Emmanuel Todd, l’économiste iconoclaste, remet sèchement à leur place ceux qui ont l’euro pour seule devise…
Ce n’est pas la première fois que je vous recommande les prestations d’Emmanuel Todd à la télé, toujours fameuses. Non seulement il y fait volontiers le prof, mais face à des classes souvent indisciplinées, au lieu de s’énerver il est le premier à chahuter ! De quoi déstabiliser ses « élèves », qui confondent un peu facilement sérieux et esprit de sérieux.
Le mois dernier il était l’hôte de Mots Croisés, l’émission d’Yves Calvi, pour sa dernière avant « les fêtes » : l’ultime occasion de faire maigre ! Au menu un plat unique, l’Europe, et autour de la table, pour respecter le protocole du CSA, une Verte, une Rose, un UMP et un FN.
Heureusement, il y a Todd ! Au milieu de cet aréopage, il fait figure de Candide, voire d’ovni. Si ça se trouve, c’est même ès qualités qu’on l’a invité, pour animer un peu le ronron politicien.
Après un premier tour de table et un gros quart d’heure, le maître de céans passe donc la parole à notre E.T. Si c’était pour faire contrepoint, c’est réussi : d’emblée, Todd déclare le débat nul et non avenu ! « Inutile de se perdre dans les détails techniques. L’euro ne fonctionne pas, un point c’est tout. »
Avant même d’évoquer l’absurdité économique d’une telle assertion, comment ne pas voir qu’elle pose un problème éthique ? Florian Philippot a dit la même chose !, comme le souligne gravement l’animateur.
Ça ne l’impressionne guère, Emmanuel ! Il n’a attendu personne pour être antifasciste. Mais pour l’heure, à ses yeux, le péril est ailleurs : en tant que Français, dit-il, « je suis de plus en plus saisi par un désespoir sincère de citoyen face à la dimension tragique de notre situation ».
Outre cette évidente sincérité, ce qui frappe le plus chez Todd, c’est son insolence d’éternel Gavroche bac+12. Il faut voir comment il remet à leur place non seulement les choses, mais les gens qui en parlent. Bref florilège recueilli ce soir-là :
L’UMP de progrès Benoist Apparu, qui a bossé ses fiches, répète comme un mantra que « l’euro, ça marche ! », avec force chiffres et « éléments de langage » à la clef. Commentaire d’Emmanuel : « M. Apparu balance des théories économiques que visiblement il ne comprend pas bien lui-même. »
À la socialiste Karine Berger qui, faute de mieux, fait valoir l’Europe comme « espace de paix et de libertés » Todd répond sobrement : « Remercions nos amis Américains ! Par elle-même, l’Europe n’était arrivée à rien… »
Et pour Emmanuelle Cosse, nouvelle cheftaine des Verts, qui raconte l’Europe rêvée par les écolos, il n’aura qu’un mot : « Vous parlez de choses qui n’existent pas ! »
Insolent, l’ami Todd ? Mais c’est son rôle, et il le tient à merveille. Au-delà de ses interlocuteurs encartés, qui de toute façon ne l’écoutent pas, c’est au public qu’Emmanuel s’adresse. Il montre aux spectateurs du cirque que les lions sont empaillés.
Article publié dans Valeurs Actuelles, le mercredi 25 décembre 2013