L’Europe des régions à l’épreuve du séparatisme

 

« Quoi qu’il arrive, la Corse restera européenne ». Cette déclaration avait créé un tollé il y a plus de vingt ans, alors que Pierre Joxe souhaitait à la même époque introduire la notion de « peuple corse » dans le Droit français, ce que censura fort justement le Conseil constitutionnel. C’était aussi l’époque où s’installait le fameux « comité des régions », auquel le traité de Maastricht avait donné la faculté de donner son avis sur tous les textes de la Commission européenne. L’auteur de cette déclaration, c’était Jacques Delors, le Père de l’Europe d’aujourd’hui, qui envisageait tranquillement le départ de la Corse de la République, pourvu qu’elle restât dans l’Union européenne. Ce jeu des institutions européennes avec les régions, la faculté nouvelle de ces deux échelons de se parler par-dessus l’épaule des Etats-Nations n’a pas cessé. « A Bruxelles, j’enlève le haut, et le bas à Ajaccio », plaisantait William Abitbol, conseiller de Charles Pasqua. L’Etat-Nation devait être mis à poil. Littéralement. Mais la crise financière l’a remis à la mode, et depuis, la Commission semble à la remorque. A force de passer par-dessus l’épaule de leur Etat-Nation, certaines identités régionales ont pris de l’assurance, au point de réclamer aujourd’hui l’indépendance : La Flandre avant-hier, L’Ecosse hier, la Catalogne aujourd’hui, et d’autres encore demain. L’Union européenne récolte aujourd’hui les fruits de son jeu dangereux. Elle s’affole. Voilà que les institutions de Bruxelles, enfin conscientes du danger que les séparatismes font peser sur la stabilité du continent, menacent. Ceux qui se sépareraient de leur Etat membre de l’UE, la Catalogne, comme l’Ecosse au moment de son référendum, sortiraient aussi de l’Union européenne et de l’euro. Et il faudrait à ces nouveaux Etats déposer une candidature qui prendrait des années à aboutir. De même, Nicolas Sarkozy est allé apporter son soutien aux tenants de l’unité espagnole. Il y a sept ans, le même s’était fait tancer par Madrid pour avoir reconnu unilatéralement l’indépendance du Kosovo. Les pyromanes sont devenus pompiers.

Car c’est bien d’un feu qu’il s’agit. Peut-on vraiment exclure pour l’Espagne un scénario à la yougoslave ? Songeons que si les partis favorables à l’indépendance catalane ont obtenu la majorité en sièges aux élections de dimanche, ils n’ont pas obtenu la majorité en voix. Nous sommes en présence d’une région coupée en deux moitiés de poids équivalents. Pense-t-on que Madrid acceptera une séparation de velours de type tchécoslovaque, alors que le Pays basque ne demanderait alors qu’à imiter les Catalans ? Et si finalement Madrid cédait, la Catalogne indépendante souhaitera-t-elle ensuite sa réunification ? Réclamera-t-elle Perpignan et Collioure ? Alors que de doux rêveurs pensent déjà à récupérer le FC Barcelone dans la Ligue 1 française, prenons garde à ce que notre pays ne devienne pas rapidement une victime collatérale d’une éventuelle déclaration d’indépendance catalane.

Quant à l’Union européenne, elle finirait par s’écrouler sur la tête de ses architectes imprudents, qui avaient tant pris soin d’affaiblir les murs porteurs de la construction.

4 commentaires

  1. Pleinement d’accord avec toi. Je suis Français de Flandres et je vois de moins en moins l’intérêt d’être Français. Si nos classes moyennes continuent d’abimer la société française, la Flandre française aura intérêt à rejoindre la Flandre belge dès que celle-ci sera indépendante.

  2. Je suis d’origine espagnole. Un de mes parents était catalan. Je peux donc me considérer à moitié catalan.
    Ce qui s’est passé en Catalogne, c’est l’élection du parlement de la Generalitat.
    Certes, c’est sur fond de « bras de fer » entre le gouvernement de Madrid (Rajoy) et celui de la Generalitat de Catalogne (Mas) avec la menace « d’indépendance » en l’air.
    Certes, la grave crise économique que connait l’Espagne (la Catalogne n’est pas épargnée) a donné « du grain à moudre » aux indépendantistes.
    De plus, certains politiciens qui n’étaient pas indépendantistes se découvrent sur le tard sur cette ligne (cas d’Artur Mas).
    Mais, puisque ce dernier dissout souvent le parlement catalan, on peut constater que d’élection en élection, les indépendantistes ne progressent pas.

