Félix Ziem (1821-1911), Vue d’Istanbul, c.1880

Il y a une bonne douzaine d’années, je suis parti une semaine à Istanbul avec M***. C’était en février, il faisait un froid de steppe, l’hôtel était fichtrement oriental, comme dans Bons baisers de Russie.
Nous avons eu l’idée de narrer cette équipée sauvagement sexuelle en un récit composé de voix alternées. Je commençai, elle suivit.


Cette fois, j’ai pensé à enlever ma montre et ma ceinture avant de passer sous le portique de sécurité. Fatalitas ! Quelque chose a attiré quand même l’attention du flic qui examinait la radiographie des bagages d’un œil blasé — et ils m’ont demandé d’ouvrir mon sac. Dans ma trousse de toilette, le tube de lubrifiant (Durex Soie, ne sèche pas) avait attiré son attention. La fonctionnaire qui l’a examiné a eu l’air intéressé, et m’a jeté un œil complice. « Moins de 100 ml, ça va », a-t-elle jugé d’une voix atone qui contredisait son regard.
Serrés comme des petits pois en boîte devant la porte d’embarquement. C’est déjà l’Orient : les voyageurs se sont entassés en paquet chaotique — j’imagine que sur les vols pour Londres ou Amsterdam, ils attendent bien sagement en ligne. Enfin, Edward Hall l’imaginerait sans doute.
La compagnie s’appelle Pegasus — un cheval grec pour survoler la Méditerranée, c’est (mytho)logique.
« 15 E et 15 F », me souffle M*** tandis que nous marchons vers la passerelle.
Les hôtesses sont turques à ne plus en pouvoir — œil noir, chignon décoloré, cul rond mais un peu lourd. Quelque chose de l’ultra-cagole provençale, la preuve vivante que Marseille regarde au Sud et à l’Est.
Je lis Marianne. M*** bouquine La Sombra del viento, le roman de Zafon — en espagnol : elle l’a commencé il y a peu, le livre occupera ses temps morts durant cinq jours — et j’ai plaisir à voir son esprit errant dans la bibliothèque imaginaire du roman. Elle est sagement assise à côté de moi, son lapin gris sur les genoux. « J’ai envie de vous sucer », dit-elle très doucement.
Emmanuelle, sors de ce corps ! Je glisse une main sous la fourrure, descend le zip de son Levis, comme dans une chanson de Gainsbourg, et j’insinue ma main entre les pans de tissu rêche, sous le slip impalpable, jusqu’à sa fente humide. Pas simple… Mais grand plaisir à le faire au milieu des passagers aveugles, des hôtesses qui vont et viennent — le cul tendu, toujours…
Nous jouons ainsi quelques minutes. Mes doigts, quand je les sens, ont une odeur de noisette fraiche.

Fin de Marianne. Perico Legasse y évoque les canards de Rouen, en grand danger d’extinction — le dernier élevage ferme ses portes, photo désespérée de l’accorte fermière (« fermières : toujours accortes » aurait dit Flaubert). Je me saisis du Rêve de Voltaire, choisi pour sa brièveté.
Chessex au mieux de sa forme. Candide revisited. Cunégonde se prénomme Aude (la belle Aude aux bras blancs de l’épopée ?), le « château » s’appelle ainsi parce qu’il a, comme chez Arouet, des portes et des fenêtres, et le héros-narrateur, désir à fleur de peau, est, comme l’autre, chassé du paradis terrestre pour avoir trop rêvé à des opérations de physique expérimentale avec la jeune fille de la maison — qui y joue de son côté, et très bien. Les puceaux rêvent aux pucelles qui, elles, ne le restent guère. Au fond, les femmes sont bien plus aventureuses que les garçons.
Ma voisine de gauche écrit en turc ses mémoires — au moins. Elle est jeune, jolie, très brune. Une sentimentale tourmentée avec des règles douloureuses.
Chessex s’amuse. « Moi, mon âme est fêlée », s’exclame le héros. Principe de Borgès : de l’influence de Baudelaire sur les esprits du XVIIIème siècle…
Il finit son récit sur le mot « crâne » : M*** et moi avons analysé en détail le dernier livre de Chessex, achevé quelques heures avant sa mort — Le Dernier crâne de Sade. Comme si, dix ou douze ans avant, Chessex avait eu la préscience de ce qu’il écrirait, et de ce qui le tuerait. « Ce crâne vide et ce rire éternel ».

Nous volons vers l’aurore, mais en attendant, nous allons vers la nuit.
Quelque part en dessous, quand l’avion commence à descendre et sort enfin des nuages, les lumières ininterrompues d’Istanbul, la ville la plus étendue au monde après Mexico.

Formalités rapides. Le flic stambouliote est plus souriant que dans Midnight Express. Plus souriant aussi que dans mon souvenir — je ne suis venu en Turquie qu’une fois, il y a presque trente ans, nous arrivions en voiture de Grèce, l’armée turque était sur pied de guerre à cause de Chypre, les rues bruissaient du désir de flinguer du Grec.

Tout de suite, le froid. Rumeur de steppes et de Gobi.
Le taxi cherche son chemin sur le GPS.

