À en croire Paul Moreira, « Jésus, deux fois, il a appelé à couper la tête de ceux qui croyaient pas en lui ». Ça, c’est du scoop !
L’« affaire » remonte au mois dernier. Dans le cadre de l’émission Spécial Investigation, Canal plus programmait « Danse avec le FN », une énième enquête à charge sur le Front national signée Paul Moreira. Au terme d’une plongée d’un an chez les nouveaux électeurs du Front, l’auteur refaisait surface avec un scoop un peu mouillé : ces gens-là seraient pour l’essentiel des déçus de la gauche, issus des milieux populaires, qui auraient basculé directement vers le FN ! Après début de visionnage, j’ai vite renoncé à vous infliger un compte rendu de ce reportage en forme de radotage.
Plus intéressante, en revanche, fut la prestation de Moreira, invité du Grand Journal ce soir-là pour faire la promo de son doc. À cette occasion, il s’est livré à une étonnante digression théologique – dont je n’ai hélas eu vent que plus tard, suite à une polémique sur les réseaux sociaux et à la réponse indignée de l’auteur dans Le Plus de l’Obs.
Pour « déconstruire un bobard de Zemmour », Moreira a donc intégré dans son film (sans doute pendant l’heure que j’ai manquée…) « un test comparatif : Bible-Coran, quel niveau d’appel au meurtre ? » Eh bien, il en a compté treize dans la Bible, et six dans le Coran. « 13 à 6 ! », proclame-t-il, comme un résultat de foot. Tout ça pour démontrer, semble-t-il, que l’islamisme n’a rien à voir avec le Coran.
Mais sa grande découverte, sur ce coup-là, c’est que le Christ lui-même a lancé des appels au meurtre ! « Je croyais que c’était un genre de hippie (sic), j’ai été très surpris… ». En fait, annonce-t-il, « Jésus, deux fois il appelle à couper la tête de ceux qui croient pas en lui ! » (« À les égorger », rectifie un chroniqueur non identifié.) Sur le plateau bien sûr, personne ne moufte ; au contraire, Antoine de Caunes félicite Moreira pour son travail de bénédictin. Et l’autre de préciser modestement : « Je n’ai pas lu toute la Bible (tu m’étonnes !), j’ai été aidé, notamment par des chercheurs. »
Et qu’on-t-il trouvé, ces chercheurs ? Ils ont trouvé Luc 19,27 : « Quant à mes ennemis, ceux qui n’ont pas voulu que je règne sur eux, amenez-les ici et égorgez-les en ma présence. » Bien entendu, il s’agit du dernier verset d’une parabole. Jamais, dans les Evangiles, Jésus ne parle comme ça. D’ailleurs réfléchis un peu, mon bon Paul ! Si le Christ avait réellement donné cet ordre à ses disciples, nul doute qu’ils auraient obéi, et qu’un historien non-chrétien de la période en eût fait état.
Il s’agit ici de la parabole des mines, proche de celle des talents chez Matthieu à cette différence que, comme l’explique en note la Bible de Jérusalem, « elle conclut à la rigueur ultime du Juge envers ceux qui l’auront repoussé ».
Mais il faut voir la définition que donne l’ami Moreira de la parabole : « Jésus utilise la parabole comme on parle sur les plateaux télé, pour réveiller l’audience. Il veut convertir un peuple apathique. La plupart du temps, il se sert du miracle (sic). Mais voilà, il peut aussi utiliser la peur de la mort. La menace. » Un salopard de pervers, ce Jésus-là ! Dire que Monsieur Paul le considérait encore comme un baba cool, jusqu’aux récentes découvertes de ses « chercheurs » !
Le deuxième « appel au meurtre » du Christ, selon le Cacangile de Moreira & Co, figure dans Matthieu 23,33 : « Serpents, engeance de vipères ! comment pourrez-vous échapper à la condamnation de la géhenne ? » Dans sa traduction, le nouvel apôtre Paul préfère « feu du dépotoir » à géhenne et « race » à engeance – et pour cause ! Ça lui permet de dire que Jésus condamne les Pharisiens « à une mort horrible » ; et même d’ajouter que l’usage qu’il fait du mot « race » « rebondira dans les discours antisémites les plus violents, jusqu’au XXème siècle ».
Jésus = Hitler ? On peut toujours dire n’importe quoi… Mais « on se juge soi-même », comme disait le prophète Michée, et il en sera de même au jour du Jugement. Penses-y dès maintenant, mon bon Paul !
[Article publié dans Valeurs Actuelles]