Je suis athée jusqu’au bout des ongles, prêt à en découdre avec tous les terroristes de la foi. Cela dit, je respecte tout à fait les croyances des uns et des autres, tant qu’elles n’empiètent pas sur mon existence. Je les considère peut-être un peu comme une forme de folie douce, mais tant qu’elles ne font pas de mal à ceux qui les professent…
Mon père — 88 ans depuis peu — est croyant. Il tient aux habitudes contractées durant son enfance en Corse, aller à la messe entre autres. Sauf que depuis six mois, il n’y va plus. Le 15 août — la Sainte Marie est une fête majeure des cultures méditerranéennes — il a fait une ultime tentative, mais la mairie (communiste) du petit village des Pyrénées-Orientales où il réside est formelle et applique à la lettre les consignes nationales : les fidèles doivent être masqués. Alors il est rentré chez lui. « On ne se masque pas devant Dieu », dit-il. Pour compenser, il s’est offert le petit livre d’Antoine Compagnon, Un été avec Pascal, étant entendu que comme tous les chrétiens authentiques, il est plutôt janséniste que jésuite. Le jésuitisme s’accommode des masques, sans doute. Le jansénisme ne connaît que les masques mortuaires — lorsqu’on ne triche plus avec les apparences.
Ajoutons que mon père est de santé fragile, qu’il relève tout juste d’un AVC qui aurait pu être fatal, qu’il a divers maux liés à l’âge et qu’il n’a pas peur de mourir — même si l’idée qu’un prêtre masqué lui offrira l’extrême-onction lui répugne. Tant qu’à faire, il s’en passera, sachant combien les hommes sont des philistins — le mot biblique pour « jean-foutre ». Il s’arrangera directement avec son dieu.
Les officiels qui ont décidé que l’on irait masqué à la messe sont des jean-foutre. Ce sont les mêmes qui durant le confinement ont interdit les funérailles — on enterrait les défunts à la va-vite, sous prétexte d’épidémie. Une première dans l’histoire de France, et même dans l’histoire du monde, où le degré d’humanité est justement évalué en fonction des rites funéraires. La victoire des jean-foutre, c’est-à-dire de la déshumanité. Oh comme ils doivent se féliciter aujourd’hui des mesures soi-disant prophylactiques qui témoignent de leur victoire ! Oh comme ils doivent jouir devoir 67 millions de Français crevant de trouille — pour rien.
L’église, c’est, en grec, l’ ἐκκλησία − l’assemblée des fidèles, qui à l’origine coïncidait avec l’assemblée des citoyens. C’est la raison pour laquelle les bâtiments étaient construits pour accueillir la population entière des cités où ils étaient bâtis. La communion est, si l’on en croit son préfixe, conçue de la même façon, une fusion de l’individu avec son Dieu, certes, mais une fusion aussi de ceux qui partagent une foi commune. Interdire de fait de participer à la messe et de communier — faut-il que ce soit un agnostique pur qui le rappelle ? — est une abomination religieuse et sociale.
Quant au prétexte « altruiste » selon lequel s’isoler derrière son masque témoigne du respect que l’on a pour les autres, c’est une manœuvre jésuite pour tenter de sauver les meubles. La vérité c’est que la peur a fait basculer la foi.
Dans les westerns de mon enfance, il n’y avait que les bandits qui se masquaient. C’était le signe extérieur de leur malfaisance. Inciter les citoyens à se « distancier » (dans la tête de quels médicastres administratifs une telle idée a-t-elle pu germer ?), à ne plus se serrer la main, à ne plus s’embrasser, transforme de facto 67 millions de Français en autant de conspirateurs.
Obéir à des jean-foutre ne me semble pas une très bonne idée. Malsaine, en tout cas.
Et je le dis tout net. Je ne me masquerai pas devant mes élèves, dans dix jours. Pourtant, à en croire les hystériques qui sont légion ces temps-ci, à bientôt 67 ans c’est moi qui risque le plus. Mais on peut être athée et ne pas avoir peur de la mort — quelle qu’elle soit, et il y a peu de chances qu’elle soit amicale. Comme disait Jean de Sponde, que cite volontiers mon paternel : « Mais si faut-il mourir. »
Alors je laisserai l’administration m’interdire d’enseigner. Figurez-vous que je ne suis pas là pour enseigner la peur, la crainte de l’autre, la grande trouille bleue. La culture est une autre forme d’ ἐκκλησία, une façon de se retrouver, de communier sur ces idées qui ont fait le monde, et particulièrement la France. Et la terreur, le repliement sur soi, l’enfermement de chacun derrière son rempart de toile, ne font pas partie de notre culture.
Jean-Paul Brighelli