De Soljenistsyne aux Pussy Riot : en Russie, la dissidence n’est plus ce qu’elle était !

Pussy Riot : une prière punk. Comme son titre l’indique, le documentaire diffusé ce lundi sur Canal plus dans Spécial investigation relève plutôt de la plaidoirie, voire de l’apologie. Produit par la chaîne américaine HBO, ce programme chante la geste homérique des fameuses Pussy Riot (« Les Chattes enragées », traduit mon TéléObs).

En fait de musique, même « punk », ce groupe-là ne vaut pas un clou, mais qu’importe : ce sont les paroles qui comptent. Le programme de ces jeunes filles tient tout entier dans le répertoire qu’elles distillent au fil de leurs « performances » : à bas Poutine ! À bas l’Église ! Vive le féminisme !

En un an d’existence, le groupe ne cesse de monter en puissance dans la provocation, histoire de voir jusqu’où il faut aller trop loin pour décrocher enfin une couronne de martyr.

En 2011, les premières apparitions publiques des Pussy Riot sont des concerts-surprise, aussitôt mis en ligne sur internet, où elles hurlent plus qu’elles ne chantent les paroles de leur « tube » : « Tuez tous les sexistes, tous les poutinistes, tous les conformistes ! » Hélas, nos tricoteuses à cagoule tricotée ne sont même pas molestées par la police ! Mauvais pour le buzz…

L’ « intervention n°4 » va donc mettre la barre plus haut : ce coup-ci c’est carrément sur la place Rouge, sous les fenêtres du Kremlin, que ces demoiselles entonnent « Poutine s’est pissé dessus ! » Gros scandale en Russie, mais les Pussy n’écopent encore que d’une simple amende administrative. Pas de quoi mobiliser l’opinion mondiale !

Elles décident alors de frapper un grand coup. Dès le mois suivant, leur « intervention n°5 » consiste à investir en tenue légère le chœur de la cathédrale du Christ-Sauveur, pour y interpréter une composition spéciale dont je vous livre le refrain : « Merde, merde, merde du Seigneur !

Sainte Marie mère de Dieu, mets Poutine dehors ! »

Tant qu’il ne s’agissait que de sa modeste personne, le « nouveau tsar » avait laissé les performeuses performer. Mais là, elles font fort en choisissant de profaner une cathédrale chargée d’histoire, élevée après la victoire sur Napoléon, détruite sous Staline et rebâtie après la chute de l’URSS.

Les fidèles s’indignent, l’Église proteste officiellement contre ce « blasphème » et Poutine conforte sa popularité en réclamant, au nom de la « protection des sentiments des croyants », une « sentence correspondant au crime ». Verdict : deux ans de camp de travail pour les trois co-inculpées. Le Monde  (18 août 2012) n’hésite pas à titrer : « Au XXIe siècle, la Russie de Poutine renoue avec l’Inquisition ».

Apparemment, Torquemada n’est plus ce qu’il n’était : l’une des trois est libérée en appel dès le mois suivant et les deux autres amnistiées en décembre dernier. Aussitôt ces demoiselles, apparemment en pleine forme, donnent une conférence de presse pour dénoncer leur amnistie comme une « opération de communication » à la veille des J.O. de Sotchi. Elles n’avaient qu’à la refuser…

Plus sérieusement – mais à peine ! – le documentaire de HBO reprend à son compte cette thèse, sans voir qu’elle est en totale contradiction avec sa démonstration selon laquelle, en gros, rien n’aurait changé en Russie depuis les tsars et Brejnev. Mais que je sache, en 1980, il y a eu des Jeux à Moscou, et ce bon vieux Leonid n’a pas jugé utile de vider les goulags pour autant.

Ce doc est du genre qui s’autodétruit, comme dans Mission impossible. Si la Russie poutinienne était ce qu’il dit, il n’existerait tout simplement pas ! Jamais les caméras de la chaîne américaine n’auraient pu filmer le procès des Pussy Riot, ni a fortiori les interviewer dans leur prison. C’est Soljenitsyne qui serait jaloux !

N’empêche que ce doc engagé, déjà lauréat du Prix spécial du Jury au festival de Sundance, est sélectionné pour les prochains Oscars. Décidément, nos amis d’outre-Atlantique ne sont jamais contents. L’ « Empire du Mal » s’est pourtant effondré il y a plus de vingt ans, laissant la place à un Empire du moindre mal ; et c’est déjà pas mal, pour un pays qui n’a pas de « culture démocratique » au sens occidental du terme

Mais notre intransigeance en fait des droits de l’homme est devenue telle qu’on s’indigne plus, aujourd’hui, pour un Khodorkovski et trois Pussy, qu’il y a trente ans pour des milliers de prisonniers politiques, des écrivains et des dissidents internés pour « schizophrénie larvée. » Sans vouloir critiquer, c’est grotesque.

Publié sur Valeurs Actuelles, le 24 janvier 2014

 

 

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