Dans Marianne, cette semaine, Jacques Julliard démonte plaisamment le dernier petit jeu des grands enfants de gauche et de droite. « Vous faites le jeu  du FN » — ainsi s’intitule le nouveau divertissement des élites auto-proclamées. « Que vous soyez pour la hausse ou la baisse des impôts, persifle l’éditorialiste, pour la conservation des cornichons dans le gros sel ou dans le vinaigre, votre compte est bon : Vous faites le jeu du FN ! »

Moi que Pierre Frackowiak, ex-fidèle de Sainte Ségolène, avait jadis accusé de « penser brun », je dois être expert ès FN — peut-être même, comme Monsieur Jourdain, fais-je son jeu sans le savoir.
Voyons voir…

Quand, par exemple, je m’inquiète de l’appauvrissement des programmes scolaires, depuis vingt ans, je fais probablement le jeu du FN — et de SOS-Education. Quand je dénonce la collusion objective des pédagos et des libéraux, tous favorables à l’éclatement du service public d’éducation et à l’autonomie des établissements, ce qui revient au même, je fais certainement le jeu du FN — et de la Fondation pour l’Ecole. Quand je déplore la substitution, à l’ambition de transmettre des savoirs, de la constitution de savoir-faire (le socle !) et de savoir-être (tous citoyens !), je fais toujours le jeu du FN.

Dire la vérité, voilà qui fait le jeu du FN…

En attendant (peut-être la semaine prochaine) que Marianne publie un vrai programme sur « Pourquoi nous nous battons » et propose, entre autres, quelques pistes pour refonder l’Ecole de la République, je vais mettre les points sur les « i » de « crétins », « imbéciles » et « pauvres tipes » (ortogrtaf modernisée, modèle Meirieu, Dubet, Antibi et alii, juin 2013). En m’efforçant de n’oublier personne.

 

Alléger les programmes : ça oui, ça fait le jeu du FN — parce que seuls des savoirs savants sont porteurs de Lumières, et que seules les Lumières peuvent venir à bout de tous les obscurantismes. Inclure l’étude du Monomotapa, le Grand Zimbabwe des XVème-XVIIème siècle, sous prétexte de diversité, renoncer parallèlement à Louis XIV et à Napoléon, et refuser cette chronologie nationale d’où sont sorties la Révolution et la République, c’est faire le jeu du FN — et de tous ceux qui, du coup, prennent à témoin parents et grands-parents de la mainmise du politiquement correct sur une Ecole livrée aux barbares. N’est-il pas significatif qu’un parti qui a si longtemps daubé sur la Gueuse se saisisse aussi facilement des revendications républicaines ? Mais c’est que l’idée même de République a été récusée, au nom des « cultures plurielles », par trois décennies de bonnes intentions létales. C’est l’ignorance soigneusement enseignée par les idéologues post-bourdieusiens qui fait le jeu du FN. Du coup, le voici qui surfe gentiment sur ce qui le révulsait la veille : rien d’étonnant quand on voit d’où arrivent les nouveaux conseillers — fort habiles — de sa nouvelle présidente. Après la Chambre bleu-horizon, la Chambre bleu-Marine ?

Cette passion de la démocratie directe qui anime les pédagos et qui génère (voir Allègre et son « CAPES départementalisé » (1)) cet éparpillement de la décision, cette dissociation de la France écolière entre lycées « classiques » et zones expérimentales — les classes dominantes dans les uns, les employés prolétarisés dans les autres, et chacun à sa place — fabriquant effectivement une Ecole à deux vitesses, oui, voilà ce qui fait le jeu du FN. Oui, voilà un parti dont le programme éducatif est étique (2), dont la seule ligne permanente est le passage au « chèque-éducation », qui s’il était imposé sonnerait le glas de l’Ecole et de la République, un parti qui n’a jamais aimé l’Etat ni le jacobinisme, et qui s’habille désormais habilement de tout ce que refuse la Gauche, (empêtrée dans un égalitarisme de bazar, un anti-élitisme fourrier d’inégalités de fond), et de tout ce que détruit la Droite, obsédée par le tiroir-caisse.

Quant au « modèle européen » prôné par les uns comme par les autres — conformité au protocole de Lisbonne ou obsession du « modèle finlandais » —, il fait le jeu du FN, qui joue à merveille la carte du repli identitaire, en ces temps de crise où l’Europe, c’est la Grèce au tapis, l’Irlande sur la paille et l’Espagne aux Chinois.

Oui, l’obsession égalitariste, la politique des ZEP, la haine de l’élitisme républicain, voilà ce qui fait le jeu du FN, fort habile à mixer la haine des immigrés (hier responsables du chômage, et aujourd’hui accusés indistinctement de faire baisser le niveau, alimenter la violence et détruire les valeurs), la peur du futur, et les nostalgies passéistes qui lui permettent de soutenir les projets 100% chrétiens d’écoles « différentes » à financement privé — loin, très loin du 93 et des Quartiers Nord.

L’Ecole regorge pourtant de bonnes volontés et de vraies compétences. Les partis eux-mêmes n’en manquent pas — mais voilà, nous n’avons droit qu’à Bruno Julliard !

Je rêve d’un grand rassemblement des bonnes volontés qui regrouperait chevènementistes, souverainistes, socialistes intelligents, centristes lucides, et qui s’attacherait à redessiner une Ecole de la république digne des défis à venir. Il est plus que temps d’aller au front unis contre le Front, et contre tous les facteurs de division et d’égoïsme, les petites ambitions des uns et les gros coups de bluff des autres.

Que, dans une telle urgence, le PS se gratte le génitoire droit en se demandant où est passé celui de gauche, perdu depuis 2002, c’est hallucinant — et ça, ça fait le jeu du FN. « Démocratie ! », beuglent-ils, en préparant une « primaire » qui leur fait perdre toute cohésion, sans compter six mois de luttes et de propositions concrètes. À quoi bon d’ailleurs une primaire alors qu’il est évident, sondage après sondage, que Dominique Strauss-Kahn, quoi que nous pensions de la politique du FMI, est le mieux en mesure de l’emporter sur une droite décomposée et une extrême-droite décomplexée ?
Voilà, faisons un rêve… Rêvons d’une coalition élargie où Hollande, Chevènement, Villepin, Hollande, Bayrou et Dupont-Aignan auraient leur place — même Mélenchon, s’il y tient, dans le rôle du Schtroumpf grognon. Une concordance de républicains, qui seule sauvera l’Ecole des forces centrifuges qui la menacent aujourd’hui : ceux qui ont concocté l’actuel programme Education du PS, le SGEN, la Rue de Grenelle saisie par le débauchage, les Verts pâles et les verts-de-gris.

Jean-Paul Brighelli

 

(1) Voir « Allègre appelle à la révolution du « mammouth » — http://fr.zinio.com/reader.jsp?issue=416155875&o=int&prev=sub&p=72

(2) http://www.frontnational.com/?page_id=1131