Ce qui suit est le texte d’une intervention faite il y a quelques années dans un congrès de psychanalystes lacaniens à la Cité des Sciences à La Villette — ma présence en un tel rassemblement n’étonnera que les naïfs. Je venais de faire paraître une biographie de Sade additionnée d’un historique du sadisme — au sens littéraire du terme. Le lecteur y trouvera l’essentiel des références qui combleront son désir de savoir, toujours plus fort que le désir de jouir…
« Les vestiges de verges, grâce à la pureté de son sang, disparurent bientôt… »
La Justine de Sade, soumise, tout au long des six volumes de l’édition originale, aux supplices les plus inventifs, aux intromissions les plus outrancières, en ressort, à chaque fois, plus vierge et plus intacte. « Inaltérable », dit Lacan, qui s’amuse de « la peu croyable survie dont Sade dote les victimes des sévices et tribulations qu’il leur inflige en sa fable ». Quant à Juliette :
« Pendant six semaines, cette adroite coquine vendit mon pucelage à plus de cinquante personnes, et chaque soir se servait d’une pommade [avec laquelle] elle raccommodait avec soin ce que déchirait impitoyablement le matin l’intempérance de ceux auxquels son avarice me livrait… »
Cette pommade merveilleuse est l’un des plus constants artefacts sadiens. Déjà, dans la première version publiée de Justine, on usait sur l’héroïne, au sortir d’une orgie débridée, d’un baume de même farine : « Muni d’un flacon d’essence, il m’en frotte à plusieurs reprises. Les traces des atrocités de mes bourreaux s’évanouissent… »
Détour par la biographie. En 1768, alors qu’il n’a pas encore expérimenté l’hospitalité des prisons royales, le jeune marquis de Sade fouette longuement, dans sa petite maison d’Arcueil, une certaine Rose Keller. Pour expérimenter, prétendra-t-il, un baume miraculeux de son invention qui occulterait sur le champ les marques des blessures.
Singulière obsession : le sadique, ou présumé tel par les lecteurs prévenus du XIXe siècle, au lieu de se repaître des marques infligées à ses victimes, n’a d’autre souci que de les effacer, afin de mieux les reproduire – et de recommencer.
Dans la litanie d’orgies à quoi semblent superficiellement se résoudre les romans de Sade, dans cette longue théorie de corps enchevêtrés, cette union frénétique des sexes de toutes natures, aucun fantasme de fusion ne vient jamais proposer un hypothétique rapport : les sujets dans l’orgie restent solitaires. Ou, si l’on préfère, le rapport entre les sexes n’est pas (chez Sade en un premier temps) à proprement parler sexuel.
L’érotisme sadien constamment tient l’autre à longueur de fouet — à distance, et ne le considère jamais que comme un objet, rapidement fragmenté, bientôt désintégré. Le produit le plus apparent du rapport sadien, c’est le cadavre. Voir les Cent vingt journées de Sodome. À ceci près, qui confirme le propos, que l’exécuteur ne retire pas de cette avalanche de corps défaits un quelconque surcroît d’âme : « Dans l’expérience sadique, dit Lacan, la présence [de l’exécuteur] à la limite se résume à n’en être plus que l’instrument ». On sait assez que le sujet de l’orgie tend à se dissoudre. Quant à l’objet, il est éparpillé.
Mais c’est justement de la distance, du mépris, de cet éparpillement de l’autre que naît un nouveau rapport. Le « regard froid du vrai libertin » génère un pur produit – le texte.
Si nous devions tout de suite sauter aux conclusions, je dirais que dans l’érotisme (c’est-à-dire le sexe écrit), l’absence délibérée de rapport entre les sexes génère un rapport autre, dérivé, ou, si l’on préfère, métaphorique.
La fécondation, conséquence ordinaire du rapport sexuel, n’est pas un produit, c’est-à-dire une combinatoire, mais un fruit, ou si l’on préfère un tiers existant indépendamment des deux autres. Elle est d’ailleurs ostensiblement abhorrée par l’écrivain et par ses créatures : les femmes grosses sont systématiquement éventrées, les enfants constamment sacrifiés. Et les exercices préférés des personnages sadiens visent sans cesse à nier la capacité même à se reproduire : « Vois, vois donc ce ventre percé… vois cet infâme con ; voilà le temple où l’absurdité sacrifie ; voilà l’atelier de la génération humaine », s’exclame Bressac. De même, dans la Philosophie : « L’extinction totale de la race humaine ne serait qu’un service rendu à la nature ». Et Juliette, qui raisonne bien, quoiqu’encore jeune : « J’avoue que le membre qui s’est introduit dans mon derrière, m’a causé des sensations infiniment plus vives et plus délicates que celui qui a parcouru mon devant. »
C’est qu’il ne s’agit pas chez Sade de fécondation, mais de fécondité – celle de l’écrivain. C’est de rapport textuel qu’il faut ici parler.
