Quand Le Monde contredit Le Monde, qui doit-on croire? Petite réflexion sur la nouvelle expression en vogue dans la langue des médias.
Cette expression peut à bon droit être considérée comme un nouveau tic du parler journalistique.
Elle contient ce qu’il est convenu d’appeler une double négation (pas+sans), fait de langue dont on livre trop souvent une interprétation mathématique de type « moins par moins égale plus », autrement dit : deux négations s’annulent. C’est inexact du point de vue de la pragmatique du langage, car aucune formulation n’équivaut radicalement à une autre au point d’être interchangeable avec elle; et ce, précisément parce que le sens est autant une propriété possédée par l’expression-même que le résultat d’un processus d’interprétation lié au contexte d’énonciation. Ainsi, tout autant que « deux négations s’annulent », il serait erroné de croire, comme on le dit souvent, que la double négation produit systématiquement un effet de litote, figure par laquelle on nie l’inverse de ce qu’on affirme pour renforcer son propos: « il n’est pas dépourvu d’intelligence » signifiant alors « il est très intelligent » (je nie qu’il n’en ait pas, pour dire qu’il en a beaucoup).
Notons, avant d’examiner quelques exemples, que les journalistes ne semblent pas sensibles à la différence entre singulier et pluriel, cette expression n’apparaissant que sous la forme « pas sans risque ». Or, la logique voudrait que, si ces risques-dont-l’absence-est-exclue sont au nombre de deux ou plus, on mette un « s » à risque.
Voici répertoriés les différents usages de l’expression « pas sans risque ». On constatera qu’elle remplit les deux critères qui caractérisent les tics de la langue médiatique : inutile, elle se substitue à des tournures plus adéquates; idéologiquement marquée, elle témoigne d’une prise de parti.
_ Constat neutre: le risque existe
Dans cette configuration, « pas sans risque » relève pleinement du tic langagier puisque son emploi ne se justifie pas et remplace, sans avantage, « risqué », « périlleux », « dangereux ». On le voit ici, dans un texte qui opère une classification des niveaux de risques:
[…]
_ Litote: c’est très risqué
Admettons que certaines occurrences relèvent de la figure de style. C’est assez rare, en réalité, tant il semble clair que, dans la plupart des cas, « pas sans risque » signifie tout simplement « risqué ». Mais l’expression « pas sans risque » est parfois accompagnée d’une explicitation qui l’éclaire en lui donnant clairement valeur de litote. C’est le cas quand le gouvernement envisage de sauver sa réforme des retraites avant la présidentielle :
_ Négation polémique: on nie l’idée que le risque n’existe pas
Nier, c’est prendre position contre l’idée inverse, en l’occurrence négative (l’absence de risque). Ainsi, le troisième confinement étant assez léger, beaucoup pouvaient penser qu’il serait moins néfaste pour le moral qu’une réclusion stricte, notamment chez les enfants. L’article ici, prend le contre-pied de ce postulat:
Autre exemple, quand des candidats refusent de fusionner leurs listes en pariant sur la constance de l’abstention entre le premier et le second tour, ils considèrent que le risque réside dans la « confusion » plus que dans l’isolement. Cet article, où affleure la nostalgie des alliances à l’ancienne (désormais synonymes de trahisons et de reniements pour beaucoup d’électeurs), désapprouve cette stratégie du chacun pour soi:
_ La concession a minima
Il fallait garder pour la fin cette pirouette signée Le Monde.
Depuis le début de la crise sanitaire, nombre de méfiants (ignominieusement baptisés complotistes) s’inquiétaient des risques éventuels que présenteraient pour la santé les tests de réaction en chaîne par polymérase (PCR) réalisés par prélèvements nasopharyngés, dispositif de référence pour le diagnostic d’une infection au coronavirus. Nos médias fact-checkeurs se sont hâtés de contredire ces théories inquiétantes, sur le mode bien connu du « non, x n’est pas y » (c’est la formule officielle de dénonciation des fake-news). Comme ici, dans un article de juillet 2020:
Comme souvent dans la dénonciation des fake-news, la théorie contestée est la plus évidemment ridicule. Son invalidation est censée atteindre toutes les autres thèses, même plus subtiles et mieux étayées, qui iraient peu ou prou dans le même sens. L’idée qu’un coton-tige pourrait franchir l’os du crâne est stupide; cela n’exclut pas la possibilité que l’écouvillonnage puisse être dangereux.
De fait, en avril 2021, Le Monde relaie un communiqué de l’Académie Nationale de Médecine:
« Pas sans risque » (titre du communiqué repris tel quel par le journal, avec la précaution des guillemets) apparaît ici comme une concession aux thèses « complotistes ». On comprend que le mot « dangereux » ne soit pas employé dès le titre (il est utilisé, en revanche, dans le corps de l’article). Quand la thèse officielle dit que ces tests sont « sans risque », affirmer qu’ils ne sont « pas sans risque » évite de quantifier ce risque. Il existe, c’est tout. Et mine de rien, dans « pas sans risque », on entend « sans risque », raison pour laquelle cette expression est sans doute moins inquiétante que « risqué ».
Les complications causées par les tests nasopharyngés ne sont pas directement dues au dispositif lui-même mais à l’insuffisance des précautions qui entourent son utilisation. Or, dans un contexte où il a été massivement fait appel à du personnel peu familier de cette méthode, on peut imaginer sans peine que les erreurs entraînant lesdites complications ont pu être fréquemment commises. Quand on compare le communiqué de l’Académie Nationale de Médecine…
…aux nombreuses vidéos et images montrant la réalisation de tests PCR, on peut légitimement s’inquiéter. Voici une dame qui n’a pas du tout « le menton parallèle au sol »:
Pourtant, 3 mois après avoir relayé ce communiqué qui met en garde contre un « risque de méningite » (inflammation des membranes qui protègent le cerveau), le même site internet du Monde, par la voix de ses « Décodeurs », publie l’article suivant, où l’on reconnaît la phraséologie du fact-checking, sans la moindre allusion aux mises en garde de l’Académie de Médecine:
Quand Le Monde contredit Le Monde, qui doit-on croire?
Et pendant ce temps, la contagion se poursuit:
— Merci, Madame, pour cet article longtemps attendu, mais pour une fois je ne ferai pas de commentaire sur votre analyse de langue.
— Ce que je retiens, c’est que tout est dangereux : les prélèvements nasaux qui permettent d’échapper à la vaccination, et la vaccination qui permet d’échapper aux prélèvements nasaux toutes les soixante-douze heures.
C’est pourquoi un effondrement de la politique sanitaire actuelle est non seulement proche, mais certain, et d’autant plus certain que cette politique sanitaire est pleine à ras bord de ces incohérences, de ces conflits.
Les maladresses permanentes de la langue journalistique ne sont presque rien à côté de ça, c’est pourquoi j’ai négligé de les commenter : ils n’apportent au chaos présent que de petits bouillons.
Cordialement.
Mieux : « ELLES n’ajoutent au chaos ».