    Élections en Catalogne.

    2010 : CIU : 38,43%
    PSC : 18,38%
    PPC : 12,37%
    ICV-EUIA : 7,37%
    ERC : 7,00%
    Citoyens : 3,39%
    Solidarité pour Indépendance : 3,29%
    Autres indépendantistes : 1,27%.

    2012 : CIU : 30,70%
    PSC : 14,43%
    ERC : 13,70%
    PPC : 12,97%
    ICV-EUIA : 9,89%
    Citoyens : 7,56%
    CUP : 3,47%
    Solidarité pour Indépendance : 1,28%

    2015 : Ensemble (junts en catalan) pour le oui : 39,54%
    Citoyens : 17,92%
    PSC : 12,74%
    Catalogne, oui on peut : 8,94%
    CUP : 8,20%
    UDC : 2,51%

  3. Que sont ces partis ?

    CIU : Convergence et Union. Alliance de la CDC (Convergence Démocratique de Catalogne) et de l’UDC (Démocratie Chrétienne). Cette alliance de centre droit a dirigé la Catalogne de 1980 à 2003 et depuis 2010. Pour 2015, l’alliance a été rompue.

    PSC : Parti Socialiste Catalan. Lié au PSOE espagnol (de Zapatero et Sanchez). A dirigé la Catalogne (en alliance avec ICV-EUIA et l’ERC) de 2003 à 2010.

    PPC : Parti Populaire Catalan. Branche du PP espagnol (d’Aznar et Rajoy).

    ICV-EUIA : Initiative pour Catalogne Verts- Gauche (Esquerra) Unie et (I) Alternative. Communistes et verts.

    ERC : Gauche (Esquerra en catalan) Républicaine de Catalogne. Parti le plus puissant pendant la République (1931-1939), des présidents catalans de l’époque (Francesc Macia et Lluis Companys). Plus faible après la mort de Franco. Ce parti autonomiste sous la République est devenu indépendantiste depuis quelques années.

    Citoyens : parti créé récemment et qui, avec Podemos, « casse » le bipartisme en Espagne. Parti centriste ? En Catalogne, il est hostile à l’indépendance.

    CUP : Candidature d’Unité Populaire. Parti d’extrême-gauche et indépendantiste.

    Ensemble pour le oui : Alliance de partis indépendantistes (c’est nouveau pour la CDC du président catalan Artur Mas). Elle comprend la CDC (avec qui l’UDC a rompu), l’ERC, des indépendantistes autrefois PSC ou ICV-EUIA. Notons que cette coalition a mis à sa tête Raul Romeva, ancien écologiste d’ICV. Mais son candidat à la tête de la Generalitat reste A. Mas. « Solidarité pour l’indépendance » soutient cette coalition.

    Catalogne, oui on, peut : Alliance de Podemos, ICV, EUIA. Sorte de Front de Gauche catalan.

    UDC : Union Démocratique de Catalogne. Parti démocrate-chrétien, dans le camp républicain pendant la guerre civile (1936-1939). Allié à CDC (dans CIU) de 1980 à juin 2015.

  4. Présidents de la Catalogne depuis l’après-franquisme.
    – 1977-1980 : Josep Tarradellas (1899-1988). Un des anciens dirigeants (ERC) de la Catalogne de 1936 à 1939. Président à la fois symbolique et négociateur du statut avec le Roi et le Premier Ministre Suarez.
    – 1980-2003 : Jordi Pujol (né en 1930), CIU. Après les 1eres élections au parlement catalan. Pujol, ancien opposant (plusieurs fois emprisonné) au franquisme était estimé. Mais, on a découvert depuis 2012 seulement que lui et sa famille ont profité de sa longue présidence pour « piquer dans la caisse », détourner des fonds publics à leur avantage, placer illégalement dans des paradis fiscaux, frauder le fisc, …
    – 2003-2006 : Pasqual Maragall (né en 1941), PSC.
    – 2006-2010 : José Montilla (né en 1955), PSC.
    – Depuis 2010 : Artur Mas (né en 1956), CDC (dans CIU de 2010 à juin 2015).

    Dernier point.
    « Nos » hommes politiques français ne portent pas chance à ceux qu’ils vont soutenir.
    – En mai 2014, Valls était à Barcelone (où il parla en catalan, sa langue natale) pour soutenir le PSC aux élections européennes. Ce parti fit son plus mauvais score en Catalogne à ce type de scrutin.
    – Récemment, Sarkozy est allé soutenir le PPC. Vous avez vu l’effondrement de ce parti en Catalogne en 2015 ?

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