D’où l’étrange faculté de régénération de la peau de Justine. Créature de fiction, elle est au premier chef une femme de papier.
Nous nous retrouvons là dans une double contrainte : comment couvrir de sens (de sang ?) la page lacérée, et, en même temps, la laisser vierge, disponible pour d’autres expériences, – d’autres textes ?
Les écrits de Sade posent un problème nouveau, en ce qu’ils énoncent, dans l’ordre des faits, ce qui partout ailleurs ne se révèle que dans l’épaisseur du fantasme. On nous jette au visage les fantasmes qui, chez les autres, ne s’articulent que dans le non-dit. D’où sans doute l’accusation d’ennui qu’on lui impute si souvent : les hypocrites ne supportent pas d’être confrontés dès l’abord à ce qui, dans leur système de représentation fantasmatique, est par définition indicible.
L’imaginaire ne batifole pas dans le texte sadien. Il n’y a pas d’espace pour le lecteur. « Un fantasme qui n’a réalité que de discours et n’attend rien de vos pouvoirs, dit Lacan, mais qui vous demande, lui, de vous mettre en règle avec vos désirs ». Jean Paulhan avait déjà évoqué l’« étrange secret de Justine » : « Ce qui nous le rend difficile, ce n’est pas qu’il soit innommable. Non, c’est tout le contraire, c’est qu’il est déjà nommé ».
L’ennui naît donc d’un malentendu. Ce n’est pas ici l’érotisme qui est en jeu, ni en représentation, — c’est l’écriture.
Ce que le bourreau tire de sa victime, dans les romans de Sade comme dans ceux de ses innombrables épigones, ce n’est pas du sang, mais de l’encre. Le fouet (ou tout autre instrument propre à graver dans le marbre des chairs les mots d’une langue inédite, que nous décrypterons tout à l’heure) est un style, un poinçon à marquer la matière. Les machines à fouetter, qui écorchent en quelques instants l’épiderme entier des patients, sont des machines à écrire. Quant aux empilages de corps, qui permettent de fustiger plusieurs paires de fesses en même temps, ils fonctionnent en somme comme ces procédés ingénieux dont usaient autrefois les élèves punis pour rédiger cent lignes sans s’y reprendre à cent fois.
Comparaison d’ailleurs réversible : la manie du fouet naît sans doute de la manie d’écrire, dont elle est la métaphore la plus achevée, et la plus lisible :
« Allons, foutre, dit-il en fureur, donne-moi donc des verges » : dès qu’il en est armé, il étend la mère sur le dos, de manière à ce que son gros ventre se trouve absolument présenté ; il établit ensuite sur le ventre les quatre enfants, par échelons, ce qui lui donne à flageller de suite, un ventre et quatre culs […] il flagelle à la fois, en remontant avec la rapidité de la foudre, et le ventre le plus dur, le plus blanc, et les huit fesses les plus appétissantes. »
Les peaux, chez Sade, ont toujours la blancheur la plus pure. La blancheur même du papier dont à fil de lettres, Sade prisonnier à Vincennes puis à la Bastille demande à sa femme de l’approvisionner. Que fait donc l’administration lorsqu’elle veut le punir ? Elle ne lui confisque pas ces « étuis », godemichés d’un format saisissant, qui permettaient à l’écrivain des rêveries de qualité. Elle lui supprime « tout usage de crayon, d’encre, de plume et de papier ». Barthes commente avec raison : « La castration est circonscrite, le sperme scriptural ne peut plus couler ; la détention devient rétention ; sans promenade et sans plume, Sade s’engorge, devient eunuque ».
Qu’est-ce donc que Justine ? Elle est la page blanche, couverte peu à peu d’une écriture nerveuse, la page immédiatement remplacée, dès qu’elle est tout à fait griffonnée, par une autre page blanche — ad libitum.
On fouette beaucoup, chez Sade. Les coups se comptent par centaines. Au mépris de toute vraisemblance, disent les imbéciles.
C’est que les pages se comptent par milliers. La manie du fouet est une forme de grapholalie. Voyez le manuscrit original des Cent vingt journées : une suite de petites feuilles de 12 cm de large collées bout à bout, pour former une longue bande de 12,10 m. Chaque feuille absolument couverte de signes, de haut en bas, de gauche à droite, dans une graphie minuscule. Recto, verso. Justine, fouettée par derrière, est aussi impitoyablement flagellée par devant. Et les autres victimes de même :
« Toutes les filles, même les plus jeunes, et celles qui sont grosses, toutes sont impitoyablement fouettées d’après ces principes ; chaque moine en expédie seize, tant par devant que par derrière. »
Il n’y a pas d’espace, pas de blanc dans la graphie de Sade : la page entière est griffée, griffonnée. Nous allons voir qu’il n’est pas le seul, tant il paraît évident que l’écriture est tout entière un processus sadique (y compris pour celui qui finit par mourir d’écrire). Dans cette surabondance de récits érotiques, rien ne subsiste du corps que le corps du texte.
