phareQue ceux qui savent lèvent la main, ne répondez pas tous en même temps.

Normalement, seuls ceux de mes lecteurs qui ont (ou ont eu récemment) des enfants à l’école primaire connaissent la réponse à cette question.

Il y en a même qui vont se dire que je débarque, parce que pour leur part, cela fait sans doute belle lurette qu’ils savent ce que veut dire « résoudre un phare ». belle luretteBelle lurette, en fait, je n’en sais rien. Peut-être est-ce tout récent : si quelqu’un pouvait me dire quand sont apparus lesdits « phares », je lui serais extrêmement reconnaissante.

Enfin, donc, voilà.

Comme de coutume, quelques semaines après la rentrée, nous parents sommes conviés à une réunion durant laquelle la maîtresse de notre enfant expose un premier bilan du niveau et de l’ambiance de la classe et précise son projet pédagogique pour le reste de l’année. Maîtresse gentille, à la fois douce et exigeante, très attachée à la posture, à la qualité d’écriture, exercices de copie, pratique régulière de la lecture à voix haute, listes de mots difficiles à apprendre, tout cela fait plaisir à entendre.

Je tique un peu en découvrant qu’en CE1, la conjugaison se limitera à l’apprentissage du présent de l’indicatif d’être et avoir et des verbes du premier groupe, avec « un petit peu de futur ». Admettons…

Mais le top, c’est les mathématiques. « Jusqu’à présent, vos enfants ont appris à faire des opérations, ils vont bientôt découvrir les phares. »

Pardon ?

Fards ? Phares ? Fars ?

La maîtresse explique. Autrefois, on disait « un problème » mais pour l’enfant, avoir un problème c’est quelque chose d’embêtant, d’angoissant. Alors, on dit « phare »: comprenez « Petite Histoire A REsoudre ».

Un instant, j’envisage de lever la main pour faire remarquer que, dans ce cas, on devrait dire « une phare ». Mais comme il m’a fallu encaisser le choc, je m’aperçois qu’on est déjà passé à autre chose. Alors je m’interroge : elle n’a pourtant pas l’air bête ni sortie de fraîche date d’une ESPE, cette brave maîtresse. Alors pourquoi mais pourquoi se sent-elle obligée d’adopter ce mot stupide de « phare » ? Que lui arriverait-il si elle persistait à dire qu’elle donne des « problèmes » à ses élèves ? Que craint-elle ? J’avoue ne pas saisir.

Se rend-elle compte que personne ne comprendra notre petit s’il explique à ses grands-parents, à la boulangère ou à qui que ce soit, que ce qu’il aime à l’école, ce sont les « phares » ? N’est-ce pas potentiellement déstabilisant/embêtant/traumatisant/angoissant pour l’enfant de constater que ce mot qui lui est familier fait écarquiller les yeux à tout le monde hors du cercle de la classe ?

Le lendemain, à la sortie de l’école, je croise ma copine Hélène (qui me lit certainement en ce moment en faisant de la broderie, du tricot, du crochet, ou je ne sais quel truc que je suis bien incapable de faire : coucou !) et je lui demande si, sérieusement, elle, qui a des enfants plus grands, a pris l’habitude de leur demander, en supervisant les devoirs : « mon chéri, as-tu réussi à résoudre ton phare ? veux-tu que je t’aide à résoudre ton phare ? etc. » Elle éclate de rire et me répond en substance : « ne t’embête pas, tu dis problème, tout le monde dit problème, de toute façon. Et tu expliques à ton enfant que les maîtresses disent phare mais que pour les gens normaux, un phare, c’est une tour avec une lumière pour guider les bateaux. »

Eh bien (là encore, certains vont dire que je me réveille bien tard mais c’est seulement qu’avant je n’étais pas concernée par les « phares ») j’ai découvert qu’il existe toute une collectionpetit phare1 de manuels de mathématiques qui s’appelle « Petit Phare ». Je les avais déjà vus dans les magasins et j’avais trouvé que c’était une drôle d’idée d’avoir inventé un personnage en forme de phare. Tout s’éclaire, si j’ose dire.

