distantMinistre de l’Education, ce n’est pas une sinécure. Coincé entre les diktats d’un conseil scientifique qui change d’avis tous les quatre matins, les promesses présidentielles, et les objurgations de syndicats qui pratiquent le billard indirect et cherchent, via le coronavirus, à lui faire payer la loi sur les retraites et l’aménagement du Bac, Blanquer se débat comme il peut. Il a cru faire plaisir en annonçant (prématurément) le retour en classe, puis en édictant des règles intenables. Faire cours avec un masque ? Allons donc ! Imposer des règles sanitaires qui imposent pratiquement de n’accepter en cours qu’un élève sur quatre ? Soyons sérieux. Les enseignants sont prédisposés à l’hystérie, certes — et ont imposé de ne pas toucher les claviers, ni les écrans, ni les photocopieuses, ni quoi que ce soit qui permettrait de faire cours, et en interdisant de surcroît d’amener papier et stylos. Les contraintes qui pèsent sur les classes comme sur les récréations sont ridicules, quand on voit comment se comportent les gamins dès qu’ils sont sortis — bras dessus bras dessous, et que je te crache la race de ta mère au visage. Quant aux maîtres qui ne sont toujours pas revenus de confinement, sous des prétextes divers et folkloriques, ils rejoignent la longue cohorte de ceux (5% dit le ministère…) qui ont carrément disparu pendant ces trois derniers mois, pertes sèches de l’enseignement à distance.
À ce propos, Monsieur le Ministre, il est temps de réorienter le corps de Inspecteurs, qui ne savent pas quoi faire en ce moment, vers l’évaluation fine de ce que les professeurs ont envoyé à leurs élèves. Vous en tireriez très vite la liste de ceux auxquels vous pouvez faire confiance à l’avenir pour enseigner en « distanciel » — et ceux à qui vous ne confieriez pas vos enfants. Demandez aux parents ce qu’ils en pensent.
Le problème n’est pas l’actualité immédiate : juin est fichu, et les conseils de classe sont en cours. Le problème, c’est la rentrée : il n’est pas possible d’envisager le maintien de ces contraintes kafkaïennes — même en remplaçant la « distanciation » d’un mètre circulaire en un mètre linéaire. Il est temps que tout le monde revienne en classe, et que les « géniteurs d’apprenants », comme on dit dans le vocabulaire exquis de la pédagogie, cessent de devoir jouer au maître suppléant.
Nous n’avons pas protesté contre le mélange des genres entre Instruction et Education (voir ce qu’en disait Condorcet), pas dénoncé l’affaiblissement de la première au bénéfice de la seconde, pour accepter d’un œil serein le même processus en famille — en sens contraire. Parce que la vraie discrimination sociale est là, entre les familles capables d’enseigner, et celles qui en sont bien incapables. Maintenir le « distanciel », c’est accroître encore ces différences. C’est enfoncer les élèves qui sont à peine hors de l’eau. Et ce, alors même que de bons élèves ont été perdus pendant le confinement. Que des syndicats qui se prétendent « de gauche » soutiennent ces billevesées sanitaires donne une idée de leur engagement réel en faveur des plus humbles, des plus démunis, des plus fragiles.
Apparemment, cela n’inquiète pas les syndicats d’enseignants, qui ne se soucient absolument pas de la mission d’enseignement, mais comptent les masques et les bouteilles de gel hydro-alcoolique.
Je sais que nombre de mes collègues me vomissent parce que je dis la vérité, c’est le lot ordinaire de Cassandre. Mais peu importe. Ils devraient comprendre que si un ministre en exercice finit par lâcher que « si les salariés de la grande distribution avaient été aussi courageux que ceux de l’Education Nationale, les Français n’auraient rien eu à manger », c’est que le cri contre les enseignants est déjà universel. Vous tenez tant que ça à être hués ? Vilipendés ? Méprisés ?
La cote d’amour des enseignants était très haute, il y a vingt ans. Mais de réforme en réforme, d’acceptation du pédagogisme béat en grève des corrections et protestations diverses et variées, sans compter les colloques organisés par tel ou tel syndicat et interdits aux personnes non « racisés » — comme on dit dans l’exquis vocabulaire commun aux « indigènes » et à Jean-Luc Mélenchon qui les soutient et s’indigne qu’on les suspecte d’antisémitisme —, ladite cote a plongé dans les abysses. Et vous vous étonnez qu’on ne vous soutienne pas lorsque vous réclamez de justes augmentations de salaires ? Je réclame depuis des années l’alignement des salaires des enseignants français sur ceux des enseignants allemands — soit 45% de plus. Et que proposent les syndicats pendant ce temps ? Mais quels pleutres !
Cessons d’exiger de l’Ecole le respect d’un protocole qui est oublié partout ailleurs. Le virus s’est absenté pour le moment (et comme je ne suis pas virologue, contrairement à 67 millions de mes compatriotes, je ne sais s’il reviendra, ni quand). Revenons à une vision saine du travail : sauf quelques élèves que le confinement a mis à l’abri des racailles, la plupart des mômes ont envie de reprendre « à l’ancienne ». Envie de revoir les copains, certes (mais en ce moment, ils les revoient sans peine en dehors de la classe), mais surtout envie d’apprendre. Tant pis si les bureaux sont conçus pour deux. De toute manière, les jeunes gens sont à l’abri.
Septembre sera très dur. Les plus abscons des syndicats plaident déjà pour un allègement des programmes : et pourquoi pas l’abolition de toute transmission, pendant qu’ils y sont ? Quand j’écoute le SNUIPP, je pense à la Barbie parlante des années 70, qui ne connaissait qu’une phrase « Trop dur, les maths » !
Avec la voix de Francine Popineau peut-être, histoire d’actualiser…
La réalité c’est qu’il va falloir mettre les bouchées doubles, et alourdir les programmes, parce qu’il n’est pas question de sacrifier l’année qui vient sous prétexte que l’on rattrapera l’année passée. La vraie réduction des inégalités sociales passe par un renforcement des tâches scolaires : il va falloir cumuler « présentiel » et « distanciel », ce dont le ministère se frotte déjà les mains. Merci à ceux qui ont exigé que le confinement scolaire dure, dure, dure, et qui portent l’entière responsabilité de ces changements à venir… C’est une évidence : ceux qui la nient devraient penser à changer de métier.
Jean-Paul Brighelli
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