Une nouvelle expression connaît un grand succès dans la campagne présidentielle, le droit opposable. Proposé pour le logement mais aussi pour la garde d’enfants sur la proposition de « la Ségolène Royal de la droite de dans dix ans », Valérie Pécresse (1), le droit opposable consiste à faire constater par le Juge le non-accès à un droit pour le citoyen. Le Juge peut ainsi condamner la collectivité si cette dernière ne permet pas de faire du droit formel un droit réel.

La distinction entre droits formels et droits réels, c’est Karl Marx qui l’a faite le premier, en tout cas dans ces termes. Le philosophe et économiste allemand n’avait pas complètement tort, en l’espèce. On a beau naître libres et égaux en droits, cette liberté et ces droits s’accroissent avec la bonne santé du compte en banque ; c’est évident. Il est donc du devoir de l’Etat de limiter au maximum ces inégalités des droits réels. Dans le domaine du logement,  les associations, dont certaines sont très sensibles à la dialectique marxiste, militent pour faire de ce droit formel un droit réel en le rendant opposable devant la justice. A la surprise générale, cette idée n’a pas été reprise par la Gauche institutionnelle mais par la Droite.

Comment s’est produite cette étonnante conversion ? Christine Boutin la défendait depuis longtemps mais elle criait dans le désert tant son humanisme est à rebours des préoccupations habituelles de son parti ; c’est peu dire. Dans son discours prononcé il y a quelques mois à Périgueux, Nicolas Sarkozy a repris cette idée. Ce discours a été écrit par Henri Guaino. Ayant rencontré quelques fois le personnage soit directement soit indirectement, il m’est aisé de vous en entretenir. Dans les années 1992-1994, alors que j’étais le « correspondant » du premier cercle de Philippe Séguin dans ma région, c’est sous son influence que le député d’Epinal a parlé -le premier à droite depuis longtemps- de cette disctinction entre droits formels et droits réels. Philippe Séguin, lui, n’omettait pas de citer Karl Marx quand il en parlait….Seulement, sentant la méfiance de son patron pour le pouvoir grandissant des juges et son attachement pour la Souveraineté des représentants du Peuple, Guaino n’ évoquait jamais le droit opposable quand il écrivait ces discours-là.

Et c’est là que se rejoignent, finalement pas si paradoxalement que cela, les associations proches des milieux troskistes et les zélateurs du néo-libéralisme anglo-saxon. La destruction de l’Etat reste aux coeurs des projets des deux chapelles. Pour un défenseur de la Nation, de l’Etat et de la République, au contraire, c’est par d’autres moyens qu’on réduit les inégalités réelles et les injustices : par le contrôle, par la régulation économique ; toutes choses qui sont déclarées dépassées par les partis de gouvernement d’aujourd’hui. Et pourtant… Vivions-nous dans une économie soviétique lorsqu’un contrôle des loyers était exercé par le ministre des Finances ? L’intervention étatique musclée dans le marché de l’immobilier lequel semble être devenu fou serait d’une toute autre efficacité. Mais les politiques ne veulent pas se déjuger. Ils préfèrent encombrer davantage les tribunaux sans donner de moyens supplémentaires à la Justice. Rappelons que le temps d’attente pour un jugement de tribunal administratif est de deux ans…

Là encore, la communication politique a pris le pas sur la Politique et c’est bien malheureux pour cette campagne présidentielle.

(1)

Valérie Pécresse a beaucoup de points communs avec Ségolène Royal. Enarque, elle est devenue conseillère à la présidence de la République avant de bénéficier d’une investiture sur mesure. Aujourd’hui, Nicolas Sarkozy semble faire confiance à cette chiraquienne, laquelle a bien entendu basculé dans son camp. Elle a beaucoup de talent de communication dans les média et voit clair dans certains sujets comme l’Ecole. Mais elle reste pour moi le symbole de la faiblesse de culture historique de l’énarchie. Lors du réferendum sur l’Europe, elle avait demandé un procès en révisionnisme pour Henri Emmanuelli, qui avait eu l’audace de rappeler qu’une majorité de députés socialistes avait voté les pleins pouvoirs au Maréchal Pétain. En l’occurence, il ne révisait rien du tout, il rappelait seulement un fait avéré. Valérie Pécresse l’ignorait-elle ou nous prenait-elle pour des imbéciles ? Le fait qu’elle me semble beaucoup moins méchante que Ségolène Royal me fait pencher pour la première solution.

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