Jean-Claude Guillebaud, ou comment penser juste sans même être agrégé de philo.
« Je n’ai plus peur ». Comme son titre l’indique, le dernier livre de Jean-Claude Guillebaud fait écho à l’appel du Christ repris par Jean-Paul II : « N’ayez pas peur ! » Autant dire que son humble témoignage détonne, face aux trois philosophes qui complètent, ce jeudi là, l’affiche de La Grande Librairie de François Busnel (France 5).
Nos penseurs en remontrent au monde entier au nom de leur science, inexacte par nature ; Guillebaud ne fait la leçon qu’à lui-même. De son propre aveu, il n’a acquis les convictions qui désormais le « tiennent debout » qu’au prix du dépassement de ses blessures et ses peurs ; blessures de la vie, peur de lui-même.
Longtemps grand reporter, il a pu vérifier, et même ressentir confesse-t-il, la fascination de l’homme pour la guerre, voire une certaine jubilation de la violence : « Ce n’est pas en tuant l’autre qu’on éradiquera le mal ; il est d’abord chez nous. » Se délivrer du mal suppose donc, pour cet homme de bonne volonté « redevenu chrétien », un difficile combat intérieur.
Plus difficile encore, selon lui, en cette « époque désastreuse ». Au faux sérieux contemporain, utilitaire et cynique, Guillebaud oppose la lucidité et l’espérance authentiques : lucidité sur soi-même, espérance qui ne se prêche pas mais se partage avec les autres.
« Que l’homme tienne ce que l’enfant a promis ! ». En plaçant cette phrase d’Hölderlin en exergue de son livre, Jean-Claude retrouve le message de Jésus-Christ sur l’esprit d’enfance et le royaume des cieux. « Je crois que j’ai écrit un livre d’enfant, s’exclame-t-il, et je l’espère ! »
Les autres invités, eux, semblent bien persuadés d’avoir écrit des bouquins d’adultes. Ce n’est pas évident pour Roger-Pol Droit, philosophe au Monde. L’intitulé de son dernier opus, « Si je n’avais plus qu’une heure à vivre », ressemble à un sujet de bac ; quant à sa réponse, elle est carrément puérile : l’idéal, explique-t-il, c’est de « mourir jeune sous les balles nazies en hurlant « Vive les seins des femmes ! » N’importe quoi pour épater le bourgeois.
Au moins Robert Misrahi, auteur de La joie d’amour, Pour une érotique du bonheur, est-il un vrai original. « Je fonde tout ce que je propose sur des certitudes », assène-t-il d’emblée, non sans le prouver aussitôt : « Le mariage a échoué à cause de la monogamie », affirme le philosophe avant de nous expliquer que « c’est la recherche de la jouissance intelligente qui donne un sens à la vie. »
Clément Rosset, lui, plaide au contraire pour un « renoncement joyeux au Sens » fondé sur l’observation de l’ « idiotie du réel »… Si son nietzschéisme l’éloigne du chrétien Guillebaud, ces deux-là ont au moins en commun de ne pas se prendre au sérieux inutilement. En fin d’émission, ils se retrouveront même pour rire ensemble d’un bon mot de Cioran où ils se reconnaissent : « De peur d’être mal compris, je ne donne des interviews qu’en Mongolie, de préférence extérieure. »
(Publié dans Valeurs Actuelles le 17 Février 2014)