Amateurs de déclarations tonitruantes, passez votre chemin ! Pendant quelques mois, pour cause d’échéances électorales, la gauche de la gauche sera un peu moins de gauche.
« PS : l’aile gauche sonne la charge ! » claironnait la bande-annonce. En invitant Henri Emmanuelli, l’autre vendredi, Zemmour et Naulleau comptaient bien le trouver vent debout contre la dérive sociale – démocrate de son parti et le virage économique négocié par le président depuis janvier.
De fait, quatre jours auparavant, sous le titre « Il n’y a pas qu’une seule politique possible », le député des Landes avait cosigné avec ses amis un véritable réquisitoire contre ce Pacte de responsabilité franco-hollandais aux propositions « déséquilibrées » et aux contreparties « floues ». Et les signataires d’appeler lyriquement la gauche à « faire vivre la promesse » du Bourget, rien que ça !
Sur le plateau de Z & N, c’est un tout autre Emmanuelli, étonnamment modéré, que découvrent nos deux compères : « Je ne conteste pas l’objectif de cette politique, mais seulement les moyens » explique le vieux briscard soudain radouci. « Je n’ai pas de doute sur la volonté de sortir ce pays de l’ornière qu’a manifesté François Mitterrand, euh pardon François Hollande ».
– Vous êtes dans un jeu de rôle, décrypte Zemmour. Vous jouez la gauche du PS parce qu’il y a des élections bientôt, mais vous le voterez, ce pacte de responsabilité !
– C’est évident ! répond l’autre sans se démonter. Je ne suis pas là pour descendre le gouvernement et la majorité. On ne tire pas dans le dos de ceux qui montent en ligne !
Moyennant quoi, c’est promis : après les municipales, les européennes et le vote de la loi, la gauche du PS brandira à nouveau son sabre de bois !
Mais à quoi bon ironiser ? Emmanuelli a-t-il le choix ? On voit mal le plus sincère des hommes de gauche enfoncer son propre camp en période préélectorale, au risque de renforcer l’adversaire : la droite bien sûr, mais surtout cette fameuse « phynance » dénoncée au Bourget. Tout ce que peut faire Henri, et ses camarades avec lui, c’est aider son parti à « ratisser large » en incarnant, même de façon purement verbale, la gauche de la gauche, pour éviter que des voix n’aillent s’égarer du côté de chez Mélenchon.
À gauche comme à droite, ça marche comme ça : la logique des blocs – c’est-à-dire le régime des partis aggravé par le scrutin majoritaire – l’emporte sur toute autre considération et écrase tout sur son passage (demandez à Dupont-Aignan).
Quant aux idées hélas, il en est de deux sortes dans ce bas monde-là : celles qu’on agite pour être élu et les autres, qui servent à gouverner (quitte à ressortir les premières pour la prochaine campagne…) Et voilà pourquoi, en fait de démocratie représentative aussi, « le désert croît », comme disait Nietzsche.
On reproche souvent aux hommes politiques de parler pour ne rien dire. Eh bien, voici venir le temps où on leur reprochera de dire quelque chose. À force de n’être pas traités, tous les sujets sont devenus explosifs ! Notre prochain président devra avoir le courage d’un démineur.
(Publié dans Valeurs Actuelles)