Philip Roth n’a jamais été ma tasse de thé littéraire, qui est petite au demeurant. Contrairement à Mallarmé, je n’ai pas « lu tous les livres » ; et même si tout d’un coup c’était possible, au bout du six cent cinquantequatrième “roman de la rentrée”, j’aurais forcément mieux à faire. Comme disait Jules Renard dans son Journal« il faut feuilleter tous les livres et n’en lire qu’un ou deux »

Je m’étais donc contenté, dans mes jeunes années, de feuilleter le plus fameux roman de Roth, Portnoy et Son complexe, histoire de ne pas être ridicule en société. Et, à dire vrai, je n’avais pas été emballé par ce grand déballage. Pour l’essentiel, autant qu’il m’en souvienne, ledit Portnoy débitait à son psy ses fantasmes et obsessions sexuels par le menu – jusqu’aux tranches de foie de veau… Le genre de machine-à-choquer-le-bourgeois qui, à l’époque, ne m’avait pas paru indispensable à l’édification de ma culture générale – un chantier déjà vaste…

Mais voilà que, à l’occasion de la sortie de son dernier roman, le Rabaissement, Arte consacrait le lundi 19 septembre à l’ami Philip un documentaire chaudement recommandé par tout le monde – du Figaro au Monde en passant par l’Obs et même votre hebdo favori. Eh bien, pour une fois, cette unanimité n’était pas suspecte ! Nous avons rencontré ce soir-là un homme brillant, et attachant en plus.

Devant la caméra de William Karel, Philip Roth parle de tout avec flegme et simplicité : sa famille, ses amours, ses bonheurs, ses angoisses – et surtout sa drogue à lui, qui l’a souvent « sauvé de la dépression » : l’écriture.

C’est en s’inspirant de sa propre analyse qu’il a eu l’idée de son best-seller : allonger son “héros” sur le divan – là où tout dire est non seulement un droit de l’homme, mais un devoir d’état – et le laisser narrer à loisir ses extravagantes turpitudes.

Aussitôt, c’est le succès, et le scandale du même métal. On traite Philip Roth d’« obsédé sexuel »en le réduisant à son personnage, et d’« antisémite » parce qu’il parle de ce qu’il connaît. Il répond simplement en citant Isaac Singer : « On lui a demandé pourquoi il écrivait sur des putains juives; il a répondu : “Je connais moins bien les putains portugaises”. »

Quarante-deux ans et trente bouquins plus tard, on retrouve sans surprise le même Roth un peu moins taraudé par le sexe, un peu plus par la vieillesse et la mort – mais décidé encore à les affronter avec cette “mâle gaieté” qui fait son charme.

« Mon carnet d’adresses est en train de devenir un cimetière… », déplore-t-il ainsi, non sans ajouter aussitôt qu’il les hante lui-même, ces cimetières : « Il me faut un emplacement particulièrement confortable, explique-t-il aux hommes de l’art, parce que j’ai l’intention d’y rester un bon bout de temps ! » Qu’est-ce que vous voulez répondre à ça ?

Publié pour Valeurs Actuelles, le 29 septembre 2011

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