I. Riocrieux prétend qu’ils sont dans une situation identique.
        2. L’acte de poursuite et les mises en examen de M. Fillon désignent plusieurs infractions. Or, I. Riocrieux a décidé qu’il ne s’agissait que de détournement de fonds publics.
        3. Un détournement de fonds publics et une violation des règles de concurrence en matière de passation de marchés publics, ce n’est pas la même chose mais I. Riocrieux a décidé que c’était pareil.
        Je ne dis pas que M. Fillon est coupable : je dis seulement qu’I. Riocrieux ne peut pas passer son temps à reprocher aux autres de manquer de rigueur intellectuelle et faire un rapprochement fallacieux entre les situations pénales de Fillon et de Macron.

        • Le problème de la qualification juridique révèle le seul manque de l’article de Mme Riocreux : elle n’analyse que (mais c’est déjà beaucoup) l’attitude des médias installés sans connecter celle attitude aux position prises par des juges placés en embuscade dans des dispositifs adéquats. Des juges qui, au passage, ont déshonoré la Justice dans son ensemble -ce qui est une faute de bien plus lourdes conséquences que le travail classiquement larbinique et borgne des journalistes formatés dans ces nouveaux séminaires de la bien-bien-pensance que sont devenus les écoles de journalistes.

        • De fait, il y a eu lancement d’une instruction judiciaire dans le cas de Fillon. Lancement effectué avant même que le dossier à charge laissé par le PNF (créé par le gouvernement Valls) n’ait pu être matériellement lu par des juges d’instruction dont au moins deux sont syndiqués au Syndicat de la Magistrature (non majoritaire, classé très à gauche). On a probablement jamais vue instruction lancée si rapidement.

          A l’inverse, les demandes de l’équipe de Fillon pour qu’une enquête soit lancée sur les très nombreuses fuites de l’affaire qui le concerne (fuites nécessairement imputables au personnel judiciaire) ont été refusées par le PNF.

          En d’autres termes : (1) une partie du parquet est orientée politiquement ; (2) ces magistrats lancent une enquête puis mettent en examen un candidat qui ne leur revient pas ; (3) ils laissent opportunément fuiter dans la presse tout ce qui peut lui nuire, jamais ce qui pourrait l’innocenter ; (4) ils refusent d’enquêter sur les fuites.

          Ne reste évidemment dans leur esprit que l’acte 5 : après sa défaite politique et une longue bataille judiciaire, un non-lieu est prononcé à l’égard de Fillon. Pour une affaire parallèle, voir l’inculpation de Woerth juste avant les élections de 2012, puis le non-lieu dont il a bénéficié quelques années plus tard.

          Et Macron pendant ce temps ? Non, Macron, rien. 1,9 millions d’Euros dépensés en 3 ans (sans investissement en retour et en admettant qu’il avait bien 500 000 € d’emprunts à rembourser, là encore sans investissement à la clef), c’est tellement habituel qu’on ne peut en aucun cas le soupçonner de fraude fiscale. Pareil quand un Bayrou est accusé par une ancienne membre du Modem de détourner de l’argent du Parlement européen au profit de son mouvement. C’est tellement anodin qu’on ne voit pas pourquoi un juge irait investiguer…

          Là aussi, on peut bien parler de deux poids et de deux mesures.

  5. Les révélations sur FILLON (comme sur LEROUX, le contre feu de gauche…) ne sortent pas d’enquêtes de journalistes. C’est un mensonge du Canard Enchaîné qui ne veut pas dire qu’il n’a servi que de boîte à lettres à une puissance peut être étrangère.

    En effet, que ce soit pour FILLON, comme pour LEROUX, les informations recueillies sur ces deux personnalités ont demandé l’emploi de matériels d’écoutes et de logiciels informatiques très sophistiqués. Pourquoi ?

    Parce que les révélations touchent :

    1* des environnements très différents (vie intime, parlement français, milieu de l’édition, milieu associatif et grand couturier)

    2* des informations complètes sur des périodes anciennes et très longues (FILLON + 15ans et LEROUX + 5 ans)

    De telles masses de renseignements supposent des intrusions lourdes dans les vies de ces personnalités, intrusions à la seule portée de “services” secrets d’Etats.

    Un service de police ou de Gie est dans l’incapacité absolue de faire ce travail.

    Ces hommes publics sont donc espionnés hors tout champ légal.

    Les US sont les seuls à avoir “l’aspirateur” des communications téléphoniques mondiales (Réseau ECHELON) donc, que cela plaise ou pas au Canard Enchaîné, il n’est ici que le bras armé d’un service secret et peut être celui des US…

  6. L’opération menée depuis février qui a été menée et soutenue de milles manières afin de faire reculer Fillon pour mettre Macron en position face à Marine Le Pen pour le second tour est le très exact équivalent d’un ==bourrage des urnes==. Si Macron devient président de la République élu au trucage universel, il sera illégitime. On devine ce qui attend notre pays. Beaucoup de Français non encore contaminés par la doxa mise en place au cours de ses quarante dernières années entreront comme moi en dissidence.

  7. Il est possible que ce que représente aujourd’hui, dans une sorte d’imaginaire collectif globalisant, monsieur Fillon soit plus insupportable que la perception immédiate attachée à monsieur Macron. Aussi, la différence de traitement que vous analysez ne serait pas la cause initiale et délibérée d’une dégradation des représentations mais plutôt une conséquence.

  8. Voici ce qu’écrit Ingrid Riocrieux :

    « Fillon et Macron sont tous deux soupçonnés de détournements de fonds publics. Dans le cas de Fillon, le délit remonterait à plus de trente ans. Dans le cas de Macron, il aurait moins de trois ans et concernerait directement le financement de l’actuelle campagne. C’est un tout petit peu plus intéressant. »

    Pardon mais quelqu’un peut-il dire à I. Riocrieux que la prescription rend IMPOSSIBLE une enquête judiciaire remontant à trente ans : sauf les crimes contre l’humanité ; sauf les infractions continues (c’est ce qui a fait que la justice s’est saisie de l’affaire URBA concernant… le parti socialiste : I. Riocrieux a-t-elle vu les archives de presse sur l’affaire URBA ?).

    Puisque personne ici ne semble vouloir être respectueux des faits, alors autant le dire : ou bien I. Riocrieux ne sait pas de quoi elle parle ou bien elle raconte n’importe quoi qui peut plaire à « droite » !

  9. En effet, le montant ridiculement faible du patrimoine de Macron au regard des différentes fonctions fort rémunératrices qu’il a exercées, devraient mettre à ses trousses tous les journalistes dits d’investigation.

    A ce sujet, on gagnera à consulter ce récent billet d’un collectif d’avocats et professeurs de droit, brillamment argumenté :
    http://fr.irefeurope.org/4427

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