Après le discours de Strasbourg, mon polémiste préféré juge mon pape décidément pas très catholique…
L’autre mardi, comme Valeurs actuelles vous en rend compte par ailleurs (référence), le pape était à Strasbourg pour s’adresser à deux institutions européennes. L’ami Zemmour n’a guère apprécié la tonalité de ces interventions et, faute de pouvoir en débattre directement avec François dans Ça se dispute, il lui a vertement répondu dès le lendemain – sur des bases que, pour le coup, je n’ai moi-même guère appréciées.
Dieu sait pourtant que je ne donne pas dans l’anti-zemmourisme primaire ; en octobre dernier, je signais ici-même une apologie circonstanciée de ce Socrate livré au tribunal de foire d’On n’est pas couché. Mais là, sauf son respect, Eric yoyote de la touffe ! Un peu comme si moi, je décidais soudain de réfuter en trois feuillets les travaux sur l’entropie des trous noirs de Stephen Hawking après avoir lu sa fiche Wikipédia.
Parmi les sept péchés capitaux dont Zemmour accuse Bergolio on ne retiendra ici, faute de place, que les plus scandaleux. « Le pape dit les mots qui plaisent, pas les mots qui fâchent ! », attaque-t-il. Sûr que ça a dû faire plaisir à l’Europe de s’entendre traiter de « grand-mère fatiguée, non plus féconde et vivante » !
Autre grief contre François : l’inconscient « prône l’accueil généreux des migrants, en ignorant que ces vagues incessantes transforment l’Europe en terre d’islam. » En fait, le pape parle bien d’ « accueil des migrants » mais aussi de « protection des droits des citoyens », ce qui change un peu tout. Il appelle même l’Europe à adopter des législations adéquates pour « agir sur les causes, non pas seulement sur les effets ». On est loin de l’irénisme dénoncé par Eric !
Enfin, assène notre nouveau docteur de la Loi, « François jette les dogmes aux orties ! » On serait curieux de savoir lesquels… Le problème de Zemmour est simple, il l’expliquera lui-même trois jours plus tard sur iTélé : « J’ai lu les extraits du discours du pape dans Le Monde, et j’ai dit ce que j’en pensais. » Eric, tu nous avais habitués à plus de rigueur ! Pour 40 centimes de moins, tu aurais pu lire dans La Croix le texte intégral du discours du pape, au lieu de te contenter d’un florilège mondain.
Simple travail bâclé, ou mauvaise foi ? Les deux, hélas, ne sont pas incompatibles… Je crains fort que, dans la tête d’Eric, le cas François ne soit déjà tranché depuis belle lurette ; depuis ses toutes premières entorses à la « tradition ».
Le Saint-Esprit nous aurait donc envoyé par erreur un pape « post-chrétien », c’est-à-dire hérétique, schismatique, scandaleux et apostat ! Un de ces jésuites à la casuistique sournoise comme on devrait en expulser plus souvent !
« Ne sutor ultra crepidam ! » (« Cordonnier, ne juge pas au-dessus de la chaussure ! ») disait le peintre Appelle de Cos à son cordonnier, qui avait émis des réserves sur son œuvre. À son instar, Eric parle ici de ce qu’il ne connaît pas – et que jusqu’à nouvel ordre, il n’aspire même pas à comprendre : la « folie » de la transcendance chrétienne ; cette bienheureuse faille dans notre cerveau qui nous permet d’entrevoir parfois le Sens, la Grâce, l’Amour…
Pas vraiment la zone de chalandise de notre polémiste, qu’on préfère ferraillant contre les fossoyeurs de la France avec les armes de l’intelligence. Souviens-toi juste, Eric, de la mise en garde de Barrès à propos de « l’intelligence, cette petite chose à la surface de nous-mêmes. »
En vérité, chacun son métier, et vaches et brebis seront bien gardées. Ce ne serait pas du luxe ! Déjà que, par les temps qui courent, il n’est pas facile de rester « catholique et français toujours »… Mais si en plus les deux termes venaient à s’opposer, on serait mal pris.
Dans cette redoutable hypothèse, je choisirais quand même l’Eglise, ne serait-ce que pour une raison simple : la France est sa fille aînée, pas l’inverse !
[Article publié dans Valeurs Actuelles]