Ici, une parenthèse : parmi les lecteurs de Sade, un débat est sans cesse ouvert, de savoir quel est le texte central du Marquis. Les Cent vingt journées, dit Annie Lebrun. Ou la première Justine, prétendent les historiographes, puisqu’elle lui valut la répulsion des honnêtes gens.
En fait, on ne peut pas, raisonnablement, séparer un texte des autres. Il y a un système Justine. Après les Infortunes de la vertu, rédigé en 1787 mais inédit jusqu’aux années trente, Sade rédige les Malheurs de la vertu, sans doute en 1790, remanie son texte en 1792 et 1794, puis se met à la Nouvelle Justine, qui paraît en 1799. Suit l’Histoire de Juliette, un codicille de six volumes qui sort en février 1801. Quand il est arrêté en mars, il portait à l’imprimeur une nouvelle Nouvelle Justine. Et il ne s’agit pas, d’une édition à l’autre, de corrections marginales, pas même de « paperolles » pré-proustiennes, mais d’une réfection presque totale, d’une amplification vertigineuse. Chaque page génère un chapitre. Eluard inventera la poésie ininterrompue. Justine est le roman sans fin.
Parce que la seule pulsion érotique, c’est l’écriture. Et tout le reste est littérature.
Lacan note que « l’expérience physiologique démontre que la douleur est d’un cycle plus long à tous égards que le plaisir, puisqu’une stimulation la provoque au point où le plaisir finit. ». Et il ajoute : « Si prolongée qu’on la suppose, elle a pourtant comme le plaisir son terme : c’est l’évanouissement du sujet ».
Sauf si le sujet (fictif) est remis à neuf d’un instant à l’autre, par le geste même qui fait que l’on pose à côté de soi la page couverte de signes, pour remettre devant soi une page vierge. À l’infini.
De Sade au sadique, on assiste en fait à un retournement de la fiction : Sade n’opère que sur du papier, et le sadique constitue sa victime, au fond, en un objet fictif, qu’il lui est dès lors possible de maltraiter jusqu’au bout de sa nuit, comme le jeune Sartre malmenait les héroïnes de ses premiers romans (voir Les Mots) – sauf que la victime supporte moins bien le fouet, dans la réalité où elle s’obstine à demeurer, que la créature imaginaire que voit en elle le pervers.
Ce que décrit l’accumulation des scènes, et des supplices, c’est l’impossibilité d’en finir. Le quantitatif, chez Sade, est essentiel. Le seigneur de Francaville a mis au point un « service » particulièrement efficace qui lui permet, « en moins de deux heures », d’être sodomisé trois cents fois. Les libertins des Cent vingt journées immolent les trente esclaves amenés à Silling, dans des supplices numérotés de 1 à 133. Le chiffre, toujours élevé, de coups de fouet ou de nerf de bœuf est systématiquement précisé.
Nous sommes dans la logique des grands nombres. Leur expression mathématique, vertigineuse, doit nous donner une idée de l’infini. La mécanique du roman sadien est productiviste. « Nous formâmes un long chapelet de tous ces coquins, le vit au cul les uns des autres ». Sade n’attend pas Taylor pour inventer le travail à la chaîne. Le « gang bang », figure obligée du film pornographique contemporain, est ici indéfiniment répété, mais sans jamais se ressembler, à l’image des pages obstinément accumulées, toujours nouvelles. L’orgie perpétuelle, métaphore d’un texte infini.
Cas clinique, disent les imbéciles. Sade n’est pas l’exception, mais la règle. S’il invente la machine à écrire, celle-ci a eu un assez joli destin en littérature. Dans Pauliska ou la perversité moderne, un grand petit roman noir juste postérieur à ceux de Sade, écrit par Révéroni Saint-Cyr en 1798, l’héroïne, tout aussi persécutée que Justine, est enchaînée à une presse qui en théorie sert à faire de la fausse monnaie. En fait, sans le savoir, elle imprime le texte de sa condamnation sur le corps d’un malheureux jeune homme qui a voulu l’aider, et qu’elle étouffe en même temps. Dans la Colonie pénitentiaire, la machine est conçue par Kafka pour écrire la loi sur le corps même des condamnés, qui meurent d’extase lorsque les pointes achèvent de graver sur eux l’article essentiel : « Honore ton maître». Et l’on sait tout ce que Raymond Roussel tirera des machines folles des Impressions d’Afrique — le texte même de son récit.
