Au début des années SIDA, on avait inventé, aux Etats-Unis, des bulles en plexiglas dans lesquelles on installait, dans les salles de classe, les élèves séropositifs — de peur que leurs postillons contaminassent leurs camarades et, plus grave, l’enseignant…
La ségrégation est de retour : choisissant d’outrepasser les consignes ministérielles, des inspecteurs, des chefs d’établissements et des enseignants ont imaginé, à Toulouse, à Nice ou à Paris, de ne pas mélanger avec leurs camarades les enfants de personnels soignants — qui pourraient bien transmettre le satané virus…
Le Syndicat des infirmiers-anesthésistes, ou celui des jeunes médecins, s’en sont émus. Ainsi, Lamia Kerdjana, présidente de cette dernière association et elle-même anesthésiste, proteste et écrit : « Les enfants de soignants ont aussi payé leur tribut. Accueillis dans des écoles-garderie pendant toute la durée du confinement, sans enseignement sur ce temps d’école, devant rattraper avec leurs parents souvent épuisés le programme que les autres élèves faisaient au fil de l’eau ; enfants inquiets pour la santé de leurs parents qui ont été en première ligne, inquiets à propos des répercussion de ce « coco le virus » qui est partout et qui oblige leurs parents à s’éloigner d’eux pour prendre soin des autres. Comment leur expliquer qu’ils ne peuvent pas revoir leur maîtresse et leurs camarades parce que papa et maman travaillent au service des autres ? »
Apparemment, ça n’a pas choqué les syndicats enseignants, restés muets sur le sujet. Non seulement les soignants se sont épuisés à s’occuper des urgences Covid depuis deux mois, et ne recevront qu’une prime de misère (combien l’heure sup ?) pour ce dévouement continu, mais, double peine, ils voient leurs enfants stigmatisés par une administration localement craintive et des enseignants qui le sont tout autant.
Car ces derniers ne protestent pas davantage en voyant la cour de récréation envahie de barrières — comme dans un collège de Tours proche des Halles — de façon à ce que les récrés se passent derrière des grilles. Des gosses ou des animaux mis en cage ? Et encore, nous ne traitons pas ainsi les poules d’élevages intensifs. Les zones dessinées au sol créent de gigantesques marelles dont les carrés sont dissociés. Pas de « paradis » dans ces jeux-là — de toute façon, tout ballon est interdit, tout accessoire est interdit, se toucher est interdit, s’approcher est interdit, emprunter la règle du voisin est interdit. Fais pas ci, fais pas ça…
C’est le dernier épisode de l’hystérie qui, grâce aux médias, a saisi la France entière. Victoire par KO des hypocondriaques et des hystériques, enfin confortés dans leurs délires. Il faut que ce soit PROPRE !
D’ailleurs, les cours n’ont repris en collège qu’à condition de désinfecter toutes les deux heures la classe entière — murs compris : les gosses passent leur temps à les lécher, c’est bien connu. Les dessins dans lesquels les mômes avaient mis tout leur cœur parfois sont passés à la trappe — pour rassurer des enseignants qui se découvrent les uns après les autres des problèmes cardiaques 24 heures avant la reprise.
Je ne sais pas tout sur les dessins d’enfants — je ne suis pas Françoise Dolto. Mais il se trouve que j’ai travaillé il y a quelques années avec un éminent cancérologue, Thierry Philip, cancérologue lyonnais spécialisé dans les cancers des enfants.
Travaillant avec lui à un livre (Vaincre son cancer, Milan, 2000), j’ai eu en main les dessins réalisés par ses petits patients, qui ornaient son bureau et les murs du Centre Léon Bérard, et nous les avons insérés dans le livre.
Nous ne les avons pas désinfectés avant…
C’est important, pour un enfant, de s’exprimer par le dessin — d’autant plus important qu’il n’a pas exactement les mots, et que si on ne les reprend pas en classe, ils les auront de moins en moins. C’est important pour lui d’exprimer, en un geste global, ce qu’il a envie de dire sans avoir les mots pour le dire. C’est pour lui une fierté particulière que son dessin soit affiché sur les murs de la classe, admiré de ses condisciples et de ses enseignants. Eventuellement interprété — chacun sait ce que signifie un joli soleil dans un coin du dessin — encore qu’il arrive qu’il y ait des crabes sur la plage des vacances…
Ce sont les gosses qui ont fait les frais du confinement — on se tait prudemment sur le nombre exact de ceux qui ont décroché complètement depuis deux mois. Et ils vont faire les frais du déconfinement. Si par hasard deux mois d’interdiction de se promener, de jouer, de voir leurs amis, d’aller au parc ou au bois (ou à la plage, c’est super dangereux, une plage déserte des Landes ou du Languedoc) ne le sont pas traumatisés, la rentrée façon abattoirs se chargera de le faire.
Jean-Paul Brighelli
Comments are closed.