Pendant vingt ans, du Nouvel Obs aux Cahiers du Cinéma, Louis de Funès n’aura cessé d’être verbalisé par les gendarmes de la pensée.
« Monsieur de Funès » : sous ce titre, un récent documentaire d’Arte rend enfin l’hommage qu’il méritait à l’homme qui, trente ans après sa mort, reste un des acteurs préférés des Français.
Riches archives, témoignages et analyses variées – y compris celles d’un neurobiologiste et d’un pédopsychiatre ! Ici, on n’a pas lésiné sur les moyens pour nous faire revivre la carrière de ce musicien de bar qui s’était juré de devenir acteur.
Contre vents et marées l’artiste s’accroche et, vingt ans et cent panouilles plus tard, soudain il lui suffit de quelques minutes dans La traversée de Paris pour imposer son personnage de « M. Jambier, 45 rue Poliveau ». Fini les utilités ! Désormais, son nom devient lisible sur les affiches.
N’empêche, c’est seulement à cinquante ans que Louis accède à la notoriété. À l’été 64, il enchaîne les tournages du Gendarme, de Fantômas et du Corniaud. Une étoile est née ! qui brille encore trente ans après sa mort, non seulement en France mais dans le monde entier.
La seule chose qui lui manquera toujours, c’est la reconnaissance de la critique « intelligente ». Comme dit son biographe Bertrand Dicale, de Funès illustre bien la boutade de Sacha Guitry : « Le public l’aime ? Eh bien, il n’y a que lui qui l’aime ! »
À l’époque de la Nouvelle Vague et du Nouveau Roman, il ne fait pas bon être plébiscité par le public populaire. Michel Audiard, Georges Lautner et leur bande en feront aussi les frais – sauf que ces Tontons-là s’en tamponnent le coquillard.
En ces temps-là, « la critique autorisée était forcément progressiste et de gauche », rappelle l’historien du cinéma Jean-Baptiste Thorel, comme si ça avait changé. En tout cas, confirme Dicale, « chez les clercs, on n’aimait pas Louis de Funès ; quand j’étais en première, en 77, mon prof d’économie disait : « De Funès, c’est du cinéma pétainiste. »
Mais la bonne presse ne s’embarrasse même pas de politique pour décapiter ce pauvre Louis. « Minable », « pathétique », « vulgaire », « abject », caquette-t-on en écho du Canard aux Cahiers du Cinéma. Mais c’est le Nouvel Obs qui, déjà, nous livre l’analyse la plus pointue : « M. de Funès fait ses petites grimaces, ses petits borborygmes et ses petites galipettes de petit vieux resté jeune… »
Même ce beau texte a mal veilli. « Aujourd’hui, observe Thorel, la critique française fait son grand mea culpa sur ce qu’elle n’a pas su voir dans les années 60-70 ». De fait, les éloges pleuvent dru sur cette émission dans la bonne presse. Télérama s’enthousiasme pour la « réhabilitation tardive (sic) d’un comédien méprisé par l’intelligentsia ». Et Le Monde de louer, quasiment dans les mêmes termes, ce « magnifique documentaire, compensant (re-sic) le mépris qui, dans l’intelligentsia française, accompagna la sortie de la plupart de ses films. » Décidément, chez ces gens-là, on ne manque pas de culot !
Mais vous me direz, c’est bien connu : les meilleurs cireurs de pompes commencent par cracher dessus.
[Article publié dans Valeurs Actuelles]