La machine, à l’aube de la révolution industrielle, permet la rationalisation, et l’extension, du processus graphique. Sade écrit à toute vitesse. La première partie des Cent vingt journées, nous dit-il dans le corps même de son texte, est rédigée en vingt soirées, « de sept à dix heures ». La seconde partie, au revers de la bande de feuilles collées les unes aux autres, est finie en trente-sept jours. Et plus le temps passe, plus la vitesse d’exécution s’accroît — exactement comme la vitesse des pénétrations ou des punitions. Ici, on ne chôme pas. On ne se repose jamais. Tout lecteur de Sade sait qu’aux pages d’orgies, repérables à leurs multiples alinéas, succèdent immédiatement les dissertations philosophiques, en pages massives, comme si le discours était l’exact revers des gestes qui les ont précédés, et qui infailliblement les suivent.
Ce sont là textes en miroir : la philosophie est bien ce qui se passe dans le boudoir. La Nouvelle Justine ne se continue pas par l’Histoire de Juliette : elle l’héberge en son sein, la met en abyme, puisqu’aussi bien les deux sœurs, pour antithétiques qu’elles soient, vice et vertu, sont très exactement complémentaires, les deux faces d’une même feuille. Aux avanies subies par l’une correspond le récit des tourments qu’a infligés l’autre. À la fin de la Nouvelle Justine, le corps de l’héroïne, nous dit Sade, « n’est plus qu’une plaie » : mais il se cicatrise, pour héberger le récit de sa sœur.
Le message écrit par le fouet disparaît sur la peau de l’héroïne, sans cesse remise à neuf, mais il n’est pas perdu pour tout le monde. Le processus s’apparente au palimpseste : sous l’épiderme immaculé séjourne le texte que l’on vient de lire – et ainsi de suite.
Une brève typologie des cicatrices permet d’y voir plus clair. En fait, il y a les cicatrices qui disparaissent, et les cicatrices indélébiles. Ainsi, presque dès le début de son histoire, Justine est marquée au fer rouge du V des voleurs (où l’on verra, si l’on veut, le triangle pubien, les cuisses écartées, ou l’initiale de la Vertu, son seul Vice). Si bien qu’elle est à la fois (page) Vierge, et marquée, imprimée d’une histoire.
Le procédé sera repris par Balzac. Tant qu’il est reconnaissable à la flétrissure de son épaule, Vautrin tourne en rond : sans cesse repris, il rentre à la case départ — le bagne, métaphore probable du travail de forçat auquel était contraint Balzac. Le jour où il efface sous des cicatrices nouvelles la marque du bourreau, il peut reprendre une trajectoire rectiligne.
Et je ne peux m’empêcher de voir, sur la peau labourée de Trompe-la-mort, alias l’abbé Herrera, le transfert (au moins au sens plastique) des brouillons de Balzac, pages imprimées des épreuves obscurcies de corrections qui les barrent en tous sens. Cette distinction du qualitatif et du quantitatif est essentielle. La réfection rêvée de l’Androgyne originel, ou tout au moins la fusion passionnelle, sont l’une et l’autre de hautes formes, aristocratiques, du qualitatif. L’orgie perpétuelle est le déchaînement productiviste, le « toujours plus » d’une machine folle.
Nous abordons ici au cœur même des ténèbres — savoir, quel est le texte enfoui, la langue que parle la cicatrice ou le stigmate. Nous reviendrons plus tard à Sade. Nous allons faire une plongée dans toute cette littérature de la trace qui ingénument affiche, sous les oripeaux du sexe, le désir et le plaisir d’écrire.
« Il lui remit la verge en lui commandant d’en fustiger d’abord l’Allemande pour l’habituer. Son membre placé derrière le gros cul de la patiente s’était quillé, mais, malgré sa concupiscence, son bras retombait rythmiquement, la verge était très flexible, le coup sifflait en l’air, puis retombait sèchement sur la peau tendue qui se rayait.
Le Tatar était un artiste et les coups qu’il frappait se réunissaient pour former un dessin calligraphique. Sur le bas du dos, au-dessus des fesses, le mot putain apparut bientôt distinctement. »
On aura reconnu un passage des Onze mille verges, où Apollinaire, profitant de l’anonymat que lui octroie naturellement le genre pornographique, livre froidement la clé du genre — le petit secret que les écrivains d’ordinaire taisent : un texte qui se consacre, apparemment, à (d)écrire des rapports sexuels ne parle, au fond, que de littérature. Il met en scène, emblématiquement, non l’acte sexuel, mais l’acte d’écrire. La main du fouetteur est la main même de l’écrivain — tout ce qui reste du corps.
Dans les romans pornographiques, la chair, débarrassée enfin de l’alibi sentimental qui opacifie l’espace entre la peau et les mots qui la disent, s’étale pour ce qu’elle est : une surface pâle, d’un incarnat délicat, sur laquelle sont inscrits divers messages de lisibilité immédiate. Ce faisant, l’écrivain pornographique, déchargé lui-même de tout alibi artiste, explique crûment une vérité d’évidence : le texte n’est pas un à-peu-près imagé du sexe ; le sexe est la métaphore infructueuse, le rapport stérile du texte. Seul le travail des mots est porteur d’acte. Seul il institue un authentique rapport — entre énonciateur et déchiffreur. On sait bien que le texte est le produit du rapport entre cryptage et décryptage.
