Irak 2003-Syrie 2013 : l’ancien premier ministre sait faire preuve d’une vision politique à long terme – hélas seulement quand il s’agit du Proche-Orient …
Je ne doutais pas que Frédéric Taddeï, toujours en quête de ce dissensus sans lequel il n’est pas de bon débat, mettrait au menu de Ce soir ou jamais l’affaire syrienne.
C’est ce qu’il a fait dès son émission de rentrée, soit trois jours avant l’initiative russe. À l’époque (!), une intervention militaire franco-américaine semblait inévitable à tous, et même indispensable aux yeux de certains.
Ce soir-là, donc, le match s’engage entre deux expertologues aux opinions radicalement contradictoires. D’un côté, Frédéric Encel, « déjà favorable aux interventions en Irak, en Libye, en Afghanistan, au Kosovo et au Koweït », comme le présente malignement Taddeï.
Face à lui, son collègue Michel Collon, pour qui il ne saurait y avoir de « guerre juste » : elles cachent toujours leurs véritables objectifs, savez-vous, en fonction des intangibles « cinq principes de la propagande de guerre » que je ne vous ferai pas l’affront de rappeler ici.
Les deux Syriens présents sur le plateau, bien qu’hostiles l’un et l’autre à Bachar el Assad, développent des points de vue tout aussi irréconciliables.
Du côté des politiques, Elisabeth Guigou est très en beauté mais, sans mentir, son ramage ne se rapporte guère à son plumage. Elle plaide mollement pour « une intervention proportionnée, ciblée, qui contraigne Assad à négocier » – étant entendu qu’au vu des circonstances, « le pire serait de ne rien faire. »
Reprenant la balle au bond, Dominique de Villepin, lui aussi rajeuni, rappelle utilement quelles sont ces « circonstances » : « En fixant une « ligne rouge », Obama s’est lié les mains », et désormais tout le monde est bien embarrassé ! « Punir », explique l’ancien premier ministre et hôte du quai d’Orsay, « c’est du vocabulaire moral ; sûrement pas diplomatique ni stratégique ». Sinon, qui se souviendrait du nom de Talleyrand ?
La communauté internationale, poursuit-il, est tout entière suspendue à l’attente d’un « fait nouveau » qui permettrait d’éviter les conséquences prévisibles – et imprévisibles – de cette erreur d’appréciation originelle.
On n’est pas plus visionnaire ! Le lundi suivant, Obama sera le premier à saisir au vol la proposition russe de désarmement chimique de la Syrie.
Sans être un villepiniste fanatique (si ça existe), force est donc de reconnaître que le Galouzeau a tenu ce soir-là le langage de la raison. À mes yeux, c’est même le meilleur rôle de sa carrière : une reprise de celui qui avait fait son succès en 2003, face à George W. Bush, à l’affiche de Operation Iraqi Freedom.
Pour le reste, il faut bien le dire, le « spectateur engagé » que je suis ne l’a vu que dans des nanars dispensables comme la tragi-comédie Une seule solution, la dissolution ! (1997), le ballet-fantaisie Le CPE, ou Comment s’en débarrasser, ou l’interminable thriller politico-judiciare Clearstream 2. Un feuilleton étalé de 2004 à 2010, et dont les spectateurs lambda comme moi n’ont toujours pas compris le fin mot…
Mais bon, ce soir-là sur le plateau de Taddeï, Villepin fut un homme d’Etat. Ne boudons pas notre plaisir !
Article publié dans Valeurs Actuelles, le jeudi 19 septembre 2013