La gauche morale reproche à Finkielkraut d’avoir parlé de « Français de souche », mais qu’aurait-il dû dire ? « Français-non-issus-de-l’immigration » ? « Souchiens » ?
L’ « affaire » date de l’autre jeudi, sur le plateau de Des paroles et des actes (France 2). Ce soir-là l’invité de David Pujadas est Manuel Valls, et son dernier interlocuteur Alain Finkielkraut. Au terme d’un hymne enflammé à l’intégration républicaine, l’essayiste balance une phrase qui ne s’avérera « petite », c’est-à-dire énorme, que le lendemain : « (…) Il y a aussi en France une place pour les Français de souche, il ne faut pas complètement les oublier ! »
Sur le moment, personne ne moufte : ni le ministre, qui répond le plus poliment du monde, ni l’animateur qui conclut : « Merci à vous deux pour la qualité de ce débat. » Le scandale n’éclate que vingt-quatre heures plus tard, quand deux membres du Conseil national du PS, Naïma Charaï et Mehdi Ouraoui, saisissent le CSA de cette formule « inacceptable et dangereuse (…) directement empruntée au vocabulaire de l’extrême droite ».
En fait l’expression a deux cents ans d’âge, mais elle ne fait controverse que depuis qu’elle a été reprise par le Front national. Ça tombe bien : c’est précisément là que veulent en venir nos deux plaignants ! À leurs yeux, en balançant une telle phrase, Finkielkraut concourt à la « lepénisation des esprits ». Et pourquoi pas l’inverse, pour changer ?
Reste un problème de vocabulaire. Sachant que tout le monde parle impunément de « Français issus de l’immigration », comment qualifier les autres sans choquer personne ? Wikipédia, l’encyclopédie du 3e millénaire, a sa suggestion : « personnes de nationalité française n’ayant pas d’ascendance étrangère immédiate et n’étant pas issues de l’immigration récente. » Une formulation correcte à tous égards, certes, mais un peu lourde à manier dans un débat télé.
De toute façon, aux yeux des deux conseillers PS, cette distinction même est discriminatoire. « Il n’y a pas d’un côté les Français de souche et de l’autre côté les autres ! » martèle Mme Charaï, juste avant de se contredire : ces « autres » ont beau ne pas exister, ils doivent quand même « épouser la culture française et les valeurs de la République » pour devenir français.
Le dernier rebondissement, on le doit Cécile Duflot, interviewée sur Mediapart par le rédac chef des Inrocks. En si bonne compagnie, la ministre écolo se lâche : elle condamne vertement des « propos d’une violence extrême » qui l’ont « révulsée », dit-elle.
« Je suis totalement abasourdi ! » s’indigne en réponse cet éternel jeune homme de Finkielkraut : « une partie de la gauche a perdu la raison et la mémoire. »
« Une partie » seulement ? « Perdu la raison », et depuis quand ? Sur le coup, je trouve Alain bien modéré. Mais à travers lui, c’est aussi son « complice » Manuel que vise la gauche morale. N’a-t-il pas laissé passer sans broncher cette saillie crypto-lepéniste ?!
Gauche contre gauche, PS contre PS, ministre contre ministre… Depuis De Gaulle au moins, ça s’appelle d’un joli nom : La discorde chez l’ennemi.
[Publié dans Valeurs Actuelles]