La chroniqueuse anonyme des Mémoires d’une chanteuse allemande s’étonne que les romans de Sade ne soient pas excitants. Je le crois bien : ils excèdent l’excès. Le libertin a le regard froid de l’écrivain, et le rapport qu’il institue n’est pas un rapport amoureux, mais un rapport de maître (ou de créateur) à créature.
Le vrai sado-masochisme n’est pas entre les tourmenteurs et leurs victimes (il ferait beau voir que Justine fût masochiste), mais entre le narrateur et le lecteur, victime consentante. Il faut écrire S / M et non SM — avec une barre, la barre même qui en mathématiques exprime le rapport – un « trait distinctif », dit Jean Allouch. Deleuze a jadis expliqué avec pertinence qu’il n’existe pas « une chose qui serait le sado-masochisme ». Sadisme et masochisme sont deux univers orphelins, dont l’interaction est nulle : un sadique serait affolé par un vrai masochiste, et vice versa.
La sexualité, c’est le masochisme, propose Leo Bersani. Et la lecture, donc ! Si écrire est un acte constamment sadique, lire est un sommet du masochisme – une manière de se rendre à l’autre qui excède la reddition de la victime consentante. Le produit du rapport entre sadique et masochiste, c’est le texte. Non le texte à sens unique du contrat que Sacher-Masoch signe avec Wanda. Mais le texte de fiction qui s’écrit sur le corps même de l’esclave chosifié(e), passant, sans relâche, du statut de surface vierge à celui de papier mâché.
L’apologue platonicien de l’Androgyne explore la mélancolie post-coïtale, si admirablement décrite par le philosophe lorsqu’il évoque cette impossibilité humaine de redevenir un « alliage », d’abolir la trace de la cicatrice ombilique. L’étreinte la plus soudée n’est que la fausse monnaie d’une relation véritable, qui ne passerait plus par les tristes délices de la chair, mais par la conjonction née du sens commun : seul compte dans l’amour, en définitive, ce qui est textuellement transmissible. Lorsqu’on parle de littérature érotique, on articule un pléonasme : l’érotisme, c’est l’inter-textualité.
Je devrais d’ailleurs dire plutôt « pornographie » : mais la dévaluation moderne du terme a démonétisé son usage classique. Contrairement à ce que son étymologie, aujourd’hui oubliée, semblait entendre, la pornographie moderne, cinématographique, ne s’écrit pas – elle montre afin de n’avoir rien à dire. Elle adopte unilatéralement le point de vue du voyeur triste : dans un film pornographique, la caméra est toujours objective — médicale, même. Le réalisateur s’interdit tout effet d’écriture, il en reste sciemment à une grammaire élémentaire, une langue ânonnée, balbutiée, les mots maladroits d’une enfance perpétuée, faite de gros plans sans syntaxe — un en-deçà de la syntaxe — ce que serait un dictionnaire réduit à des images, toujours les mêmes. Le corps cesse d’être le lieu d’un échange, il est l’objet d’une transaction. Qu’il s’agisse d’une industrie n’est certainement pas un hasard : le capitalisme s’entend assez bien à unidimensionnaliser le sens.
L’érotisme est le partage du style – une certaine manière de graver, de la plume, de l’ongle ou du fouet – et de lire.
Mais en quelle langue ?
Klossowski, qui avait bien des problèmes à régler avec Klossowski, s’est emparé de Sade pour ce faire, et insinué qu’un dieu gisait quelque part sous la profession de foi de l’athée. Si le Marquis emprunte quelque chose à l’imagerie chrétienne, c’est la mystique du Texte — des Ecritures — et rien d’autre.
Le problème, c’est ce qu’on écrit, et ce qu’on lit, sur le corps de l’autre. La grande fracture sémantique s’est produite avec le christianisme, lorsque le corps, réputé à l’image de Dieu, le corps glorieux dont celui du Christ est le symbole perpétué, est devenu irreprésentable, alors que le corps païen vivait pleinement son rôle de signe.
