À Guantanamo, dénonce un documentaire, la CIA torturait les prisonniers au hard rock. C’est mal bien sûr, mais les djihadistes auraient-ils vraiment préféré le recours aux bonnes vieilles méthodes ?
La musique de Rue Sésame utilisée comme instrument de torture ? Ça a l’air d’une blague, mais c’est tout ce qu’il y a de plus sérieux. Après avoir enchanté des générations de bambins dans cent vingt pays, ces aimables ritournelles ont connu une nouvelle carrière … à Guantanamo.
C’est sur cette histoire incroyable mais vraie, comme dirait Pierre Bellemare, que s’ouvre le documentaire allemand coproduit par Arte et récemment rediffusé par LCP, La musique comme instrument de torture.
Les Américains, cela dit, n’ont rien inventé. Ce sont les Chinois qui, pendant la guerre de Corée, ont systématisé le recours à ce supplice « vieux de plusieurs millénaires », apprend-on sans plus de précision. Les États-Unis se lancent alors dans un vaste programme de recherches acoustiques, « en principe pour protéger leurs soldats » ; hélas, déplore le doc, « ce guide anti-torture va devenir un manuel de tortionnaires. »
Il faut dire qu’entre temps, le 11 – Septembre est passé par là, et vous connaissez les Américains : aussitôt ils ont pris la mouche, et se sont mis à arrêter des « suspects » par grappes un peu partout… Restait à trier dans le tas et, pour faire parler tout le monde, rien de tel que d’envoyer la musique !
À Guantanamo, où tout sévice physique est théoriquement proscrit, la méthode « White noise / Loud music » fait fureur. Le suspect, attaché sur une chaise, porte une cagoule et un casque diffusant à donf des tubes de hard rock et des standards country – et parfois les deux en même temps. Ensuite, il ne reste plus qu’à laisser mijoter le client – quelques heures ou des journées entières, selon grosseur. Aussitôt cuit, il peut passer à table.
La CIA autorise jusqu’à soixante-douze heures de privation de sommeil, et un volume sonore maximum « sans dommage irréparable pour les tympans ».
Cynisme ! suggère mezza voce le commentaire. Et quand bien même ? Ça fera toujours moins de victimes que l’angélisme… N’importe quelle chanson peut rendre dingue n’importe qui : c’est une question de temps et de décibels. Personnellement, ça m’est même déjà arrivé dès la première écoute. Reste à savoir si c’est comparable au sort d’un Daniel Pearl…
Pris en otage par Al Qaïda ès qualités de « juif et espion », ce journaliste américain a été égorgé, décapité et découpé en dix morceaux – le tout pour diffusion sur internet. Gageons qu’il eût préféré se taper Metallica et Johnny Cash, même mélangés.
Telle est la limite de ce documentaire : du haut de son Aventin moral, il nous explique que la torture quelle qu’elle soit, c’est mal. Merci du scoop, mais ça on savait depuis la première fois où on est allé chez le dentiste.
À tout prendre, on préférera toujours quand même un mix Cheb Khaled/Marilyn Manson à l’égorgement. Après, au moins, on peut encore témoigner à la télé.
Article publié dans Valeurs Actuelles, le 11 décembre 2013