Jean d’Ormesson revient, et il est toujours aussi content ! On le serait à moins : son dernier bouquin est un des « blockbusters » de la rentrée littéraire. Poétiquement intitulé C’est une chose étrange à la fin que le monde, et modestement sous-titré « roman », ce livre se veut en fait le récit des aventures du Monde, depuis l’origine des origines et jusqu’aux fins dernières ; rien de moins.
Difficile, ces derniers temps, d’échapper à son plan promo tous azimuts. Et d’ailleurs, à quoi bon y échapper ? Ce fut au contraire, pour moi, une nouvelle chance de répondre à la question qui me taraudait depuis longtemps : pourquoi ce Jean-là m’agace-t-il tant ?
L’homme est pourtant intelligent, vif comme un gardon, pétillant comme un mousseux des Lumières… Et puis si élégant, n’est-ce pas, avec son port familièrement altier, ses yeux bleu délavé et ses tweeds coordonnés.
Alors, jalousie, envie, ressentiment ? Malaise en tout cas, face à cet Immortel de quatre-vingt cinq ans d’âge, croûlant sous les honneurs et qui n’en pose pas moins au jeune homme rebelle et toujours vert. Il fallait le voir, jeudi dernier à La Grande Librairie de François Busnel (France 5, 20h35), vendre sa compilation métaphysique à force de contorsions : « C’est un livre ambitieux (pause méditative) …Il n’est pas tout à fait exclu que j’aie pété plus haut que mon cul !»
Succès garanti : Busnel, flairant le « zapping », fait mine d’avoir mal entendu, l’autre se répète complaisamment, et tout le monde est content ! Après une telle sortie, l’Ormesson est maître du jeu : il peut dire ce qu’il veut. L’ennui, c’est qu’il a déjà tout dit ! Notre académicien pétomane n’a à vendre que lui-même.
Cette saillie de CM1 restera d’ailleurs sa seule audace intellectuelle de la soirée ; pour le reste, ce qu’il distribue avec talent, c’est du chewing gum pour l’âme. A une triste banalité (« Nous allons tous mourir ») succède un joyeux paradoxe en plastique : (« Il n’y a que les vivants qui meurent ! »)…
Tout ça pour déboucher sur une métaphysique de « tenue blanche » maçonnique : « Je suis un agnostique, entouré de gens qui croient savoir que Dieu existe et d’autres qui sont sûrs que Dieu n’existe pas ! » ose l’ami Jean – qui devrait sortir plus souvent… Aujourd’hui en Occident, tout le monde est agnostique comme lui. Mieux : la question même de l’existence de Dieu n’intéresse plus grand-monde. Il faudrait peut être prévenir son attachée de presse…
Mais qui suis-je pour critiquer ce noble académicien – dont je pourrais être appelé un jour à faire l’éloge quai Conti ? Peut-être aurais-je souhaité qu’il nous indique la voie de la Sagesse; mais bon, s’il préfère s’amuser, c’est son droit !
A quoi bon s’énerver tout seul, face au charmant babil d’un éternel enfant? Lorsque Jeannot paraît, « le cercle de famille applaudit à grands cris »… Je ne voudrais surtout pas gâcher l’ambiance.
Publié dans Valeurs Actuelles, le 16 septembre 2010.