petit phare2Mais je m’inquiète : ce symbole phallique ne contribue-t-il pas à assimiler les mathématiques à une activité intellectuelle masculine ? Dans notre monde maudit où l’on oriente, paraît-il, les filles vers les filières littéraires et les garçons vers les filières scientifiques (c’est faux, j’ai dû me battre pour qu’on ne m’oblige pas à faire S), ne sommes-nous pas, avec ce personnage de Petit Phare, en train de perpétuer un immonde stéréotype de genre ? Mort aux phares. Longue vie aux problèmes !

18 commentaires

  1. Merci pour cet article. Je me fais un plaisir à poser des problèmes à mes élèves. Certes en lycée. Le phare me consterne et éteint mon enthousiasme.

  2. Comme disait Einstein, et pour rire un peu :
    – On ne résout pas les phares avec les modes de pensée qui les ont engendrés. (attaque virulente contre les architectes de phares)
    – Ce n’est pas que je suis si intelligent, c’est que je reste plus longtemps avec les phares. (aurait-il eu envie d’être gardien en pleine mer ?)
    – Ne t’inquiète pas si tu as des difficultés en maths, je peux t’assurer que les miennes sont bien plus importantes ! (Ouf, cela rassure)
    Et enfin, pour conclure :
    Deux choses sont infinies : l’Univers et la bêtise humaine. Mais en ce qui concerne l’Univers, je n’en ai pas encore acquis la certitude absolue

  3. Effectivement, un phare c’est masculin, donc pas glop.
    Je propose ceci : un.e phar.e, plus clair non ? et puis si on lui mettait une jupe à ce phare hum ? Celui de la couverture du livre qui agrémente votre article a les parties supposées génitales opportunément ensablées, ou alors c’est un non genre, pré castré.e, en attente de sa détermination sur un sexe précis ? va savoir.e (bah oui)

  4. Chère Ingrid,

    Concernant votre conclusion, entre pharus et phallus il est vrai que la différence est ténue… D’autant plus si on fait lire cette phrase à un japonais (qui confondent les « r » et les « l »).

    Il n’en demeure pas moins que l’on parle bien au départ, chez les grecs, d’une île. Sur laquelle on enverrait bien se faire voir une bonne partie de l’éducation nationale (vous non comprise, bien entendu).

    En parlant de phare, une ex compagne m’avait comparé à cela… Je ne sais pas ce qui lui est passé par la tête, mais j’avais trouvé l’image romantique.

    • Cher Bosco,

      Je ne suis pas convaincu qu’il s’agisse de phare-il-y-a-isthme (oui je sais elle est nulle, mais ferait une belle ébauche d’écriture inclusive)…

      Les personnes sont convaincues, dans la mesure où l’expression est consacrée dans le bocal dans lequel elle résident. C’est souvent le cas avec les administrations, qui emploient des abréviations pour se sentir exister, et quelque part exclure le vulgum pecus…

      Je vous souhaite une bonne journée.

  5.  
    « […] ne sommes-nous pas, avec ce personnage de Petit Phare, en train de perpétuer un immonde stéréotype de genre ? »
     
    Que répondre à ça ? C’est tout simplement pharamineux.
     

  6. Chère Ingrid, il y a un autre danger que vous ne signalez pas : à supposer que le mot « problème » transporte angoisse ou désarroi ce qui n’est pas certain ni, au cas où, général, il transporte simultanément l’idée qu’un problème a une solution et que cette solution est à portée de celui qui se donne la peine de la chercher.
    Il y a donc dans le mot « problème » une ouverture positive sur l’avenir : aussi sombre soit-il les difficultés sont là pour être résolues.
    Ça c’est un message de courage et d’espoir qui va donc disparaître : dommage !