L’hôtel est oriental à ne plus en pouvoir — ors et faux ors, lit de satin mauve, lustre de verroteries géantes, total kitsch, pacha choc. « Petite fille, me dit M***, j’aurais tué pour un lit pareil. »
Nous mourons de faim. Ce n’est plus une heure à explorer les rues — il bruine doucement. L’hôtel offre un repas solide, même si le cuisinier abuse de la coriandre.

Visite, dans l’obscurité, du sous-sol de l’hôtel, table de massage, fitness, sauna, hammam, piscine. Nous nous promettons toutes les turkish délices.

Et puis l’amour, l’amour, l’amour — pilonnée pile et face jusqu’à ce que je m’y perde.

Jean-Paul Brighelli

Edouard Debat-Ponsan (1847-1913), Massage au hammam, 1883

17 commentaires

  1. Visite, dans l’obscurité, du sous-sol de l’hôtel, table de massage, fitness, sauna, hammam, piscine. Nous nous promettons toutes les turkish délices.

    Pas l’auberge de jeunesse…

    Turkish Delight…titre d’un film un peu délirant;je ne me souviens que de deux scènes
    ii) un mec fait un album de meufs (qu’il baise);il colle avec du scotch transparent, sur une page des poils de chatte.

    Mais l’histoire ? Le cinéaste ? Je ne me souviens de rien.

    zizi-pan pan se dit « piki-piki  » en turc

  2. Quelque chose a attiré quand même l’attention du flic qui examinait la radiographie des bagages d’un œil blasé — et ils m’ont demandé d’ouvrir mon sac. Dans ma trousse de toilette, le tube de lubrifiant (Durex Soie, ne sèche pas) avait attiré son attention.

    C’était dans le « bagage-cabine »;à l’époque, on avait droit à un sac de 40 litres; 2x 40 litres pour une semaine, ça peut aller,à la rigueur.

    Si…bagage en soute, pourquoi ne pas y avoir mis le lubrifiant ? Parce qu’il y a aussi le shampooing, le dentifrice…

    Si bagae enregistré, pourquoi avoir mis le lubrifaint dans le sac qu’on garde avec soi, dans l’avion ?

    Besoin urgent ? Projet d’enkhulationnement en plein vol ?

  3. « J’ai envie de vous sucer », dit-elle très doucement.

    Nous connaissonsune meuf qui,même devenue très intime, continua à vouvoyer le Maestro: Madame Casse-Noisette, l’a grégée des lettres qui (magré une tendance à lire de la littérature de bas étage) collabora à quelques ouvrages savants.

    M***est-elle agrégée ?

    Nous ne le savons pas;mais c’est une lectrice repectable:

    M*** et moi avons analysé en détail le dernier livre de Chessex, achevé quelques heures avant sa mort

    Sur les genous,elle a un lapin gris (en peluche ?) Cela ne dit rien de son âge:j’ai connu une magistrate quadragénaire qui collectionnait les ours en peluche.

  4. sous le slip impalpable, jusqu’à sa fente humide.

    « sa fente » pas la fente du « slip »…qui n’est pas fendu ; M*** a d^fiare ses études secondaires à La Fontaine;elle est peut-^tre fille de concierge…comme l’écrasante majorité des élèves de La Fontaine.

    Curieux quand même pour une meuf de porter un slip.

  5. Exposé à l’ACIP ,le 19 septembre 2025;extrait:
    • Cancers have been reported in mRNA vaccinated individuals in
    temporal association to immunization including (38 case reports and
    study of 96 cases of PDAC outcomes vs IgG4):
    • High grade sarcoma at injection site (case report).
    • Kaposi’s sarcoma (cutaneous and conjunctival reported; 2 cases).
    • Non-Hodgkin’s Lymphoma (8 cases reported in one publication).
    • Primary Cutaneous Lymphomas (14 cases).
    • Marginal Zone B-cell Lymphoma (case report).
    • Glioblastoma (2 case reports).
    • Gastric and intestinal polyposis (2 case reports).
    • IgG4 correlates with poor survival outcomes in PDAC (96 cases).
    • Axillary Lymphangioma (case report).
    • Multiple Keratoacanthomas (skin cancer; case report).
    • Ph+ B-cell ALL (leukemia; case report).
    • T-cell ALL (leukemia; case report).
    • CMML (leukemia; case report).
    • Multiple Myeloma relapse (case report).
    • Cardiac Myxoma (2 case reports).
    Workgroup Safety Uncertainties of mRNA
    COVID Vaccines

    https://www.cdc.gov/acip/downloads/slides-2025-09-18-19/06-el-deiry-kuperwasser-covid-508.pdf

  6. La description de l’hôtel m’ a fait penser a quelque chose lu récemment.
    J’ai trouvé ce que c’était. Au debut d’Un tour dans l »Hindu Kouch, Eric Newby et sa femme arrivent à Istanbul, le taxi les mène a un hôtel vraiment sordide, ils refusent d’y rester. On les emmène au Pera palace , hôtel de bon standing à l’ancienne, meubles kitsch faisant penser a Abdulhamid ( sultan vers 1900) poursuivant une courtisane en bas noirs …
    Hôtel désert ( on est dans les annes 50 avant le boom touristique)
    Baignoire qui paraît se remplir par la bonde. En fait elle se remplit quand le voisin vide sa baignoire !

Laisser un commentaire

S'il vous plaît entrez votre commentaire!
S'il vous plaît entrez votre nom ici