Les premiers Chrétiens, confrontés aux signes de l’Eros grec, ne s’y sont pas trompés. On se rappelle les anathèmes de Clément d’Alexandrie. Le christianisme, ce sont les statues mutilées, les bibliothèques saccagées, le silence des corps — et donc, par voie de conséquence, le hurlement des corps : lorsqu’on chasse Eros, il rentre par la fenêtre ; on ne brise les statues antiques que pour les remplacer par le discours ininterrompu du martyrologe. La Légende dorée de Jacques de Voragine est une litanie de corps décorés de supplices — à ceci près que la tradition religieuse invente une circonstance que nous allons retrouver dans des contextes plus franchement laïques : l’incapacité des bourreaux à laisser sur ces chairs livrées à leur imagination une trace qui dure. Sainte Christine passe des jours dans une fournaise sans brûler, on lui coupe la langue sans qu’elle perde l’usage de la parole. Les hagiographes ont une fascination particulière, et singulière, pour les jeunes martyres qui, frappées des instruments les plus barbares, sortent indemnes — vierges comme le papier — des supplices les plus marquants. Justine a de qui tenir. Et Sade donc…
Dans cette incessante remise à neuf du corps glorieux des martyrs, le seul signe susceptible de s’inscrire durablement sur le corps des saints est le texte mystique de l’Evangile — invisible sinon à travers les stigmates, voyez Saint François, voyez sainte Catherine de Sienne, qui remercie Dieu d’avoir marqué de manière indélébile le corps de son Fils sur la Croix, car ces marques sont le signe certain, paradoxal pour les esprits faibles, de la Vie éternelle : « L’autre remède pour ce mort, écrit-elle, ce fut de conserver les cicatrices dans le corps du Verbe pour que continuellement elles crient miséricorde devant toi, pour nous ; dans ta lumière j’ai vu que tu les as conservées par ardent amour, et elles ne sont pas gênées, ni elles ni la couleur du sang, par le corps glorieux, et elles ne gênent pas ce corps ». Les stigmates sont le verbe écrit sur le Verbe incarné.
Pour preuve, cette dérision des stigmates qu’est l’histoire de Catherine Cadière, telle que la racontent les auteurs de Thérèse philosophe et de la Sorcière. On connaît les faits de cette affaire si plaisamment criminelle qui s’est déroulée à Toulon en 1730. Le confesseur libertin fouette jusqu’au sang la jeune novice soumise à la pénitence ; constatant que la trace des verges s’efface entre deux confessions, le révérend Girard fabrique finalement à la jeune fille des plaies définitives aux mains, aux pieds et au côté, reproduisant les plaies de la Passion avec un acide. Imitation de Jésus-Christ… Puis il lui lacère le front avec une couronne d’épines de métal, fabriquée, dit Michelet, par un artisan oiseleur de Toulon — mettant ainsi la tête de la jeune fille en cage. Et sur ce visage souillé de sang, il imprime des véroniques, des pièces de tissu revendues fort cher aux dévotes de la ville, alertées sur la sainteté de la novice par la présence de ces stigmates frauduleux. La plus belle métaphore, sans doute, de ce qu’est un texte érotique absolu : l’empreinte de la chair à même le papier. Les divers suaires, tous authentiques, conservés de par le monde, témoignent tous dans le même sens.
Quant au texte qui se lit dans les stigmates, il va de soi. Sainte Marguerite-Marie Alacoque, qui au XVIIe siècle instaura le culte du Sacré-Cœur de Jésus, s’était gravé au couteau, sur le sein gauche, le nom de son divin héros — l’incarnation du Verbe, à tous les sens du terme.
Le stigmate chrétien est l’outrance, la spécialisation d’un syntagme de base — la cicatrice. La cicatrice est une figure de style si fréquente en littérature que je m’étonne qu’elle n’ait pas encore été l’objet exclusif d’une étude d’envergure.
La cicatrice n’est pas le fruit d’un hasard, et dans les textes comme dans la vie, on n’arbore jamais que les marques qui nous constituent. Certains personnages sont comme fabriqués autour d’une cicatrice : dans le premier roman de Ian Fleming, Casino royal, James Bond est marqué comme un animal, sur la main, par un tueur russe qui grave sur son épiderme les deux premières lettres du mot Espion — en caractères cyrilliques. Nous apprendrons plus tard qu’une greffe astucieuse a occulté cette identification — qui subsiste par en-dessous, comme un texte subliminaire.
Il va de soi qu’aucun des films tirés de l’œuvre de Fleming n’a osé marquer son héros d’une quelconque cicatrice — pas même de la balafre qui, dans les romans, lui traverse la joue. Pas question, dans un film américain propre, forcément propre, d’offenser le spectateur par cette remontée permanente du vrai texte, celui qui s’inscrit sur le corps du héros, et s’accroît d’épisode en épisode, jusqu’à ce que Bond ne soit plus que la métaphore mutilée de la guerre froide.
Seule la cicatrice raconte une vraie histoire. On s’est moqué du deus ex machina qui, à la fin des Liaisons dangereuses, afflige la marquise de Merteuil d’une petite vérole qui la défigure. « Elle porte son âme sur son visage », écrit l’un des témoins ultimes. C’est-à-dire qu’en gravant, d’un coup, tout le texte de son roman sur le corps de son héroïne, Laclos la défigure et la révèle : les cicatrices de l’âme repassent à la surface, comme sur le portrait de Dorian Gray. Comme si le texte jeté sur le papier y était déjà en quelque sorte rédigé, et que le travail de l’écrivain ne consiste, au fond, qu’à faire remonter un récit écrit à l’encre sympathique. Nous avons vu que Sade écrit des volumes entiers à une vitesse sidérante. C’est qu’au fond il recopie. Le texte est antérieur au texte.
