Le FN, un parti pas (encore?) très «apaisé»
Dimanche, la stratégie de Marine Le Pen et Florian Philippot s’est encore déployée. La« France apaisée » que veut maintenant incarner la présidente frontiste réclame une rupture avec les habitudes prises du temps du fondateur Jean-Marie Le Pen, exclu en août dernier. C’est pourquoi un banquet républicain avait été organisé en lieu et place du défilé habituel en l’honneur de Jeanne d’Arc, même si un hommage à la Pucelle d’Orléans a été rendu par Marine Le Pen au pied d’une autre statue. Il n’était pas question de se retrouver nez à nez avec le défilé maintenu du patriarche.
Jean-Marie Le Pen a donc pu retrouver son rôle d’orateur du 1er mai, devant quelques centaines de fidèles. Parmi eux, trois élus français au parlement européen : Mireille d’Ornano, Marie-Christine Arnautu et Bruno Gollnisch qui avait affronté Marine Le Pen il y a cinq ans pour prendre la succession du président-fondateur. La direction du FN demande depuis à ces trois-là de prendre leurs responsabilités et de démissionner de leurs missions exécutives au sein du parti, motivant ce souhait par l’argument selon lequel il n’est pas logique d’assister ostensiblement à des réunions publiques dont le Front et sa présidente constituent les cibles principales.
La stratégie s’est aussi déployée sur un autre sujet sensible : le féminisme. Comme elle l’avait annoncé à plusieurs journalistes dès vendredi, Sophie Montel, eurodéputée proche de Florian Philippot, est montée au créneau lors de son discours au banquet de dimanche, se positionnant officiellement comme « l’anti-Marion », évoquant la défense par le FN du « droit de la femme à disposer de son corps », « la sanctuarisation de la contraception et la non-remise en cause de l’avortement ». Des mots que n’auraient pas reniés Laurence Rossignol ou Najat Vallaud-Belkacem. On peut parfaitement comprendre cette prise de position et d’ailleurs prendre acte de la sincérité de son auteur. On peut aussi l’analyser comme une stratégie politique toujours aussi bien huilée. Jusqu’à maintenant, le nouveau FN était très silencieux sur ces dossiers. Mi-avril, Florian Philippot comparaît même l’abrogation du mariage pour tous comme un sujet aussi intéressant que la culture du bonsaï. Il faut croire que Marion Maréchal-Le Pen occupant la scène sur le sociétal, la garde philippotiste a jugé bon de changer son fusil d’épaule et a opté pour une tactique de rééquilibrage.
Là encore, on comprend la logique politique. Le FN se prépare de plus en plus à un duel de second tour contre la droite, et il lui faut décourager les électeurs de gauche de se reporter automatiquement leurs suffrages sur le candidat LR. Apparaître comme le défenseur des femmes contre l’islam, dont un sondage récent a démontré qu’il suscitait de plus en plus de défiance dans l’électorat de gauche constitue un geste en ce sens. Le FN garde encore des marges de manœuvre importantes dans l’électorat périurbain dont les positions sur la contraception et l’avortement se rapprochent davantage de Montel (qui habite d’ailleurs une bourgade du périurbain proche de Besançon) que de Marion Maréchal-Le Pen.
L’habitude de se comporter en Caliméro face aux journalistes
Mais une stratégie a beau être huilée, il faut tout de même du sang-froid et du recul pour la mettre en musique. Et ce n’est pas vraiment ce qu’on a pu constater depuis dimanche du côté de la garde Philippot-Montel, plutôt nerveuse. C’est d’abord le journaliste de La Croix Laurent de Boissieu qui en a fait les frais. Couvrant le banquet du FN pour son journal, il a eu en effet l’audace d’entendre quelques sifflets épars au moment où Sophie Montel évoquait l’avortement et de l’écrire sur le réseau Twitter. Ne les ayant pas entendus, ou n’ayant pas voulu les entendre, Florian Philippot et quelques amis zélés se sont alors rués sur notre confrère, le qualifiant de menteur, de journaliste militant et autres compliments. On comprend assez mal, à vrai dire, ce déni du réel. Le fait qu’il n’y ait eu que quelques sifflets démontrait au contraire à la fois leur caractère minoritaire et le courage de l’oratrice de les braver. Il démontre également que le FN fait cohabiter des sensibilités différentes sur les sujets sociétaux, ce qui en fait un parti « comme les autres », et donc dédiabolisé. Mais peu importe, l’habitude de se comporter en Caliméro face aux journalistes est difficile à perdre.
Deux jours plus tard, c’est notre excellente consœur Eugénie Bastié qui l’a appris à ses dépens. Le président de la section FN de Sciences Po a débusqué un morceau de conversation privée sur Facebook où la journaliste du Figaro donnait son avis en des termes peu flatteurs (que chacun de nous peut le faire sur Facebook ou à la terrasse d’un café) sur la prise de position de Sophie Montel. Et Florian Philippot n’a pas tardé à dégainer : en gros, Bastié, c’est Rivarol. Pourtant, le numéro deux du FN connaît bien, pour avoir participé à une émission avec elle, la position d’Eugénie Bastié sur l’IVG, qui colle davantage à celle de Pier Paolo Pasolini que celle de Jérôme Bourbon. Mais peu importe ! La pécheresse est coupable. Le même bataillon que pour Laurent de Boissieu s’est mis en marche et n’a pas tardé à accuser l’ancienne stagiaire de Causeur de proximité avec les antisémites de tout poil, ce qui ne manque pas de sel, convenons-en.
On peut comprendre que l’adhésion au FN et une certaine cohabitation avec des militants du vieux Front rendent toute cette fine équipe plutôt nerveuse voire paranoïaque. On peut même deviner que cette cohabitation quotidienne est à l’origine de cette propension à voir des extrémistes de droite et des antisémites partout. Mais si on peut délivrer un message à Florian Philippot, sa garde rapprochée, et à travers eux, à Marine Le Pen, c’est celui-ci : ce n’est pas ainsi qu’ils apparaîtront de manière crédible comme les tenants d’une France apaisée.