Ainsi donc, l’équipe de France a perdu, et rentre à la maison. Au-delà de la première humeur, qui consiste à trouver grotesque ce feuilleton de quinze jours tissé de prétention, d’irrespect et d’incompétence sportive, à bien y réfléchir, on n’a guère envie de rire. Parce que ce qui suinte de ces trente morveux empreints de morgue, c’est le constat accablant d’une faillite — la nôtre.

 

J’écris : « l’équipe de France » et non « la France », comme dans un quelconque quotidien sportif. Pourtant, c’est bien de cela qu’il s’agit : un pays en faillite intellectuelle et morale a envoyé en Afrique du Sud une équipe à son image. Des autistes enfermés derrière des écouteurs, afin de se protéger de tout discours de bon sens. Des milliardaires qui considèrent que l’argent qu’ils gagnent leur confère une vraie valeur — et qui confondent, comme tant de gens qui prennent exemple au sommet du pouvoir, l’être et l’avoir. Des enfants gâtés, experts en bouderies. De petits caïds qui pensent que leur loi est la bonne, et réclament à grands cris l’élimination du « traître » qui a dénoncé leurs règlements de comptes sous la douche. Des analphabètes qui font lire leurs déclarations par leur entraîneur. Des mal élevés, pour qui l’insulte remplace le raisonnement — et, de temps en temps, le coup de boule. Dès 2006, nous étions au parfum.

Cela ne vous rappelle rien ? En haut, ce sont ces élites politiques calfeutrées derrière leur Rolex (ou leur Patek Philippe, l’effet est le même dès qu’on se met en tête de montrer sa montre ou de la tripoter à tout bout de champ (1)). En bas, ce sont les petites frappes de banlieue, dont la réussite sociale se mesure au nombre de décibels de la sono embarquée à bord de leur BMW : faire du bruit permet peut-être de camoufler le grand silence intérieur.

Ces joueurs ont entre 20 et 30 ans. Ils sortent d’un système scolaire qui a failli, lui aussi — failli à leur enseigner les rudiments d’une culture, les rudiments d’une langue, les rudiments d’une civilisation. Les Huns sont de retour.

Nous le savions déjà. La triche élevée au rang d’un art, j’en avais parlé déjà, en novembre dernier, pour signaler tout ce qui, dans le foot, était emblématique d’un malaise (2). Mais c’est bien un défaut de civilisation qu’il faut évoquer désormais. Ce n’est pas une équipe qui a été envoyée en Afrique du Sud, ce sont trente barbares.

Moins un, peut-être. Au milieu de ces va-de-la-gueule s’était apparemment infiltré un bon élève, qui a été traité comme tel par ses petits camarades. Un garçon issu d’un autre milieu, dont le père fut prof de maths avant d’être entraîneur. Qui sort avec la fille de Villepin, au lieu de se taper une radasse décolorée — Ribéry serait-il du genre à croire qu’une pipe est meilleure en diamants qu’en bruyère ? Bref, Yohann Gourcuff ne se contente pas d’avoir une belle gueule et de bien jouer : il parle français. Performance inexcusable, apprend-on de diverses sources (3). Déjà, il y a deux mois, Natacha Polony racontait sur son blog ce qui arrive aux bons élèves — pardon : je voulais dire : aux sales intellos (4). Le quotidien des collèges s’est étalé sur les satdes du Mondial. Le monde entier en rigole encore. Le pays des droits de l’homme est devenu celui du droit des voyous. À qui la faute ?

Non, non, je ne vais pas inculper une énième fois le pédagogisme : il est juste cohérent avec notre culture de l’inculture, pour reprendre la belle expression de Catherine Kintzler (5), qui ajoute : « La culture de l’inculture, la célébration de l’incivilité commencent à l’école, elles commencent quand on punit un professeur pour avoir giflé un élève insolent ou brutal, quand on tolère que la mode soit aux fautes d’orthographe et que l’ignorance devienne une « manière d’être » qu’il ne faut surtout pas « stigmatiser », quand on tolère que les cancres martyrisent les bons élèves. Alors commence le règne des petits caïds. »

Allons un tout petit peu plus loin. Le déni d’école, cette volonté de ne pas transmettre, depuis une bonne trentaine d’années, ce qui a construit notre civilisation, sont à l’unisson d’une époque qui a fait de l’argent le dieu suprême, et de la faillite bancaire une image de la damnation. Que des gens prétendument de gauche — c’est la cas de la quasi totalité des « pédagos » — ne le comprennent pas est, en soi, le symptôme d’un malaise bien plus profond qu’on ne l’imaginait. On pouvait tolérer encore qu’une horde de footballeurs professionnels se comporte comme une harde de jean-foutre. Mais que des enseignants aient pu trouver bon, au nom de la liberté d’expression (« Va te faire enculer, sale fils de pute » — ça, c’est de la spontanéité…), de lâcher les rênes, là, vraiment, nous avons touché le fond.

Je ne sais pas qui se lancera finalement dans la bataille électorale de 2012. J’espère juste que ce seront des femmes ou des hommes qui ont à cœur d’opérer un vrai redressement intellectuel, et d’en finir avec la faillite des mots et des idées. Des femmes ou des hommes qui, pour paraphraser le cardinal de Retz, seront autre chose que des zéros qui ne multiplient que parce qu’ils sont des chefs de parti.

Jean-Paul Brighelli

(1) Voir http://www.dailymotion.com/video/x5z0to_sarkozy-et-sa-patek-philippe-a-1600_news Pour la petite histoire, selon des sources bien informées, la montre en question est une Patek Philippe 3940G, vendue 45.680 euros dans le commerce. Offerte par Carla Bruni à son quasi époux lors d’un voyage en Egypte — au moment où celui-ci venait de lui acheter un Cupidon, une bague de Dior Joaillerie — Cécilia Sarkozy portait la même en 2007 (http://www.agoravox.tv/culture-loisirs/people/article/bague-de-sarkozy-le-modele-cupidon-19509) Ça me rappelle ce roman sublime de Georges Rodenbach, Bruges-la-morte, où un veuf se déniche une nouvelle compagne qu’il transforme peu à peu en son ex-femme.

(2) http://bonnetdane.midiblogs.com/archive/2009/11/20/du-football-comme-metaphore.html

(3) http://carnet.causeur.fr/antidote/bien-eleve-dehors,00669

(4) http://blog.lefigaro.fr/education/2010/03/sale-intello.html

(5) http://www.mezetulle.over-blog.com/article-foot-fran-ais-un-deni-de-civilisation-supplique-aux-rugbymen-52692977.html