Un livre érotique est la narration d’une certaine façon de parcourir l’Autre, ou les Autres, comme un texte que l’on déchiffrerait — et que l’on corrigerait aussi.
L’érotisme est l’addition d’une conscience critique et d’une volonté stylistique. Et, comme le dit fort bien Annie Ernaux dès la première page de Passion simple, c’est aussi une suspension de la moralité. L’érotisme tient un discours qui n’a d’autre fin que la volupté de sa profération. C’est un discours sans histoire — j’allais dire : sans idéologie.
D’où, dans les grands textes érotiques, cette pure obsession de la trace, lue ou infligée, ce recours presque systématique à tous les instruments de l’écriture, la plume, l’ongle ou le fouet.
Je pourrais, ici, accumuler les preuves et les exemples. Qu’on se rappelle le code des empreintes épidermiques dans les Kama Soutra (« patte de paon, saut de lièvre ou feuille de lotus bleu »). Ou la jouissance des cicatrices dans le roman de Ballard, Crash. Les souvenirs littéraires de tant de cicatrices infligées à des corps sont si nombreux que toute l’écriture ne semble plus, lorsqu’on y pense, que l’obsession d’une trace sur la peau.
Dans quelques cas, comme dans ce passage du roman d’Apollinaire évoqué plus haut, le texte est lisible. C’est aussi le cas au cinéma, qui doit composer avec la paresse du spectateur : que ce soit la Femme tatouée, de Takabayashi, ou le Pillow’s book de Peter Greeneway, l’image ne laisse rien à deviner. Le corps, comme dans le Body Art, est le support du texte.
Si l’idée à ce point paraît répétitive, c’est qu’elle alimente une métaphore usée bien avant Sade. Une petite nouvelle de Grécourt, le Pupitre, inspirera Laclos dans une scène célèbre des Liaisons dangereuses, où la femme sert de support matériel au texte que l’on écrit. Le verbe « écrire » est d’ailleurs un synonyme de posséder — d’une plume à l’autre. La peau humaine est un papier prêt à l’usage du scribe. Le tatouage même n’est qu’un essai, au fond dérisoire, pour fixer un texte organisé sur une surface dont la régénération permanente ne laisse subsister, au gré des cicatrices, qu’un réseau démaillé de signes énigmatiques.
Mais non illisibles. Le fouet parle la langue de Babel — une langue primitive, originelle, dégagée des limitations strictement linguistiques, une langue qui, lorsqu’elle s’écrit, emprunte son alphabet aux calligrammes. On connaît l’histoire du moine zen, qui reste de nombreuses années, la plume en l’air au-dessus de sa feuille, avant de la plonger dans l’encre et de tracer sur le support immaculé une ligne parfaite.
Si nous devions chercher à comprendre ce qui heureusement pousse le sadique, le plus souvent, à se faire écrivain plutôt qu’à se faire sadique, c’est dans la quête de la perfection qu’il faudrait trouver l’origine de la métaphorisation de sa perversion : le papier supporte le brouillon, les remords d’écriture, les errata. Pas la peau. Le coup de fouet, le coup de rasoir doivent être d’une pureté d’exécution qui requiert l’immédiateté du génie. Contrairement à Flaubert, qui conservait tous ses brouillons, embrouillamini de paragraphes biffés, Mallarmé a fait disparaître les siens, pour ne laisser que des manuscrits sans ratures, des dispositifs impeccables. Le Coup de dés, dans sa disposition scénique, dans sa volonté de rompre le linéaire textuel, est ce qui s’apparente au plus près à une fustigation savante qui saurait où faire sourdre le sens.
Ecoutez l’héroïne du Cahier noir de Joe Bousquet : « Je fus complètement satisfaite, les injures qui m’échappaient à travers les sanglots t’ayant assez irrité pour que la fantaisie te prenne d’écrire pour ainsi dire dans ma chair le récit de mon humiliation… » Et dans l’Histoire d’O, les balafres ont invariablement la couleur des encres usuelles, noires ou violettes — jamais rouges. Quand elles s’effacent, elles subsistent en négatif : « Les balafres, sur le corps d’O, mirent près d’un mois à s’effacer. Encore lui resta-t-il, aux endroits où la peau avait éclaté, une ligne un peu blanche, comme une très ancienne cicatrice ». Un texte écrit à l’encre sympathique : quel autre mot pour dire l’érotisme du trait ?
L’écriture érotique est, s’il en fallait une, la confirmation des théories freudiennes sur l’œuvre d’art comme sublimation. À ceci près que le texte exhibant le fantasme charnel, on en vient à suspecter l’auteur de camoufler une fantasmatique perverse, première, qui remettrait l’œuvre au pinacle du désir. Seuls les pervers ont une histoire à dire.
Quant au mécanisme qui préside à cette inversion problématique, c’est une autre histoire, que j’aborderai quelque jour.