  7.  
    Il faut ajouter que, dans le langage courant, le mot « problème » disparaît peu à peu au profit du mot « souci », souvent accompagné de l’adjectif petit. « J’ai un petit souci ». Comme si on cherchait euphémiser les choses, c’est-à-dire à fuir la réalité.
     

  8. Je viens d’en parler avec ma petite-fille, avec qui j’échange des problèmes de maths. Brillante lycéenne, elle habite aux USA et a déjà décidé de faire un doctorat de maths pour développer de nouvelles architectures d’ordinateurs et de nouveaux systèmes d’exploitation. Trilingue parfaite (English, Français, Español ), elle a essayé de comprendre pourquoi on transférerait « problème » en « phare » dans les 3 langues. Elle a finalement décidé qu’il fallait mieux en rire. Et à propos de phare, elle m’a demandé de lui expliquer la théorie des zones de Fresnel et le fonctionnement des lentilles de Fresnel. Nous n’avons pas perdu notre temps.

  9. Vous n’avez rien compris ! Car voici, pour notre plus grande joie, l’esprit des Lumières enfin de retour : ce grand phare nous éclaire donc toujours alors qu’on le croyait presqu’éteint. Mieux vaut être en face d’un phare qui nous illumine que d’un problème qui nous écrase, corrompt et désespère. Et puis, toutes les variations sont désormais possibles : changer de phare, piquer un fard (pour l’élève tricheur qui regarde sur son voisin), se manger un far (pour l’épuisé qui s’est couché trop tard) etc.
    Hélas, la modernité n’est plus comprise…Vive les euphémismes qui rendent si doux nos petits problèmes.

  10. je vois avec tristesse que personne n’a osé évoquer la célèbre Madame Putiphar… cela aurait enrichi ce colloque et lui aurait donné une allure vetero-testamentaire de bon aloi. Mais je ne me souviens plus quels étaient les problèmes de cette dame.

  11. Eh, Beh ! Ils ne sont pas sortis de l’auberge ( au pieds du phare ) à l’Education Nationale !Si donc un « Problème » est devenu un phare, qu’en sera-t-il de : « Démonstration », Hypothèse », « Théorème », « Lemme », « Conjecture », « Corrélation », « Triangulation », …..et puis bien sûr C.Q.F.D !

  12. Je ne suis qu’un très ancien « instituteur » de la promotion 53-57 d’une Ecole
    Normale, même pas encore mixte (ça eut existé!!) et à chaque fois que je rencontre des articles de ce genre, je me demande où va notre Ed Nat et l’instruction des élèves actuels. Pa étonnant qu’on veuille réformer le bac, car bientôt plus personne ne sera capable de le passer normalement, mais qu’en sera-t-il du nouveau? encore à un niveau inférieur?

  13. Professeur des écoles depuis 12 ans et plutôt informé de ce qui se passe dans la sphère pédagogique, je me permets quelques remarques ou questions:
    – d’où généralisez vous l’emploi de ce mot phare qui n’est que celui employé par un manuel? Pour votre information, je ne pense pas que plus de 5 % des classes utilisent ce manuel et même si c’est le cas n’utilisent pas forcément ce vocabulaire.
    – je suis un enseignant et je n’ai jamais utilisé, ni entendu, ni vu ce mot dans ma pratique, mes échanges ou les informations pédagogiques, sites , ressources officielles.
    – je ne suis pas plus que vous connaisseur des pratiques de l’ensemble de mes collègues mais un fervent partisan de pratiques pédagogiques que vous semblez désigné comme néfastes car jargonnantes. Ceci me permet de vous dire qu’aucun enseignant n’utilise ce vocabulaire ou ne le voit en dehors de celui qui voudrait utiliser ce manuel et s’y référer uniquement, ce qui je crois est bien rare.

    Donc quel est le but de votre article ?

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