« Rendre la philosophie compatible avec la télé » : tel est le défi que dit s’être lancé Raphaël Enthoven – comme s’il était le premier… Mais c’est qu’il a, lui, un concept en béton : une émission fondée sur le commentaire d’images. Il fallait y penser. Chaque dimanche, donc, à l’heure du déjeuner, Arte nous le montre glosant avec un invité sur la nostalgie, la guerre, mais aussi la couleur ou le cinéma. Tout n’est-il pas philosophique ?
Autre concept fort : se promener. « Les bonnes idées ne viennent qu’en marchant », explique Enthoven citant Nietzsche. Ainsi voit-on, au hasard de leur déambulation dans une usine désaffectée, nos deux penseurs passer devant des affiches ou des objets dis posés çà et là pour relancer leur conver sation. L’autre dimanche, par exemple, on faisait les cent pas en causant “ironie” avec le philosophe Vincent Delecroix, spécialiste de Kierkegaard et auteur lui-même d’un Petit Éloge de l’ironie.
En guise d’introduction, l’animateur nous balance un inventaire à la Prévert de ce qui, selon son hôte, est « absolument dépourvu d’ironie » : « Un saint, une huître, le mal absolu, les horaires de chemin de fer, la loi… » Mais Raphaël, c’est Monsieur Plus ! Alors, il se demande tout haut ce qu’on pourrait ajouter à cette liste : « Une chaise ? » Non, parce qu’elle peut être percée… « La montée du FN ? » Non plus, parce que c’est bien fait pour ceux qui ont cherché à piquer ses voix… « L’Église ? » Moins encore, « quand on sait les turpitudes qu’elle recouvre ! » Bref, ça commence fort.
« L’ironie, c’est le décalage », affirment en chœur nos deux péripatéticiens. Justement, ça tombe bien : voici sur leur chemin une tête de mort. Est-ce là un objet d’ironie ? A priori, non ; mais tout change quand Raphaël nous précise que l’intéressé ( ? ) « s’appelle Anatole », avant de l’affubler d’un chapeau de Mickey. Décalé, non ?
Et notre philosophe dominical d’enchaîner sans transition de cette blague de carabin à une question de cuistre : « L’ironie n’est-elle pas fondamentalement maïeuticienne ? » « Oui, elle veut être comprise », traduit sobrement l’autre, avant d’ajouter : « Si elle n’est pas désespérée, l’ironie n’est qu’une vaine jonglerie. »
Le montreur de Mickey s’est-il senti visé ? En tout cas, le voilà qui nous fait son visage sérieux devant la dernière image de la Dolce Vita : n’y lit-on pas, dans les yeux de Mastroianni, « la gravité tragique que représente la conscience de la mortalité » ? Vertigineuse banalité, d’où est absente toute trace de décalage, c’est-à-dire d’ironie si j’ai bien suivi. Et comment ne pas suivre quand, sur un mode qui se veut ludique, chaque sentence “importante” de cet étrange dialogue socratique entre deux Socrate vient barrer l’écran ?
Autant de questions qui, au bout du compte, se résument à une seule : un agrégé de philo, même bien né, est-il nécessairement philosophe ? « De omnibus dubitandum est », comme disait Kierkegaard.