Il faut relire Soljénitsyne et lire Simon Leys
Au lendemain des triomphales cérémonies des J.O. de Pékin, France 5 diffusait assez opportunément un documentaire sur la Révolution culturelle chinoise, signé de l’écrivain et réalisateur Xu Xing. Opportunément, dis-je, tant les rencontres avec des rescapés de ce monstrueux psychodrame – filmées voici quelques mois à peine – contrastent violemment avec l’image, impeccablement réaliste socialiste , que nos médias ont bien voulu nous donner l’été passé de la Chine.
L’infortuné Xun Xing n’était qu’un enfant quand ce truc lui est tombé sur la tête. Dès lors, il lui a semblé, selon ses propres termes, “passer dix ans dans le tambour d’une essoreuse devenue folle”. Et trente ans plus tard, on le sent bien, il ne s’en est toujours pas remis. Son père (classé “droitier” depuis 1958, le pauvre !) est soudain “nommé” jardinier d’un bataillon de l’Armée Populaire de Libération en Mongolie Intérieure. Sa mère, médecin à Pékin, est mutée dans la province profonde “pour soigner les paysans et non plus les capitalistes urbains”… Quant à lui, tombé amoureux de la charmante Lin Tao, il ose lui écrire une lettre… Erreur fatale en ces temps de “vertu rouge” ! Paniquée, la jeune fille le dénonce aussitôt aux autorités. Ils ne se reverront que trente-cinq ans plus tard…
Des parents séparés ; un amour interdit ; une jeunesse brisée… De quoi se plaint Xu Xing ? Grâce à son jeune âge, précisément, l’orphelin de la “Révo Cul” a échappé aux foudres des Gardes rouges : il n’a été ni fusillé, ni battu à mort, ni même torturé. Il s’est réveillé vivant de cet interminable cauchemar ; un cauchemar de “ouf malade” qui, dit-il, “hante encore tous les Chinois” et sur lequel, justement pour cette raison, le régime continue d’entretenir le silence le plus absolu. Mais la plus grande folie reste sans doute, dans ce drame, celle de notre intelligentsia occidentale et surtout, il faut bien le dire, hexagonale (cocorico !)
Avant même Mai 68, tout ce que notre pays compte d’”intellectuels” autoproclamés (ainsi que leurs parents, amis et connaissances) a commencé de se ruer en rangs serrés vers les délires de la maolâtrie. Délires à coup sûr, mais délices aussi : quoi de plus rassurant pour un intello professionnel que de cesser enfin de cogiter pour s’abandonner lascivement au “Phare de la Pensée” ? “Ils n’en mouraient pas tous, mais tous étaient frappés” – dans les deux sens du terme. Le plus drôle, si l’on ose dire, c’est que ces bancs de gros-cerveaux échoués sur la Plage aux maoïstes ignoraient tout de la réalité du Grand Guignol auquel ils applaudissaient.
Pour donner une idée aux plus jeunes d’entre vous, la maolâtrie de l’époque, c’était un peu la dalaïlamalâtrie d’aujourd’hui. Aussi absurde, mais en beaucoup plus grave : au-delà du million d’”ennemis du Peuple” assassinés ès qualités, cent fois plus de victimes à la vie cassée net. Tout ça n’a évidemment pas empêché nos élites de l’époque – du Monde à Sollers et de l’Obs à Serge July, vous vous souvenez ! – d’accueillir avec des standings ovations, pendant dix ans et plus, les numéros foireux et sanguinaires du Grand Mao Circus.
A preuve, le sort que ces gens-là réservèrent, dès 1971, au seul livre utile, aujourd’hui encore et une fois pour toutes, à la reconstitution de cet engrenage diabolique. Les Habits Neufs du président Mao fut le premier chef-d’œuvre de l’admirable Simon Leys. Pour ce seul livre d’ailleurs – et bien qu’aucun autre ne me paraisse dispensable – Leys mériterait largement l’Immortalité, et l’habit vert du même métal. Certes il est belge, mais il faut bien que ça serve à quelque chose, l’immigration choisie !
Parce qu’enfin, ce mec est un génie. Ou du moins, si vous n’aimez pas les grands mots, le plus grand écrivain francophone vivant. “Sinologue de formation”, comme on dira en temps utile dans sa brève nécro du Monde (s’il existe encore), Simon Leys s’est donc fait connaître avec cette charge violente et subtile contre la Révolution “culturelle” chinoise. Une mauvaise blague aux yeux emboués de notre inintelligentsia parisienne, tout entière prosternée devant le Grand Timonier, et qui l’a donc ostracisé aussi sec.