Qui n’a rêvé, en parcourant une peau, à tous les mensonges que raconte le satin de cette peau ? Qui n’a songé à ce qu’elle révèlerait, au sens le plus photographique du terme, si toutes les cicatrices, les traces des aventures anciennes, revenaient à la surface de ce palimpseste ? Personne n’a attendu Proust ou Robbe-Grillet pour savoir que la jalousie est un exercice divinatoire, une lecture de l’invisible, où l’on fait remonter, à la surface de la peau de l’autre, des fragments illisibles, parfois même jamais écrits, auxquels justement le jaloux prête un sens, parce qu’il est déchiffreur d’innommé, et amateur aussi d’innommable. La colère d’Othello / de Swann, naît de ne pas trouver, sur le corps de Desdémone / d’Odette, la preuve qu’il(s) recherche(nt), et pour laquelle il la tue / il l’épouse.
Sans doute n’est-ce pas un hasard, si ces stigmates, cicatrices, corps labourés et remis à neuf, sont presque toujours des corps féminins. La femme serait cet être capable de mentir sur les signes mêmes qu’elle porte.
Ici nous retrouvons le vrai rapport — celui de l’auteur au lecteur. Le texte est une combinatoire de leurs efforts conjoints. On se rappelle la métaphore si purement livresque que file Italo Calvino pour décrire l’acte amoureux : « À la différence de la lecture des pages écrites, la lecture que les amants font de leur corps n’est pas linéaire. Elle commence à un endroit quelconque, saute, se répète, revient en arrière, insiste, se ramifie en messages simultanés et divergents, converge de nouveau, affronte des moments d’ennui, tourne la page, retrouve le fil, se perd. ».
Réversibilité des métaphores. Le projet de Phidias, de Praxitèle ou de Canova n’est-il pas de représenter, dans le marbre le plus blanc, ce que sont les déesses – celles sur lesquelles aucun amour ne laisse de trace ? Obsession de ces marbres d’un blanc sans veines, de Paros ou de Carrare. Idéalisation, bien sûr. C’est toute la leçon du néo-classicisme. De David à Ingres en passant par Girodet, toute une peinture exalte le lisse, le poli, — et d’ailleurs elle ne laisse souvent dans les mémoires aucune trace, trop parfaite pour être de ce monde. La grande fracture, en art comme en littérature, s’opère entre ceux qu’obsèdent le lisse, le parfait, et qui travaillent en à-plats, pour éliminer la trace même du couteau ou du pinceau, et ceux qui maltraitent la matière, en profondeur. Les premiers cachant le travail (je veux dire la torture infligée et l’accouchement) que les autres exhibent.
Ces textes qui racontent, à travers des histoires de corps décorés d’estafilades, le fantasme d’une écriture, sont peut-être — sans doute — ceux qui disent le mieux ce qu’est la littérature. Si la blessure (narcissique) est nécessaire au désir d’écrire, le texte — tout texte — n’est-il pas le fantasme d’une intense envie de blesser ?
Gustave le Rouge, l’immortel auteur du Mystérieux Docteur Cornélius, était un artiste — et un maniaque – du fouet. Il vivait avec une femme, constamment cloîtrée, dont il avait fendu le visage d’un coup de lanière. Une vilaine blessure, qui refusait justement de cicatriser, et suintait sans cesse. Et chaque fois qu’il recevait le paiement de ses romans-feuilletons, Le Rouge en employait une bonne part à faire l’acquisition d’une armoire à glace – il en possédait une douzaine, entassées dans sa maison exiguë de Saint-Ouen, entre lesquelles, toute la journée, errait cette femme déchirée.
On se demande parfois, lorsqu’on écrit, et lorsqu’on lit, ce qui peut enchaîner ainsi l’écrivain à sa page, le river à son bureau dans cette activité absurde. Ce qui le tient, c’est le désir, un immense désir de destruction, au cœur même de ce que nous appelons, non sans ironie, créer. Les vrais sadiques font de piètres écrivains : nul besoin de rappeler à quel point Sade fut un piètre sadique.
D’où sans doute le caractère limite de l’écriture érotique, qui est ce qu’il y a de plus près de la Révélation – au sens même où les textes sacrés sont des livres ultimes – ceux après lesquels il n’y a plus qu’à brûler les bibliothèques.
Retour à Sade et conclusion. En 1997 a paru un curieux roman pornographique, sous la signature de Florence Dugas, intitulé l’Evangile d’Eros. La narratrice y faisait tatouer sur le corps de son amie plusieurs phrases empruntées à Sade. Elle la soumettait à une sorte de passion christique laïcisée, d’une violence extrême, où le corps était soumis à toutes les tortures, au terme desquelles la porteuse de textes était dépecée, et sa peau, tannée, réutilisée comme sous-main — celui même sur lequel s’écrivait l’histoire que je viens de raconter.
Jean-Paul Brighelli