Son “alliance” avec Macron est incompréhensible
Il est certes moins douloureux d’être déçu par quelqu’un qui a été un adversaire politique et idéologique que par quelqu’un dont vous vous sentez proche. Pourtant, François Bayrou m’a profondément déçu hier après-midi. Car, au risque de provoquer ici et là quelques quolibets, j’avais conservé pour cet homme une estime et un respect malgré tous les désaccords qui nous opposaient, en premier lieu sur la reine des batailles, celle de l’Europe. Cet homme, l’un des rares de notre vie politique à écrire encore, d’une belle plume, ses livres lui-même, a toujours montré un enracinement. Il est l’un des rares à inscrire son engagement politique dans l’histoire et la géographie de notre pays. A en connaître et en respecter sa culture et sa langue. C’est d’ailleurs au nom de cet enracinement qu’il a été le procureur le plus impitoyable de la candidature d’Emmanuel Macron, cet « hologramme » serviteur des plus gros intérêts financiers, selon ses propres mots. Il posait évidemment le bon diagnostic sur cette candidature hors-sol qui s’assumait, précisant, le front même pas rosi, que la culture française n’existait pas.
Au service de la finance et de Pierre Bergé
Ce ralliement, que François Bayrou travestit, sans doute pour s’en convaincre lui-même, en « alliance », est une trahison. Pas la trahison d’un camp, d’un secteur de l’électorat ou même d’idées, la dernière étant bien plus importante que les deux premiers. Il s’agit d’une trahison de lui-même, la plus grave. Parce qu’au fond de lui, François Bayrou sait très bien qu’Emmanuel Macron élu, il ne sera pas celui, qui, par miracle, deviendra l’adversaire déterminé des intérêts financiers et des « puissances de l’argent », puisqu’il en est précisément le serviteur zélé. Sous le Second Empire, on aurait même parlé de candidat officiel. Parce qu’au fond de lui, François Bayrou savait qu’il y avait un chemin – certes escarpé mais il connaît bien la montagne – pour une campagne justement dirigée contre les candidats liés à ces intérêts : Emmanuel Macron comme François Fillon, dont les liaisons dangereuses avec un célèbre assureur résonnaient tant avec le projet de réforme de la sécurité sociale. Que le candidat de la sagesse contre toutes les aventures, c’était lui, et que dans une campagne plus incertaine que jamais, les 40% d’indécis pouvaient finalement faire la différence.
Alors certes, il n’avait peut-être pas les moyens financiers, il ne pouvait peut-être pas prendre le risque d’être ruiné et de terminer sa carrière en dessous du seuil fatidique et symbolique des 5%. Mais à choisir, finalement, entre Fillon et Macron, n’était-il pas plus proche, par bien des égards, du Sarthois ? N’avait-il pas porté en 2012 le même projet que le candidat LR d’aujourd’hui, obsédé par le poids de la dette et de la remise en ordre des finances publiques ? N’avait-il pas plaidé à l’époque pour le même projet – sang et larmes compris ?
Au bonheur de la dame
Ce ralliement à la caricature du marketing électoral est bien piteux, François Bayrou. Vous voilà désormais avec Jacques Attali, l’homme qui peste contre l’enracinement, Pierre Bergé, l’homme qui explique qu’on peut bien prêter son utérus puisque les ouvriers prêtent leurs bras, et Patrick Drahi qui symbolise aujourd’hui la mainmise du fric sur les médias. Vous voilà condamné à subir une recomposition low-cost, et prendre le risque d’offrir à Marine Le Pen l’adversaire dont elle rêve nuit et jour.
Cette recomposition dont nous avons rêvé chacun de notre côté autour des questions centrales de l’Europe et de la mondialisation, la recomposition autour de Bayrou et Chevènement ou entre Bayrou et Guaino, oui bien sûr, cela aurait eu de la gueule, de la culture de l’érudition. Cela sentait bon la France éternelle. Mais entre Le Pen et Macron ! Vous rendez-vous compte, François Bayrou, de la défaite que vous actez ? J’en suis certain, en fait. Charles Péguy, que vous vénérez, aurait vomi le progressisme d’En Marche : cette phrase, vous l’avez confiée très récemment à une de mes consoeurs. Il y a quelques semaines, nous étions ensemble au cimetière Montparnasse pour dire adieu à William Abitbol. Vous y étiez même la seule personnalité politique de notre pays et j’avais été touché que vous fassiez le déplacement depuis Pau entre Noël et Saint-Sylvestre pour les obsèques de cet homme aux idées aux antipodes des vôtres. C’est sans doute pour cette raison que je ne voulais pas croire à ce piteux ralliement d’hier, mes sentiments l’emportant sur ma froide observation de la vie politique. Finalement, l’observateur de la vie politique peut, lui aussi, avoir ses faiblesses.