Au programme sur Arte, samedi passé : Chewing-gum, le mystère des boules de gomme. D’emblée le ton de cet « amusement documentaire », comme dit l’auteur, est donné. Pour nous conter l’épopée de la gomme à mâcher à travers les âges, Vassili Silovic recourt tour à tour aux images d’archives, aux interviews, aux reportages et même à des minifictions. Est-il bien raisonnable, pour une chaîne aussi sérieuse qu’Arte, de consacrer 52 minutes à un sujet aussi léger, à l’heure du réchauffement et de la crise planétaires, et à trois semaines de la fin du monde ?

Mais c’est que l’on mastique depuis le néolithique, et le marché est toujours en pleine expansion ! Tout a commencé il y a cinq mille ans dans le Yucatán, où l’on mâchait religieusement le latex extrait du sapotillier, alors considéré comme un arbre magique.

Cependant, faute d’images et de témoignages crédibles de l’époque, le documentaire commence vraiment un peu plus tard : au début du XXe siècle, quand les États-Unis se lancent dans la fabrication industrielle du chicle, naturalisé chewing-gum.

Il débarque en Europe en 1944 avec les GI, qui le lancent par poignées aux foules en liesse sur leur passage – lui donnant du même coup un fameux parfum de liberté.

Dans les années 1950-1960, adopté par les stars hollywoodiennes, chanté par Gainsbourg et Bardot, mâchouillé en public par les Beatles en personne, le bubble-gum va devenir le symbole d’une génération insouciante et décontractée – et même des suivantes, malgré la “crise” à répétition ou à cause d’elle.

Mâcher de la gomme, faire des bulles, c’est une façon comme une autre de lutter contre la sinistrose ; c’est cool et convivial, et ça aide même les timides à se donner une contenance !

Pour autant, la gomme à mâcher reste un sujet de société “clivant” : ses détracteurs l’accusent pêle-mêle d’être inutile, vulgaire, polluante, voire cancérigène – et en tout cas un redoutable piège à semelles. Si malgré les controverses le succès du produit ne se dément pas, c’est que, malléable par essence, il sait coller toujours aux goûts et aux tendances du moment.

Jusqu’aux années 1980, pour satisfaire une clientèle avide de nouveauté à tout prix, on n’a pas lésiné sur la fantaisie chimique : « J’achetais mon latex chez Goodyear, c’était sûrement à base de pétrole ! », raconte sereinement l’ancien patron de Dubble Bubble.

Mais fini, désormais, le temps des ingrédients de synthèse aux noms barbares et inquiétants : nos fabricants abordent le virage du 100 % naturel, équitable, bio et même biodégradable. Dans la gomme à mâcher, il n’y aura bientôt plus que… de la gomme – et collante dans la bouche, mais pas sur le trottoir. Déjà ce chewing-gum du XXIe siècle, citoyen et responsable, occupe une part grandissante dans un marché mondial lui-même florissant, qui a encore doublé au cours des dix dernières années. On n’a pas fini de nous faire mâcher !

Brigitte Bardot – Bubble gum

Publié dans Valeurs Actuelles, le 29 novembre 2012

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