Pour la gauche de la gauche, les médias ne sont pas envahis par la droite de la droite, mais par la droite de la gauche et la gauche de la droite…
L’autre dimanche sur LCP, soirée médias avec au programme Les Nouveaux Chiens de garde, un documentaire de 2011, suivi d’un débat frais du jour. La thèse du film tient en deux temps, trois mouvements et un syllogisme imparable :
1) Une petite caste de super journalistes et autres experts autoproclamés tient les médias sous sa coupe. 2) Or cette oligarchie médiatique entretient des liens de consanguinité avec le monde politico-financier. 3) Donc elle se fait tout naturellement la porte-parole de cette classe dominante.
Holà ! direz-vous : ne serait-ce point là du jargon marxiste ? Si fait, même qu’on en avait un peu perdu l’habitude, avec notre gauche en peau de caviar. Ici au moins, tout le monde en prend pour son grade ; on ne se moque pas seulement de la droite et de la droite…
Le doc se laisse voir avec plaisir, rien que pour son ton alerte et le choix de ses archives. Savoureux moment de télévision, par exemple, où l’on voit Alain Minc en 2008, trois mois avant le grand krach, afficher son inébranlable foi dans le « système économique mondial »… Jusqu’à s’extasier sur son « incroyable plasticité, qui permet d’éviter la crise ! »
Autre bonne blague à signaler : un jeu de vignettes Panini illustrant « la saison 2010-2011 du mercato des journalistes ». Extrait : « Joffrin lâche Libé pour remplacer à l’Obs Olivennes, qui part diriger Europe 1 » (avant d’être lui-même remplacé par Demorand, je résume, jusqu’à ce que) « Poincaré, venu de France Info, débarque à Europe 1 pour succéder à Demorand, qui lui-même doit prendre la tête de Libé » (etc.)
Bref, selon nos pamphlétaires, les Chiens de garde veillent et le serpent se mord la queue. Cette façon de raconter change agréablement de la thèse en vogue dans les milieux autorisés, selon laquelle les « réacs » auraient pris le pouvoir dans les médias. À en croire mes amis gauchistes, on vivrait plutôt l’invasion des sociaux-démocrates mous.
Dans le débat qui suit le film, Franz-Olivier Giesbert se distingue par sa lucidité parfois empreinte de cynisme. Le film, dit-il en substance, pose peut-être de « vraies questions », mais elles n’appellent pas de réponse. Les trucs qu’on dénonce là, genre pouvoir du capital, consanguinité des élites politico-médiatiques, connivence et tout ça, c’est peut-être pas bien, mais c’est comme ça ! « Il faut accepter le jeu, conclut Franz, ou créer son propre journal ! »
Quant à Elie Cohen, mis en cause par les auteurs, il retourne contre eux l’arme de l’ironie : « Les Français sont majoritairement antimondialistes, antilibéraux et de plus en plus eurosceptiques… Si vraiment j’avais l’influence qu’on me prête, je serais très très mauvais ! »
Mais non Elie, ton talent n’est pas en cause ! Il y a sûrement une autre hypothèse… – Et si, tout simplement, les Français devenaient de plus en plus sceptiques à l’égard de la doxa, à mesure qu’elle est contredite par les faits ?
[Article publié dans Valeurs Actuelles]