A ma courte honte, je dois l’avouer : jusqu’à la rentrée dernière, je n’avais guère fréquenté l’oeuvre d’Edward Hopper. Même le célébrissime Night Hawks n’évoquait pour moi que la couverture d’un polar souvent vu, mais jamais lu.
Quand, soudain, avec l’expo du Grand Palais, Hopper devint “incontournable”, même par moi : dans les dîners en ville et les rubriques culturelles des médias, il n’était plus question que de lui.
Alors, pour n’être pas ridicule en société, j’ai lu et regardé tout ce qui me tombait sous les yeux, et une évidence s’est vite imposée : pour des raisons certes variées, tout le monde ne jurait que par « ce peintre mythique du XXe siècle » (Valeurs actuelles n° 3959).
A priori, rien ne me paraît plus suspect que les enthousiasmes unanimes. C’est donc avec le plus grand intérêt que j’ai suivi, l’autre mardi, le numéro de Ce soir (ou jamais !) où Taddeï posait une question iconoclaste bien dans sa manière : « Edward Hopper est-il un grand peintre ? »
Pour en débattre, deux critiques d’art aux opinions heureusement opposées et, comme pour les départager, un universitaire chinois.
« Bien sûr que Hopper est un grand artiste ! », s’enthousiasme d’emblée Didier Semin, invoquant notamment cette « maladresse sublime qui fait son génie ».
« Si c’était un grand artiste, Hopper ne peindrait pas aussi mal ! », rétorque aussi sec Hector Obalk, poussant la provoc jusqu’à comparer certaines de ses toiles à « la croûte de Thierry Lhermitte dans Le Père Noël est une ordure » !
« Si Hopper avait été un grand peintre, il n’aurait pas été un grand artiste ! ose alors Semin : peindre la mélancolie et l’échec avec gourmandise, c’était bon pour les “pompiers” ! »
Démarré sur les chapeaux de roues, ce débat d’experts n’en menaçait pas moins de tourner en rond. Des goûts et des couleurs, on ne discute point, n’est-ce pas ? – sauf peut-être dans le cadre d’une étude de civilisations comparées.
Tel est le sens de la présence, sur ce plateau, du Pr Wu Hongmiao, co-auteur d’un tout récent essai intitulé À quoi pensent les Chinois en regardant Mona Lisa ?
En regardant Hopper en tout cas, c’est tout l’Occident moderne que voit le professeur ; et à l’écouter, c’est pas beau à voir ! « Il n’y a pas de vie dans la peinture de Hopper, parce qu’il n’y en a pas dans l’univers qu’il décrit. »
C’est même pour ça que son oeuvre nous parle tant, insiste M. Wu sans se départir de son aimable sourire : « Vous regardez la nature comme la télévision ; nous en faisons partie ! », conclut-il, et l’on songe que ce Chinois-là est rudement content d’être chinois.
Une chose est sûre : pour relativiser le génie d’Edward Hopper, ça aide !
Article paru dans Valeurs Actuelles, le 8 novembre 2012