On peut penser ce que l’on veut d’Edouard Philippe, c’est tout de même un homme pourvu d’un certain sens de la sobriété et de la dignité. Enfin, c’était.
En effet, manifestement, un conseiller en communication a eu l’idée de génie de lui suggérer de faire de l’humour, de se montrer en public tel qu’on dit qu’il est en privé: pince sans rire. Le résultat est pitoyable. D’abord, parce qu’un Premier Ministre qui se donne en spectacle entache de vulgarité et de dérision la fonction qu’il incarne. Ensuite, et c’est sans doute cela le pire, parce qu’il est tout à fait évident qu’Edouard Philippe préfèrerait largement le format habituel du discours au pupitre et ne semble pas du tout à son aise avec la prise de parole faussement spontanée et faussement improvisée qui constitue l’essence même du seul-en-scène réussi. On pourra voir ou revoir son discours ici, par exemple. Et on pourra constater que la performance est peut convaincante : Edouard Philippe hache les phrases, laisse de longs blancs en espérant des rires qui finissent par arriver poussivement, ménage mal ses effets, se tortille et se gratte. Nul besoin d’être spécialiste de synergologie. On souffre pour lui.
Mais les journalistes et les divers consultants en plateaux (qui sont souvent des journalistes) ont trouvé cela génial. Ils l’ont trouvé drôle, mais drôle! « Il se lâche », « il montre qu’il n’est pas le type coincé qu’on pensait », « il joue avec son image », « il prouve qu’il peut être un bon communicant » et bien sûr : « il fait le show ». Nos médias ont aidé à donner l’impression que ce numéro de comique était réussi : sitôt l’intervention finie, n’ont plus été rediffusées sur les ondes et les écrans que des versions modifiées de son sketch, dans lesquelles les blancs avaient été coupés au montage. On avait l’impression d’une prise de parole dynamique et, en effet, presque drôle. Ceux qui paraissaient prêts à blâmer le ridicule de ce discours finissent par lui trouver des qualités : ainsi, sur LCI, Christophe Beaugrand débute sa chronique (intitulée « Edouard Philippe fait le show ») sur un ton moqueur, avec une affiche imaginaire de spectacle comique mettant en scène le Premier Ministre, accompagnée d’une musique de cirque. Mais il se fait de plus en plus admiratif, salue les « talents d’imitateur » d’Edouard Philippe, rappelle que celui-ci a obtenu le « prix de l’humour politique » et finit en disant que « ce n’est déjà pas mal » que les hommes politiques arrivent à nous faire rire quand ils le font volontairement. Par opposition à Marine Le Pen ! Suit une mini-séquence surprenante, où nous sommes censés trouver la présidente du RN désopilante parce qu’elle se promène avec…un parapluie. Ce spectacle évoque à Christophe Beaugrand l’image de Mary Poppins et, lui-même doué pour l’humour, il a forgé un nom : Marine Poppins. C’est drôle, hein ?
Le texte qui accompagne la vidéo, sur le site de la chaîne, est laudatif, sans ambiguïté :
Alors qu’on le disait taciturne et très sérieux, Edouard Philippe a bien démontré dimanche dernier qu’il avait de l’humour à revendre. En déplacement au Havre, le discours du Premier ministre était semblable à celui d’un one-man-show. Il a même reçu une standing-ovation. Par ailleurs, il a aussi créé la surprise avec ses talents d’imitateur.
Seul Le Monde se montre plus mesuré :
Ce discours, exposé sur le mode du stand-up, sans pupitre, se voulait mâtiné d’un ton caustique, comme souvent chez le juppéiste.
« Ce discours »: c’était bien un discours, pas un show.
« exposé sur le mode du stand-up »: ce n’était pas un stand-up mais un dispositif de parole copiant ce type de spectacle.
« se voulait mâtiné d’un ton caustique » : « se voulait » exprime une tentative, sans dire que c’est une réussite.
« comme souvent chez le juppéiste » : finalement, à part l’absence de pupitre, rien de bien original.
Le coup du stand-up, on nous l’a déjà fait. Cela plaît toujours à la majorité des journalistes et des commentateurs de la vie politique. Gad Elmaleh a toutes ses chances en 2022.
Je suggère « peu convaincante » dans le 2ème §…
Entièrement d’accord sur le fond…Pathétique, mais presque…
Chère Madame Riocreux
Étant d’ordinaire un fervent lecteur de votre travail, j’ai une grande admiration pour l’intelligence et l’acuité avec laquelle vous démontez la mécanique vicieuse du langage ordinaire des médias. J’apprends énormément à vous lire.
Parce que pour une fois je ne suis pas d’accord avec le mauvais procès que vous faites à Edouard Philippe, je me permets modestement de vous l’écrire. En préambule je précise que je ne suis en rien affidé à LREM. J’ai une aversion instinctive pour le progressisme établi comme valeur, et dénonce avec obstination l’escroquerie intellectuelle selon laquelle ce parti serait ‘l’immaculée conception’ de la politique.
Dans le cas présent, j’ai écouté avec attention le discours d’E. Philippe et je trouve que votre critique à son endroit relève- sauf erreur de compréhension de ma part- du procès d’intention. Je pense que ce discours n’était pas préécrit, raison principale pour laquelle il est haché. Il est adressé à un public partisan évidemment acquis à la cause de l’orateur, d’où son caractère faussement familial, habituel dans ces circonstances (c’est commun dans les meetings). Les effets ‘comiques’ ne sont en effet pas brillants, mais stimulés par un public classiquement idiot (dito).
Cependant, le discours n’est pas pour autant insipide. J’ai même particulièrement apprécié l’enseignement sur l’enracinement et le dévouement citoyen qu’implique un mandat municipal, adressé à des novices en politique qui pensent que tout suffrage leur est acquis du seul fait qu’ils se prévalent d’appartenir à Emmanuel Macron… Ironie sans doute involontaire et implicite très amusante. Mais rien qui ne prouve qu’Edouard Philippe ait voulu à cette occasion tenter de rénover maladroitement sa communication ou son image comme vous le laissez entendre.
En revanche, sur la critique que vous faites des commentaires journalistiques postérieurs à cet événement, navrants de bêtise, nous tomberons facilement d’accord…
Encore une fois, je vous remercie pour vos enseignements vivifiants et vous adresse mes salutations respectueuses.