Houellebecq au J.T. de France 2, ça change du ronron quotidien ! Morceaux (de bravoure) choisis.
« Le massacre de Charlie Hebdo a eu lieu le matin même où paraissait le roman de Houellebecq, à qui les djihadistes ont en quelque sorte donné une pathétique actualité », note Richard Millet sur son site.
Pour ceux qui débarqueraient des Tuamotu, Valeurs actuelles résumait la semaine dernière l’argument de ce « roman d’anticipation d’une saisissante acuité ». L’écrivain imagine donc l’élection en 2022, face à Marine Le Pen, d’un candidat musulman « modéré », soutenu par l’ensemble des « forces républicaines » (elles-mêmes éliminées dès le premier tour !). Et comment une société française apathique et fatiguée se « soumet » à l’islamisation douce mais ferme imposée par le nouveau pouvoir.
Un sujet, et un auteur, bien propres à susciter la polémique, ce qui n’a pas tardé. Avant même la parution du bouquin, les initiés s’étaient divisés entre pro et anti, comme pour une nouvelle « bataille d’Hernani ». Et l’autre mardi, Houellebecq avait les rares honneurs du 20 h de France 2, annonciateurs d’un grand marathon médiatico-polémique.
Las ! Dès le lendemain, une sanglante réalité balayait l’aimable politique-fiction de Michel, qui en plus y perdit un de ses meilleurs amis, l’économiste Bernard Maris. Du coup, Flammarion annonça la décision de son auteur vedette « de suspendre sa promotion et de quitter Paris ».
Bref on n’aura guère vu cette fois Houllebecq à la télé pour la sortie de son brulôt, sauf chez Pujadas. Une interview où chacun tient son rôle, comme le chat et la souris. Ainsi quand l’animateur demande « S’agit-il d’une pure fiction, ou de votre vision de l’avenir ? », l’auteur fait-il mine de réfléchir : « C’est une possibilité… Peut-être pas dès 2022, mais c’est une vraie possibilité. »
Aussitôt le chat (re)bondit : « Vous avez bien conscience que ce scénario peut alimenter les peurs ! » Et de sortir son piège à mulot, sous la forme d’interviews de lecteurs pas contents – et pas n’importe qui s’il vous plaît : « deux philosophes et une militante antiraciste. »
Malek Chebel reproche poliment à Houellebecq d’entretenir « la caricature d’un islam radical et violent […] Quand on est un grand écrivain, on a plus de responsabilités ». La « militante », elle, se dit choquée par le « pourquoi pas ? » houellebecquien à la soumission (surtout celle des femmes, semble-t-il). Quant au deuxième « philosophe », apparemment, c’est Alain Jakubowicz, président de la LICRA, qui n’hésite pas à s’exclamer : « C’est le plus beau cadeau de Noël qu’on aurait pu faire à Marine Le Pen ! » Tout Houellebecq est dans sa réponse, indolente et définitive : « Hmm bon, elle a pas besoin de ça, hein… »
Le fond de l’affaire, on l’abordera à la fin, grâce à Pujadas : « Notre culture occidentale, fondée sur l’individualisme et le libéralisme, est-elle si agonisante que ça ? » – « Ouais ! » répond sobrement l’interpellé, ravi de pouvoir remonter de l’effet aux causes. Pour lui, c’est bien la vacuité de nos sociétés post-modernes qui fait la force d’un islam conquérant, fût-il « modéré ».
Depuis vingt ans au moins, Houellebecq vit notre affaissement, au point de finir par l’incarner, tel un Gainsbarre métaphysicien. « Ya un manque de sens, et donc un retour du religieux difficile à contester. C’est vrai pour l’islam, mais aussi pour le catholicisme, l’évangélisme… De plus en plus de gens ne supportent plus de vivre sans Dieu. La consommation, la réussite individuelle, ça ne leur suffit pas ; ils veulent autre chose ».
Même notre mécréant misanthrope n’est pas épargné par cette vague à l’âme : « Je ressens personnellement, peut-être en vieillissant, que l’athéisme est une position douloureuse, difficile à tenir… » Allons, tant mieux ! Nous voilà bien loin de l’anti-islamisme primaire dénoncé en choeur par Edwy Plenel et Tariq Ramadan : au cœur de la nature humaine qui, comme les autres, a horreur du vide.
[Publié dans Valeurs Actuelles]