Petits heurs et grands malheurs d’un candidat par défaut
La candidature de Vincent Peillon constitue une énigme. D’ailleurs, Vincent Peillon est en soi une énigme. Voici un homme, agrégé de philosophie, excellent connaisseur de l’œuvre de Ferdinand Buisson et de Merleau-Ponty, dont on se dit qu’il pourrait assurément enrichir le débat politique. Et, très souvent, patatras ! Le philosophe passe dans le poste . Il tente de ramasser sa pensée complexe en une ou deux formules et il ose un raccourci qui vaudrait une note très en-dessous de la moyenne à l’un de ses élèves.
Jusqu’où va-t-il descendre?
Ainsi, en une semaine, l’ancien ministre a maladroitement expliqué que la laïcité avait été instrumentalisée par Vichy pour imposer l’étoile jaune (on lira à ce propos l’excellent décryptage de Natacha Polony), que les gens de droite ressentaient une légère réticence au fait que les personnes à la peau noire se voient accorder le droit de vote, et enfin que la germanophobie française menait à la guerre, on l’avait déjà vu trois fois. Evidemment, et certains de ses amis nous l’ont fait savoir, il est inimaginable de penser que Vincent Peillon puisse penser de telles calembredaines. D’ailleurs, pour la première bourde, il avait aussitôt corrigé son propos. Nous en prenons acte : Peillon est bien trop intelligent pour penser cela. Mais pourquoi donc profère-t-il ces énormités, sommes-nous tentés de leur rétorquer ? Certains évoquent le cynisme. Nous sommes davantage tentés de privilégier la maladresse. Car Vincent Peillon n’a pas commencé à être gaffeur la semaine dernière. Sa carrière politique est jalonnée d’exemples où ce brillant sujet s’est pris les pieds dans le tapis médiatique, ce qui, du reste, est arrivé à d’autres esprits bien plus brillants mais pas toujours capables de maîtriser le terrible medium audiovisuel. Il n’avait, par exemple, pas usé de toute la diplomatie nécessaire à propos de la chasse, ce qui n’est pas forcément conseillé lorsqu’on est élu député de la Baie de Somme, avec pour résultat le saccage de sa permanence. Il avait aussi emporté un point Godwin en commentant un propos de Martine Aubry, ce qui représente un exploit inégalé. Tout cela est fort dommage car il arrive même à produire d’excellentes prestations, malheureusement entachées par une gaffe. L’autre soir, par exemple, chez Ruquier, s’il n’avait pas eu ce mot ridicule sur la germanophobie, sans doute destinée à envoyer une pierre dans le jardin de Montebourg, il aurait presque rendu une copie parfaite. Il avait notamment marqué des points lorsque la chroniqueuse Vanessa Burgraff croyait le pousser dans ses retranchements en lui reprochant de ne pas avoir suffisamment chiffré son programme. Or il avait posément démontré le ridicule du questionnement de la journaliste.
La conjuration des anti…
On pouvait légitimement penser que la candidature Peillon aboutirait à ce genre de gaffes, et qu’il n’était donc pas précisément « the right man in the right place ». On a lu que certains amis anti-Valls (et tout aussi anti-Montebourg et anti-Hamon) l’auraient poussé à être candidat, et qu’il aurait accepté malgré lui. L’ayant évoqué sur les réseaux sociaux, un ami commun m’a repris de volée, m’indiquant que Peillon avait très envie d’être candidat et qu’il n’avait rien d’un homme de paille. Il n’en reste pas moins que sa candidature a donc ravi un certain nombre de personnalités du PS qui exècrent tout autant Manuel Valls qu’Arnaud Montebourg. Ainsi on croit percevoir l’ombre de Pierre Moscovici, commissaire européen, celle d’Anne Hidalgo, maire de Paris. Et Martine Aubry ? Elle a formellement démenti avoir contribué, directement ou indirectement, à cette candidature. Du reste, on attend toujours son soutien officiel.
Pourquoi donc une grande partie de la Hollandie et même de la Mitterrandie (voir le soutien en grandes pompes apporté par Mazarine Pingeot herself), appuient un candidat dont on sait pertinemment qu’il sera catastrophique en campagne ? Osons une hypothèse, tout en martelant qu’il ne s’agit que d’une hypothèse. Anne Hidalgo et Pierre Moscovici souhaitent l’une et l’autre être candidats en 2022. Ils détestent autant Valls que Montebourg et ne veulent pas les voir, dans le souffle de la primaire, prendre le contrôle futur du PS. Ils ne peuvent pas actuellement, à cause de leurs postes respectifs, apparaître publiquement. Et ils ont sauté sur l’occasion, quand ils ont appris que Peillon voulait y aller, pensant que la candidature de ce dernier pouvait savonner la planche de Valls et Montebourg à la fois. Là-dessus, se sont agrégés tous les pro-européens quidétestent Valls, tous ceux qui le sont moins mais n’ont aucune confiance en Montebourg, et tous ceux qui aiment encore Hollande et en veulent à la fois à Valls, Montebourg, Hamon, Macron, sur le mode « ce sont des traîtres ». Et voilà comment a été construite une candidature « faute de mieux », dont on attend avec impatience les prestations lors des débats télévisés, en préparant ses réserves de pop corn.