Quelles sont les couleurs de la mort ? Sombres, dit la tradition. La mort est en noir et blanc, surtout en noir — voir Le Septième sceau. La Grande Faucheuse ne s’habille pas chez Lacroix.
Ou en blanc, par exemple la mort en robe de mariée vaporeuse, tout sourire, jouée par Jessica Lange dans ce film merveilleux qu’est All that jazz.
Chez Almodovar, la mort combine les couleurs primaires et les teintes acidulées chères à Bina Daigeler, la costumière favorite du metteur en scène — c’est elle qui a habillé Marisa Paredes, Cecilia Roth et Penelope Cruz dans Tout sur ma mère, Cruz encore dans Volver ou Etreintes brisées. Elle aime les couleurs vives, citron, orange d’hiver, parme, rose bonbon et verts printaniers.
Dans la Chambre d’à côté, ce sont les couleurs de la mort.
Ou, tout au moins, de l’agonie. Tilda Swinton meurt doucement d’un cancer terminal qui lui laisse, au mieux, un mois ou deux à vivre. Ce sursis si étroit, elle entend le vivre à son gré, dans une demeure louée pour l’occasion —, la Casa Szoke, à San Lorenzo de El Escorial pas très loin de Madrid (et non à Woodstock comme l’affirme le scénario). Une prouesse architecturale habitée par la lumière au milieu des arbres.
Swinton / Martha Hunt a donc décidé de mourir là, à son heure, grâce à une pilule magique dénichée sur le Dark Web (seule mention d’un côté sombre), en compagnie d’une vieille amie, Ingrid, perdue de vue depuis des années. Swinton fut reporter de guerre, Julianne Moore est écrivain, et vient justement de sortir un roman à succès où elle dit sa crainte de la mort. Il s’agit bien d’apprivoiser la Gueuse.
Entre souvenirs évoqués, quelques regrets (est-ce un hasard si c’est un cancer de l’utérus qui tue Martha, elle qui regrette si fort de ne jamais s’être occupée de sa fille ?), la mise à distance d’un ancien amant qu’elles se sont partagées — John Turturro étonnamment sobre — et dont elles sont l’une et l’autre apprécié les performances, elles vivent dans l’attente du moment que Martha trouvera le plus adéquat pour lâcher la rampe. Ce jour-là, explique-t-elle, la porte de sa chambre restera fermée.
Comment fera Hollywood, qui n’a qu’un Oscar de la Meilleure actrice ? Ce film est un prodige de jeu, un jeu dépouillé, entre le masque translucide de Martha (le maquillage lui a donné cette peau usée par les chimios, typique des cancéreux en phase finale) et les yeux brillants de larmes retenues d’Ingrid.
Et je ne parlerai pas de l’interrogatoire policier d’Ingrid, sur le dos de laquelle un flic fanatique tente de mettre le décès de son amie. Mœurs américaines, dans certains Etats tout au moins : l’Espagne a légiféré récemment sur la question dans un sens très libéral. Seule une société bouffie de moraline s’arroge le droit d’interdire à ses concitoyens de mettre fin à cette plaisanterie douteuse qu’on appelle la vie.
Il ne s’agit en aucun cas d’euthanasie — puisque Martha décide et exécute elle-même. SI quelqu’un dénie à un autre le droit de partir quand l’existence n’a plus de sens, c’est une ordure pathogène. Deux femmes se confrontent à la mort, l’une la domine en s’y abandonnant, et l’autre ressort libérée de ses peurs : le suicide est la preuve ultime que l’on est libre, et vivant.
Jean-Paul Brighelli
Beurettes moussequeuetaires (suite)
https://www.radiofrance.fr/franceculture/podcasts/les-midis-de-culture/houda-benyamina-oulaya-amamra-et-deborah-lukumuena-pour-toutes-pour-une-4156675
Appropriation culturelle ?
» Et si les mousquetaires étaient des femmes et d’Artagnan, une musulmane expulsée d’Espagne ? »
Cela tombe bien avec le film où selon JPB, » Ce sursis si étroit, elle entend le vivre à son gré, dans une demeure louée pour l’occasion —, la Casa Szoke, à San Lorenzo de El Escorial pas très loin de Madrid (et non à Woodstock comme l’affirme le scénario). »
L’Escurial ( Escorial) c’est bien le lieu où Philippe II fit bâtir le monumental palais servant de résidence aux rois d’Espagne et contenant leurs tombeaux, endroit plutôt sinistre abandonné par les souverains ultérieurs au profit de lieux plus riants aux noms de bon augure comme El buen retiro ou la Zarzuela…