Les derniers fabricants de lingerie fine made in France ferment boutique l’un après l’autre… La mondialisation ne fait pas dans la dentelle !
L’an dernier, le centenaire de la Première guerre mondiale a quelque peu occulté celui du soutiens-gorge. Un oubli réparé grâce au documentaire de Nolwenn Le Fustec, Les dessous du soutien-gorge, diffusé mardi dernier sur France 5. Au début du siècle dernier, donc, le soutien-gorge vient libérer la femme du corset, qui sous prétexte de lui assurer une taille de guêpe, lui faisait parfois souffrir le martyre.
Depuis lors, l’histoire de ces dessous se confond avec celle des modes féminines. Les « garçonnes » des années 20, comme leur nom l’indique, portent des brassières totalement plates. À l’inverse, l’après-guerre et les années 50 marquent le triomphe d’une féminité exacerbée, caractérisée notamment par des soutiens-gorge plus armaturés et décolletés que jamais.
Mais la roche Tarpéienne est proche du Capitole. Avec les années 60-70, le soutien-gorge tombe de haut : au nom de la « libération de la femme », voilà qu’on le jette par-dessus les moulins – quand on ne le brûle pas en place publique comme symbole de l’ « oppression machiste. »
Entre-temps les fabricants se sont adaptés, affinant leurs modèles jusqu’à les rendre invisibles… Quand soudain, au tournant des années 90, il leur fallut prendre un nouveau virage avec le retour des gorges pigeonnantes !
Le dernier rebondissement de l’affaire, nous dit Mme Le Fustec, date du XXIe siècle avec l’apparition du « soutien-gorge rajeunissant », doté de capsules d’acide hyaluronique censées régénérer les cellules. « Le soutien-gorge du futur se doit d’être intelligent », explique sans rire la patronne d’un label spécialisé.
Quant à la voix off, elle se fait carrément grave pour résumer ce survol chronologique d’une phrase définitive : « L’histoire des soutiens-gorge, c’est celle de l’image que les femmes doivent renvoyer ! » Risible poncif féministe, d’ailleurs contredit par tout ce que le documentaire vient de raconter ; mais qu’importe ? Entre deux commentaires plus ou moins opportuns, on apprend quand même plein de trucs intéressants.
Il se fabrique 1,5 milliard de soutien-gorge chaque année dans le monde, et notamment en Chine. Ici plus encore qu’ailleurs, la délocalisation fait rage : pratiquement toutes les marques françaises, des low-cost aux plus luxueuses, se contentent de concevoir et de vendre leurs modèles – et sous-traitent le reste. Seuls 4 % des soutien-gorge vendus comme « français » sont authentiquement made in France ; les autres viennent de Chine, du Maghreb, d’Europe de l’Est, etc.
Quant aux matières premières, leurs origines sont plus diverses encore. Un amusant schéma nous révèle ainsi la composition type d’un soutien-gorge hexagonal : coques en mousse chinoises, baleines thaïlandaises, tissu italien, bretelles roumaines, broderies indonésiennes et, le cas échéant, perles du Sri-Lanka. Et tout ça, ça fait d’excellents dessous français, qu’on vient acheter du monde entier.
Bien entendu toutes les marques, et d’abord les plus renommées, nient farouchement – à la notable exception d’Etam. Du coup, l’intrépide Mme Le Fustec n’hésite pas à sortir sa caméra cachée pour poursuivre l’enquête. Dans une usine du sud de la Chine, elle dénichera même le dernier modèle « tendance » d’une prestigieuse maison parisienne !
Reste une ultime question : le maintien, ou plutôt le retour, de la production de lingerie fine en France est-il possible ? Sur ce sujet, le doc se montre raisonnablement pessimiste : « Avec la mondialisation, et une réglementation européenne encore très floue et laxiste, impossible de concurrencer des pays qui n’ont pas les mêmes normes sociales, ni environnementales. »
Comme pour confirmer ce sombre pronostic, en fin d’émission un placard en forme de faire-part nous informe que Les Atelières, modeste entreprise de Villeurbanne qui tentait encore de résister, « a été mise en liquidation judiciaire depuis février 2015 ». Quand on vous dit qu’on est aux trente-sixièmes dessous…
[Publié dans Valeurs Actuelles]