Depuis deux semaines, les médias nous vendent une belle histoire : le coronavirus est responsable de la prochaine crise économique. En déprimant l’économie chinoise, à laquelle nous avons délégué l’essentiel de notre potentiel industriel — on s’en aperçoit opportunément en réalisant que les médicaments qui pourraient soigner la pandémie sont justement fabriqués en Chine —, le virus a engendré une dépression boursière. Fatalitas ! comme disait Chéri-Bibi.
Tout se passait pourtant merveilleusement bien. La Bourse montait au firmament — et très au-delà de la valeur réelle des actifs, expliquent les gens informés. Le chômage reculait, jolie fable qui justifiera sa remontée quand les firmes européennes en général et françaises en particulier vont dégraisser en masse pour se refaire du cash, les pauvres — c’est bien parti déjà dans les banques. Le déficit plafonnait à 3% et des broquilles — et il va s’envoler, contre toute défense, tant cela coûtera de sous de soigner nos vieillards, ceux dont la mort réjouit déjà Jacques Attali. Ah, ces virus, si on les tenait…
Les économistes surfent sur le fait que les gens en général n’entravent que pouic à leur spécialité. Pour Mr Vulgum Pecus, l’économie, c’est ce qui lui reste à la fin du mois — des dettes principalement, et des achats de féculents.
Un article signé d’un économiste de gauche (Eric Toussaint fut d’abord historien, il est docteur en Sciences politiques et enseigne depuis vingt ans en se spécialisant justement sur la question de la dette) m’a fait frétiller d’aise. L’auteur explique avec un humour teinté d’indignation que si le Dow Jones baisse (j’admire les médias qui arrivent à nous passionner, voire à nous responsabiliser, sur ce qui se passe à Wall Street ou Francfort), si les Bourses mondiales toussent et trébuchent, ce n’est pas à cause d’un virus anecdotique, mais parce que depuis quelques semaines les très gros porteurs, les fonds de pension du genre Black Rock, le préféré de Macron, ou les grandes banques d’affaires, style Goldmann Sachs, ont discrètement commencé à liquider de gros paquets d’action, tant qu’elles étaient au plus haut, ce qui par imitation a renversé la tendance : le marché bullish est passé au bear market. Mais ce n’est pas parce que ça baisse que l’on cesse de faire des affaires, bien au contraire. On savait ça déjà au XIXe siècle — lisez donc l’Argent, où Zola explique en détail le mécanisme qui a permis à Rothschild de couler l’Union Générale, grande banque catholique. C’était en 1881…
Les éléments d’une nouvelle crise financière sont réunis depuis des années — et cela fait des mois, bien avant que le Wuhan commençât à exister sur les cartes médiatiques, que divers économistes sans étiquette politique préviennent : ça va péter. Le coronavirus joue le rôle de l’étincelle. Mais si l’étincelle met le feu aux poudres, elle n’est pas le fond du problème.
« Les très riches, explique Eric Toussaint, ont décidé de commencer à vendre les actions qu’ils ont acquises car ils considèrent que toute fête financière a une fin, et plutôt que la subir ils préfèrent prendre les devants. Ces grands actionnaires préfèrent être les premiers à vendre afin d’obtenir le meilleur prix possible avant que le cours des actions ne baisse très fortement. De grandes sociétés d’investissements, de grandes banques, de grandes entreprises industrielles et des milliardaires donnent l’ordre à des traders de vendre une des actions ou des titres de dettes privées (c’est-à-dire des obligations) qu’ils possèdent afin d’empocher les 15 % ou 20 % de hausse des dernières années. Ils se disent que c’est le moment de le faire : ils appellent cela prendre « leurs bénéfices ». Selon eux, tant pis si cela entraîne un effet moutonnier de vente. L’important à leurs yeux est de vendre avant les autres. »
On veut donc nous faire pleurer avec l’argent qu’aurait perdu Bernard Arnault, le pauvre. La réalité, c’est que s’il a perdu, c’est qu’il n’a pas su se dégager à temps comme ses petits camarades. Déjà en 2008-2009 les principaux fonds d’investissement, les banques d’affaires et les GAFAM avaient merveilleusement tiré leur épingle du jeu. Ils sont à nouveau à la manœuvre, et la masse des moutons suit. Et maintenant que les grands investisseurs américains sont à l’abri, Trump peut bien décider d’isoler l’Amérique, en faisant plonger encore plus bas les Bourses mondiales — il s’en tape, les copains vont bien.
Ce qui partira en fumée si la baisse continue, ce sont les capitaux fictifs produits par la spéculation financière. Et la baisse va continuer, alimentée par la décision du despote saoudien de baisser unilatéralement le prix du baril — une baisse que le particulier ne sentira pas passer, à la pompe, parce que les taxes d’Etat, elles, persistent et signent. Cocus un jour, cocus toujours.
Croire que le Covid-19 — un nom un peu barbare auquel il va falloir trouver un pseudo plus coquet, « peste noire » ou « grippe espagnole », ça vous avait une autre gueule — est responsable du désastre financier qui s’annonce, qui depuis des mois oblige déjà les grands argentiers à fabriquer de la monnaie en urgence, ou à vendre leurs stocks d’or, pour trouver des liquidités, et obligera demain les banques à geler vos fonds en se les appropriant, c’est croire que le type à poil dans le lit avec votre femme est un parachutiste dénudé par les alizés et opportunément tombé par la fenêtre.
Le virus a bon dos. Il permet de ne pas s’interroger sur la pertinence des délocalisations et de la mondialisation, depuis trois décennies. L’étincelle virale est l’écran de fumée que les médias, au service des financiers qui les possèdent, disposent afin de faire croire au pauv’peuple que les spoliations qui s’annoncent, avec les tours de vis économiques qui suivront, sont des figures obligées.
Il faut urgemment faire rendre gorge aux cochons qui s’engraissent, et cesser d’être dupes. Mais il est bien difficile de se concentrer sur des sujets financiers arides, quand on ne peut même plus aller voir du foot, que tous les rassemblements seront bientôt interdits, et que le rayon pâtes et PQ (pourquoi le PQ ? Mystère…) des grandes surfaces se vide chaque jour. Tant de préoccupations nous accablent, grâce à des infos médicales soigneusement distillées, et d’autant plus inquiétantes qu’elles se veulent rassurantes. Mais en vérité, ce n’est pas d’une forte grippe que nous allons crever : c’est de notre respect aveugle d’un système financier obèse et toujours affamé.
Jean-Paul Brighelli
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